Suisse
Economie

Droits de douane: la pharma suisse donne raison à Trump

La pharma suisse est à un tournant : «Nous ne menaçons pas»

L’industrie pharmaceutique vit un «moment charnière», selon son principal lobbyiste René Buholzer. Dans cet entretien, il explique ce que l’offensive de Donald Trump signifie pour la Suisse et sur quels points il aurait raison.
25.08.2025, 18:5425.08.2025, 18:54
Pascal Michel, Florence Vuichard / ch media
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Depuis le déclin de la place bancaire, la pharmacie est devenue la branche phare du pays. Un fait que Donald Trump n’a pas manqué de relever: «La Suisse gagne une fortune avec les médicaments», a-t-il dénoncé avant d’imposer une surtaxe douanière massive de 39%.

Depuis, les critiques contre Roche, Novartis et consorts ne cessent de pleuvoir. L’horloger Georges Kern est même allé jusqu’à dire que la Suisse était «prise en otage par l’industrie pharmaceutique», recevant un certain écho. Entretien avec le directeur de la puissante organisation Interpharma, René Buholzer.

«Les princes de la pharma mènent la Suisse à sa perte», titre le portail d'informations «Inside Paradeplatz». A raison?
René Buholzer: Tout au contraire. La pharma génère d’immenses richesses pour la Suisse. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: nos entreprises versent environ 5 milliards de francs d’impôts par an – entre impôts sur les sociétés et ceux des 50 000 employés de la branche. C’est davantage que les 4,4 milliards réalisés en chiffre d’affaires sur le marché intérieur. Par ailleurs, nous investissons chaque année près de 9 milliards dans la recherche et le développement.

A propos de l'interviewé
Agé de 57 ans, René Buholzer est à la tête d’Interpharma depuis 2017. L’organisation regroupe 23 laboratoires de médicaments originaux, dont les géants bâlois Roche et Novartis. Diplômé en économie, sciences politiques et droit constitutionnel de l’Université de Saint-Gall, il a auparavant exercé pendant treize ans comme lobbyiste auprès de Credit Suisse.
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Image: dr

Mais la pharma est l’un des principaux contributeurs au déficit commercial américano-suisse, ce qui exaspère Donald Trump. Et pourtant, elle s’en sort relativement bien. Comprenez-vous l’amertume de ceux qui doivent payer ces 39% de droits de douane?

«Je comprends leur colère, mais elle est mal dirigée»

N’oublions pas: notre secteur est lui aussi directement visé par les menaces de surtaxes pouvant grimper jusqu’à 250%, ainsi que par les pressions pour réduire les prix aux Etats-Unis. La Suisse doit donc faire front commun, plutôt que se diviser.

La délégation suisse envoyée à Washington après le choc douanier, avec Severin Schwan, président de Roche, à sa tête, a-t-elle obtenu quelque chose?
Pas à court terme. Mais elle a permis de prendre conscience qu’il fallait écouter Trump avec plus d’attention et le prendre au sérieux. Pour lui, le déficit commercial est un vrai problème, même si nous ne partageons pas son analyse économique.

Cela fait pourtant huit ans que Donald Trump en parle...
C’est vrai. Mais l’offre de la Suisse n’était pas alignée sur sa vision du monde. Il faut corriger ça. Nous en sommes conscients: Roche et Novartis ont d’ailleurs annoncé des milliards d’investissements aux Etats-Unis. Cela réduira le déficit commercial, mais pas du jour au lendemain. Construire une usine prend trois à cinq ans.

Roche et Novartis ne pourraient-ils pas réduire leurs prix aux Etats-Unis, afin d'améliorer la position de la Suisse?
Il faut séparer strictement la question des prix de celle des droits de douane.

«Adapter précipitamment les prix ne va pas résoudre le problème douanier»

Donald Trump menace d’instaurer un système de prix de référence aux Etats-Unis. Il a déjà sommé les grandes pharmas de présenter d’ici fin septembre des propositions pour baisser leurs prix.

Donald Trump estime que les Etats-Unis, en payant des tarifs particulièrement élevés, subventionnent les médicaments bon marché en Europe. N’a-t-il pas un peu raison?
Il y a une part de vérité. On retrouve une logique similaire à celle des dépenses militaires: pendant longtemps, les Européens ont profité de la protection américaine au sein de l’Otan sans investir suffisamment dans leur défense. Aujourd’hui, la charge est aussi inégalement répartie pour les médicaments. La Suisse figure parmi les derniers de classe en Europe: elle ne consacre que 0,4% de son PIB aux médicaments innovants. L’Autriche dépense deux fois plus, les Etats-Unis quatre fois plus.

