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Genève

Faut-il faire payer les manifestants? Ça se bagarre en Romandie

Des policiers antiemeute sont postes devant des manifestants pro-palestiniens lors d'un rassemblement non autorise en solidarite avec le peuple palestinien ce samedi 1 novembre 2025 a Sion, en Su ...
Image: KEYSTONE

«Les citoyens n'ont pas à payer pour des manifestants dans l'illégalité»

La facture «à plusieurs dizaines de milliers de francs» promise à l'organisateur de la manif pro-palestinienne du 1er novembre à Sion, est loin de faire l'unanimité. La liberté de manifester pourrait être entravée, estime un éminent juriste. En Valais, les positions varient, pendant qu'à Genève, on réfléchit toujours aux suites à donner aux violences de début octobre.
15.11.2025, 07:0615.11.2025, 13:04

La douloureuse n’est pas encore parvenue à son destinataire, mais elle s’annonce extrêmement salée. On parle de plusieurs dizaines de milliers de francs. La Conseil d’Etat valaisan a confirmé, vendredi, l’envoi prochain d’une facture à l’organisateur de la manifestation pro-palestinienne non autorisée du 1er novembre à Sion.

La police cantonale avait, la première, indiqué vouloir faire payer à ce dernier, une certain Gaël Ribordy, les heures travaillées ce samedi-là par ses dizaines d’agents déployés pour maintenir l’ordre.

Le Valais confond-il loi et représailles?

Ce coup de bambou financier asséné aux pro-palestiniens a produit chez eux à peu près le même effet que les 39% de droits de douane mis par Donald Trump à la Suisse, finalement ramenés à 15%, comme on vient de l'apprendre.

Retour en Valais. Le canton aux treize étoiles sert-il encore l'Etat de droit? Confond-il loi et représailles? Il a les textes cantonaux avec lui, qui l’autorisent à frapper au portemonnaie les organisateurs d’une manifestation non autorisée, comme ceux d’une manifestation autorisée qui aurait dégénéré, soulignaient nos confrères du Nouvelliste le 10 novembre.

Mais est-ce bien conforme aux droits fondamentaux que sont la liberté d'expression et de réunion? Joint par watson, le professeur émérite de droit constitutionnel de l’Université de Neuchâtel, Pascal Mahon, parle, dans le cas valaisan, d’un «effet dissuasif», «chilling effect» en anglais, et il trouve cela «tout à fait discutable».

«Agiter la menace de conséquences financières massives en amont d’une manifestation, autorisée comme non autorisée, peut être considéré comme une tentative de limiter le droit de manifester, un droit reconnu par la Constitution fédérale.»
Pascal Mahon, professeur émérite de droit constitutionnel de l’Université de Neuchâtel

Pascal Mahon cite la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui dit en substance:

«Le droit de manifester ne peut pas être annihilé par un effet dissuasif»
Pascal Mahon, professeur émérite de droit constitutionnel de l’Université de Neuchâtel

La plus haute juridiction suisse considère que les coûts des dommages commis lors d’une manifestation doivent être imputés à leurs auteurs, non aux organisateurs, sauf si ces derniers ont violé les conditions du droit de manifester, poursuit le professeur émérite de droit constitutionnel.

L'ONU plus libérale que le Tribunal fédéral

Sur la liberté de manifestation, le comité des droits de l’homme de l’ONU est plus libéral que le Tribunal fédéral, relève Pascal Mahon. Lequel comité estime en outre problématique le fait d’exiger une autorisation de manifester en toute circonstance.

Ces derniers mois, des villes romandes comme Genève et Lausanne ont fermé les yeux sur de nombreux rassemblements pro-palestiniens non autorisés, dits aussi spontanés. Un fonctionnaire cantonal tient toutefois à préciser:

«Dans les faits, ces rassemblements sont rarement spontanés. Ils obéissent à des appels prêts à être lancés sur des messageries et les réseaux sociaux.»

