Le fromage suisse connaît le succès à l'international. Environ 40% de la production helvétique est exportée, ceci en direction de plus de 70 pays. Les principaux acheteurs sont l'Allemagne et l'Italie, suivis par les Etats-Unis. Selon Switzerland Cheese Marketing, l'année dernière, 8774 tonnes de fromage suisse ont été exportées vers les Etats-Unis, pour une valeur de 114 millions de francs. Cela correspond à 11,1% en quantité et de 15,3% en valeur des exportations totales de fromage suisse.
Voilà pourquoi, depuis le coup de massue des droits de douane de Donald Trump, début avril, la branche est fébrile. Les produits suisses importés aux Etats-Unis auraient dû être soumis à des droits de douane de 31%, contre 10% actuellement. Mi-avril, lors de l'assemblée des délégués de la coopérative des producteurs de lait de Suisse centrale (ZMP), son directeur Pirmin Furrer a souligné que l'exportation de fromage est «d'importance systémique» pour la production laitière suisse.
Pour toute la filière, la problématique des droits de douane arrive au mauvais moment. En 2024, après deux années de baisse, les exportations de fromage suisse avaient à nouveau légèrement augmenté. La pays a ainsi exporté 79 268 tonnes de fromage suisse, pour une valeur de 748,5 millions de francs, soit une augmentation de 7,9% en l'espace d'un an.
Il s'agit même de la deuxième meilleure année d'exportation depuis le début des relevés, a indiqué Switzerland Cheese Marketing fin janvier. Sur le marché américain, les exportations ont augmenté de 1,4% l'année dernière. Il y a encore quelques semaines, le potentiel de vente de notre fromage aux Etats-Unis était considéré comme énorme. Car le prix moyen payé par les Américains pour le gommeux suisse est également bien plus élevé que celui payé par exemple par les Allemands.
C'est pourquoi, au cours des dernières années, certaines faîtières spécifiques ont développé leurs activités aux Etats-Unis. Pour le directeur de l'association des producteurs de Tête de Moine AOP, Martin Siegenthaler, ce serait du gâchis:
Chez Appenzeller, on dit pareil. Reto Steiger, chef marketing de l'organisation qui représente ce produit, explique:
Avec un volume d'exportation vers les Etats-Unis d'environ 100 tonnes seulement, l'Appenzeller est ainsi nettement moins exposé que d'autres à la politique douanière américaine.
Aux Etats-Unis, le gruyère est très exposé à ces problématiques. Avec 4341 tonnes exactement, le fromage AOP représente en effet la moitié des exportations fromagères helvétiques aux USA, tandis que le marché étasunien représente un tiers de l'ensemble des exportations de gruyère. En deuxième position des exportations américaines, on trouve la version bon marché de l'Emmental, le Switzerland Swiss, avec 2724 tonnes livrées aux Etats-Unis. Quant à l'Emmental AOP, qui occupe la troisième place des exportations, ce sont 400 tonnes qui ont été importées en Amérique.
Pourquoi le gruyère est-il si populaire aux Etats-Unis? «Parce que c'est le meilleur fromage!», lance Philippe Bardet, directeur de l'interprofession du Gruyère AOP. Cette popularité serait liée au fait que le goût du gruyère se distingue clairement de celui du fromage local. Le Gruyère n'est toutefois pas numéro un aux Etats-Unis depuis très longtemps. Au tournant du millénaire, l'Emmental AOP était encore plus populaire. A l'époque, seulement 2000 tonnes de Gruyère AOP par an partaient vers les Etats-Unis, soit environ la moitié de ce qu'elles représentent aujourd'hui. Philippe Bardet le résume ainsi:
Interrogé sur les droits de douane, Philippe Bardet affirme que la situation provoque en premier lieu une grande incertitude dans le commerce:
Mais le directeur se montre néanmoins confiant. Le Gruyère se positionne en effet dans le segment premium, où la clientèle est moins sensible aux fluctuations des prix.
Les prix, c'est l'affaire des fabricants suisses, comme Emmi. L'interprofession n'a aucun pouvoir direct en la matière. Elle décide du montant versés aux producteurs de lait, aux fromagers ainsi qu'aux autres sous-traitants. A ce sujet, Philippe Bardet est clair:
Interrogée à ce sujet, Emmi confirme que «la nouvelle situation douanière concerne essentiellement les spécialités fromagères exportées depuis la Suisse, comme le Gruyère AOP», dont l'origine protégée est un gage de qualité. Mais concernant la situation aux Etats-Unis, la porte-parole du premier fabriquant laitier de Suisse, Simone Burgener, explique qu'Emmi applique un modèle commercial décentralisé, c'est à dire qu'elle produit «localement pour le marché local».
Emmi est présente aux Etats-Unis depuis 2008:
Elle précise également que «comme d'autres entreprises, nous devrons répercuter l'augmentation actuelle des droits de douane sur nos clients américains».
Le cours du dollar est un gros problème pour les exportations. Philippe Bardet le confirme:
La faiblesse du dollar a en outre une influence directe sur le prix du lait B suisse, puisque celui-ci est indexé sur le dollar. Ce lait est utilisé pour des produits laitiers avec une valeur ajoutée limitée, comme les poudres.
Une baisse du cours du dollar entraîne par conséquent une baisse du prix. La production laitière suisse est donc déjà directement touchée par la politique douanière et commerciale étasunienne. Peu importe, donc, ce qui se passera après l'expiration de la trêve de 90 jours.
D'autres acteurs soulignent en outre qu'avec des droits de douane à l'importation plus élevés, les prix des produits étrangers augmenteront globalement aux Etats-Unis. Ce qui renforce la pression inflationniste, et diminue le pouvoir d'achat des consommateurs américains:
Et la porte-parole d'Emmi conclut:
Traduit de l'allemand par Joel Espi