Suisse
Economie

Les taxes douanières de Trump mettent à mal le fromage suisse

Un «double effet négatif» va frapper le fromage suisse

Le gruyère, la tête de moine ou l'emmental séduisent aux Etats-Unis. Mais la politique du président américain risque de saper des exportations en constante progression.
01.05.2025, 05:3801.05.2025, 05:38
Maurizio Minetti / ch media
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Le fromage suisse connaît le succès à l'international. Environ 40% de la production helvétique est exportée, ceci en direction de plus de 70 pays. Les principaux acheteurs sont l'Allemagne et l'Italie, suivis par les Etats-Unis. Selon Switzerland Cheese Marketing, l'année dernière, 8774 tonnes de fromage suisse ont été exportées vers les Etats-Unis, pour une valeur de 114 millions de francs. Cela correspond à 11,1% en quantité et de 15,3% en valeur des exportations totales de fromage suisse.

Le Gruyère boudé par l'étranger.
Des meules de gruyère en cours d'affinage. Image: Shutterstock

Voilà pourquoi, depuis le coup de massue des droits de douane de Donald Trump, début avril, la branche est fébrile. Les produits suisses importés aux Etats-Unis auraient dû être soumis à des droits de douane de 31%, contre 10% actuellement. Mi-avril, lors de l'assemblée des délégués de la coopérative des producteurs de lait de Suisse centrale (ZMP), son directeur Pirmin Furrer a souligné que l'exportation de fromage est «d'importance systémique» pour la production laitière suisse.

Pour toute la filière, la problématique des droits de douane arrive au mauvais moment. En 2024, après deux années de baisse, les exportations de fromage suisse avaient à nouveau légèrement augmenté. La pays a ainsi exporté 79 268 tonnes de fromage suisse, pour une valeur de 748,5 millions de francs, soit une augmentation de 7,9% en l'espace d'un an.

Il s'agit même de la deuxième meilleure année d'exportation depuis le début des relevés, a indiqué Switzerland Cheese Marketing fin janvier. Sur le marché américain, les exportations ont augmenté de 1,4% l'année dernière. Il y a encore quelques semaines, le potentiel de vente de notre fromage aux Etats-Unis était considéré comme énorme. Car le prix moyen payé par les Américains pour le gommeux suisse est également bien plus élevé que celui payé par exemple par les Allemands.

La grande peur du recul

C'est pourquoi, au cours des dernières années, certaines faîtières spécifiques ont développé leurs activités aux Etats-Unis. Pour le directeur de l'association des producteurs de Tête de Moine AOP, Martin Siegenthaler, ce serait du gâchis:

«Il serait bien entendu dommage que la quantité de fromage vendue aux Etats-Unis diminue. Nous avons investi dans ce marché ces dernières années, et avons pu augmenter les quantités exportées.»

Chez Appenzeller, on dit pareil. Reto Steiger, chef marketing de l'organisation qui représente ce produit, explique:

«Nous sommes encore en train de développer le marché aux Etats-Unis, et nous avons encore relativement peu à perdre. Mais nous maintenons notre décision de développer le marché américain, car il est indispensable de mieux répartir les risques conjoncturels ou régionaux à long terme.»

Avec un volume d'exportation vers les Etats-Unis d'environ 100 tonnes seulement, l'Appenzeller est ainsi nettement moins exposé que d'autres à la politique douanière américaine.

C'est pour le gruyère que ça chauffe

Aux Etats-Unis, le gruyère est très exposé à ces problématiques. Avec 4341 tonnes exactement, le fromage AOP représente en effet la moitié des exportations fromagères helvétiques aux USA, tandis que le marché étasunien représente un tiers de l'ensemble des exportations de gruyère. En deuxième position des exportations américaines, on trouve la version bon marché de l'Emmental, le Switzerland Swiss, avec 2724 tonnes livrées aux Etats-Unis. Quant à l'Emmental AOP, qui occupe la troisième place des exportations, ce sont 400 tonnes qui ont été importées en Amérique.