Les manifestations pro-palestiniennes des 18 septembre à Lausanne, 2 octobre à Genève et 11 octobre à Berne ont été émaillées de violences à des degrés divers. Le fonctionnaire cantonal cité plus haut fait remarquer:

«Les syndicats qui relaient des appels à manifester émanant de groupuscules radicaux devraient peut-être faire plus attention. Ils ont une responsabilité»
Un fonctionnaire cantonal

Nantermod approuve, mais...

En Valais, le conseiller national PLR Philippe Nantermod approuve «totalement» la décision du Conseil d’Etat d’adresser la facture des heures travaillées de la police à l’organisateur de la manifestation non autorisée du 1ᵉʳ novembre à Sion.

«C’est un principe de responsabilité assez logique. Je ne vois pas pourquoi les contribuables devraient s’acquitter des coûts des actes illicites de certains. Idem pour une manifestation autorisée qui mène à des casses.»
Le conseiller national PLR/VS Philippe Nantermod

Ceci étant dit, Philippe Nantermod défend le droit de manifester.

«Le principe à retenir est que les manifestations doivent être autorisées»
Le conseiller national PLR/VS Philippe Nantermod

Le PS valaisan contre le Conseil d'Etat

Le président du Parti socialiste valaisan, Clément Borgeaud, ne partage pas l’avis du conseiller national PLR sur le paiement des heures de travail de la police par les organisateurs de manifestations non autorisées:

«Des organisations internationales de premier plan s’accordent à dire que facturer les coûts policiers aux organisateurs constitue une restriction à l’exercice du droit fondamental à manifester pacifiquement, que la manifestation soit autorisée ou non. La jurisprudence fédérale va également dans ce sens.»
Clément Borgeaud, président du Parti socialiste valaisan

Dans le canton de Genève, la loi peut être dure envers les organisateurs de manifestations non autorisées. Encore faut-il pouvoir identifier les organisateurs. Ou le vouloir, les autorités pouvant se montrer plus ou moins conciliantes. Il n’en demeure pas moins que:

«Celui qui a omis de requérir une autorisation de manifester, ne s’est pas conformé à sa teneur, a violé l’interdiction édictée à l’article 6, alinéa 1, ou ne s’est pas conformé aux injonctions de la police est puni de l’amende jusqu’à 100 000 francs.»
La loi genevoise

Genève ne facture pas les frais de police

«L’organisateur, précise Laurent Paoliello, directeur de la coopération et de la communication du Département genevoise des institutions et du numérique (DIN), peut être amené à réparer les dégâts occasionnés s’il a une responsabilité, si l’on observe une causalité entre les manquements ou actions de l’organisateur et les dégâts».

Mais contrairement à ce que le canton du Valais s’apprête à faire, celui de Genève ne facture pas les frais de police pour les manifestations à caractère politique pouvant se prévaloir des libertés fondamentales.

Manif du 2 octobre: «En cours d'analyse»

A propos de la casse et des heurts avec la police survenus lors de la manifestation pro-palestinienne non autorisée du 2 octobre à Genève, «le DIN est toujours en train de faire une analyse détaillée de ces évènements», indique le chef du Service de la communication et des relations publiques de la police, Alexandre Brahier. Cette analyse se fait en collaboration «avec certaines associations». Une communication sera faite «ultérieurement». Le sujet est manifestement sensible.

Dans la pratique, «la préparation d’une manifestation amenant à la délivrance de l'autorisation du département en charge de la police donne lieu également à des séances avec l'organisateur», poursuit Alexandre Brahier. Les manifestations peuvent être filmées. La police peut en tout temps agir pour des crimes et délits commis au cours de manifestations autorisées et a fortiori lors de rassemblements n'ayant pas fait l'objet d'une demande d'autorisation.

Fédéralisme oblige, les cantons, soumis à la jurisprudence du Tribunal fédéral, n'en disposent pas moins, on le voit, de marges de manœuvre et d’appréciation. Face aux exactions commises par des éléments radicaux lors de manifestations, la tendance observée semble être un durcissement des conditions encadrant cette liberté jugée fondamentale en démocratie.

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