Mais si les dépenses sont si élevées aux Etats-Unis, c’est aussi parce que les prix n’y sont pas régulés. Des groupes comme Roche et Novartis peuvent y faire des marges colossales…
Le marché de la pharma aux Etats-Unis est libre pour tout le monde, pas seulement pour les Suisses.

Le problème, c’est donc le marché?
Je ne parlerais pas de problème. Certes, il y a des points discutables, comme le poids des intermédiaires. Mais l’exemple américain montre que dans les pays où les prix sont plus élevés, les médicaments arrivent plus vite sur le marché et restent plus longtemps disponibles. Cela bénéficie donc directement aux patients.

Les patients suisses devraient donc payer plus cher parce que Donald Trump mène un bras de fer? Cela n’a aucune chance d’être accepté.
Non. Il ne s’agit pas de relever les prix en Europe pour faire plaisir au président américain ou gonfler les marges. La question, c’est notre sécurité d’approvisionnement. Je comprends bien que personne ne veuille payer davantage. Mais le fond du problème, et c’est ainsi que je comprends la demande de Trump, c’est la répartition équitable des dépenses mondiales.

«La Suisse doit réfléchir à la manière dont son système solidaire peut garantir sa propre sécurité d’approvisionnement»

Que proposez-vous?
Le Département fédéral de la santé doit sortir de sa vision uniquement centrée sur les coûts. Cette logique a un effet pervers: de moins en moins de produits sont lancés en Suisse.

«Certains médicaments sont même retirés du marché parce que leur prix a atteint un niveau jugé intenable.»

La Confédération doit rétablir l’équilibre entre qualité, sécurité d’approvisionnement et coûts, comme le prévoit la loi sur l’assurance-maladie.

Mais menacer sans cesse de retirer des médicaments, est-ce crédible?
Nous ne menaçons pas. Nous constatons simplement la réalité. Quand les prix deviennent trop bas, une entreprise ne peut plus proposer son produit. Soit elle le retire, soit elle ne l’introduit jamais.

Mais la pharma a-t-elle vraiment besoin de marges de 40% et plus? Ne pourrait-elle pas se contenter de moins?
Ces marges ne sont pas excessives, vu les risques colossaux de la recherche. Dix ans d’efforts et des milliards investis peuvent s’évaporer si un projet échoue. Certes, les entreprises pourraient viser des marges plus faibles. Mais elles attireraient moins de capitaux. C’est la logique du marché. L’alternative serait une recherche publique. Or, l’histoire montre que ses résultats restent, disons, très modestes.

L’Office fédéral de la santé estime que la Suisse ne doit pas mener une politique de place économique en acceptant des prix plus élevés.
C’est faux. La politique de santé fait partie de la politique de place économique. Le prix des médicaments n’est qu’une pièce du puzzle, mais il a un effet énorme sur la sécurité d’approvisionnement et l’avenir de la recherche en Suisse.

N’exagérez-vous pas un peu?
Non. Prenons un exemple: une entreprise dont les prix sont trop bas n’introduira pas ses produits en premier en Suisse. Sinon, elle risquerait de voir ses prix s’aligner à la baisse partout ailleurs. Sachant cela, elle mènera aussi moins d’essais cliniques dans le pays.

«Résultat: la recherche pharmaceutique s’affaiblit dans son ensemble»

Droits de douane, pression sur les prix, incertitudes massives: la pharma est-elle à un tournant?
Oui. Le découplage entre les marchés américain et chinois est en cours depuis un moment. Donald Trump ne fait que le rendre plus visible. L’économie mondiale est à la veille d’une transformation structurelle profonde.

Qu’est-ce que cela signifie?
Le monde rétrécit, car les Etats-Unis et la Chine s’isolent. La concurrence pour les marchés restants s’intensifie, notamment dans la pharma. La question pour la Suisse, c’est de savoir comment rester compétitive face à des places comme Singapour ou l’Irlande. La bataille pour le «reste du monde» sans les Etats-Unis et la Chine ne fait que commencer. La Suisse doit absolument se doter d’une stratégie propre.

Cela veut dire que le premier secteur exportateur suisse pourrait déplacer ses emplois à Singapour ou en Irlande?
Il ne s'agit pas de délocalisation. Contrairement aux banques, on ne transfère pas une usine du jour au lendemain. Les investissements se planifient à long terme. Mais de nouvelles usines ou centres de recherche pourraient être implantés ailleurs qu’en Suisse. Cette tendance se dessine déjà.

Adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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