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Pourquoi le gruyère est-il si populaire aux Etats-Unis? «Parce que c'est le meilleur fromage!», lance Philippe Bardet, directeur de l'interprofession du Gruyère AOP. Cette popularité serait liée au fait que le goût du gruyère se distingue clairement de celui du fromage local. Le Gruyère n'est toutefois pas numéro un aux Etats-Unis depuis très longtemps. Au tournant du millénaire, l'Emmental AOP était encore plus populaire. A l'époque, seulement 2000 tonnes de Gruyère AOP par an partaient vers les Etats-Unis, soit environ la moitié de ce qu'elles représentent aujourd'hui. Philippe Bardet le résume ainsi:

«Nous avons beaucoup investi ces dernières années»

Interrogé sur les droits de douane, Philippe Bardet affirme que la situation provoque en premier lieu une grande incertitude dans le commerce:

«Les intermédiaires commandent moins ou attendent, car ils ne savent pas ce qui va se passer»

Mais le directeur se montre néanmoins confiant. Le Gruyère se positionne en effet dans le segment premium, où la clientèle est moins sensible aux fluctuations des prix.

«On peut imaginer des augmentations de prix, si nécessaire, pour des consommateurs-cibles américains»

Les prix, c'est l'affaire des fabricants suisses, comme Emmi. L'interprofession n'a aucun pouvoir direct en la matière. Elle décide du montant versés aux producteurs de lait, aux fromagers ainsi qu'aux autres sous-traitants. A ce sujet, Philippe Bardet est clair:

«Nous ne réduirons pas les prix que nous payons aux fournisseurs»

L'impact est bien réel

Interrogée à ce sujet, Emmi confirme que «la nouvelle situation douanière concerne essentiellement les spécialités fromagères exportées depuis la Suisse, comme le Gruyère AOP», dont l'origine protégée est un gage de qualité. Mais concernant la situation aux Etats-Unis, la porte-parole du premier fabriquant laitier de Suisse, Simone Burgener, explique qu'Emmi applique un modèle commercial décentralisé, c'est à dire qu'elle produit «localement pour le marché local».

Emmi est présente aux Etats-Unis depuis 2008:

«Tout comme la Suisse, les Etats-Unis font partie de nos quatre marchés stratégiques. Quelque 85% de notre chiffre d'affaires américain est produit localement. Actuellement, nous employons plus de 1 200 personnes sur nos sites dans les États du Wisconsin, de New York, du New Jersey et de Californie. Au cours des dix dernières années, nous avons investi de manière substantielle dans le site américain et créé des emplois».
Simone Burgener, porte-parole d'Emmi

Elle précise également que «comme d'autres entreprises, nous devrons répercuter l'augmentation actuelle des droits de douane sur nos clients américains».

Le dollar faible n'aide pas

Le cours du dollar est un gros problème pour les exportations. Philippe Bardet le confirme:

«Je me souviens quand le dollar américain était à 2,30 francs, dans les années 1980. Il est aujourd'hui à 80 centimes, ce qui est évidemment catastrophique pour l'exportation».

La faiblesse du dollar a en outre une influence directe sur le prix du lait B suisse, puisque celui-ci est indexé sur le dollar. Ce lait est utilisé pour des produits laitiers avec une valeur ajoutée limitée, comme les poudres.

Une baisse du cours du dollar entraîne par conséquent une baisse du prix. La production laitière suisse est donc déjà directement touchée par la politique douanière et commerciale étasunienne. Peu importe, donc, ce qui se passera après l'expiration de la trêve de 90 jours.

D'autres acteurs soulignent en outre qu'avec des droits de douane à l'importation plus élevés, les prix des produits étrangers augmenteront globalement aux Etats-Unis. Ce qui renforce la pression inflationniste, et diminue le pouvoir d'achat des consommateurs américains:

«Il en résulte un double effet négatif pour les exportations de fromage suisse. Des prix plus élevés, d'une part, et une baisse potentielle de la demande d'autre part».
Switzerland Cheese Marketing.

Et la porte-parole d'Emmi conclut:

«La situation douanière risque de peser encore plus sur le climat de consommation et la demande aux Etats-Unis, qui ont été mis à mal».

Traduit de l'allemand par Joel Espi

Les fromages suisses, la vie ❤️
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