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Comment l'Uni de Genève entend agir à Gaza avec al-Quds

L'hôpital Ransiti pour enfants, à Gaza, détruit, 19 octobre 2025. Médaillon: le professeur Karl Blanchet.
L'hôpital Ransiti pour enfants, à Gaza, détruit, 19 octobre 2025. Médaillon: le professeur Karl Blanchet.image: ANADOLU VIA AFP

L'Uni de Genève a un plan d'action à Gaza, mais il y a «une ligne rouge»

Forte d'un partenariat avec l'université palestinienne al-Quds de Jérusalem, l'Uni de Genève entend déployer son expertise en médecine humanitaire dans l'enclave meurtrie. Interview du professeur Karl Blanchet, à l'origine, côté suisse, de cette initiative.
11.11.2025, 18:4511.11.2025, 18:55

Karl Blanchet dirige le Centre d'études humanitaires de la Faculté de médecine de l'Université de Genève (Unige). Un partenariat officiel appelé Memorandum of Understanding (MoU) doit être signé début 2026 entre l'alma mater genevoise et l'université palestinienne al-Quds de Jérusalem (al-Quds signifie Jérusalem en arabe). Cet accord, dont watson a révélé l'élaboration en cours il y a dix jours, prévoit un partage de compétences entre les deux institutions. Il doit faciliter le travail de médecine humanitaire que souhaite mener l'Unige dans la bande de Gaza. Mais il faudra avant cela obtenir les autorisations d'Israël et des Etats-Unis, la ligne rouge étant le Hamas. Voici, en exclusivité, la feuille de route.

A quand remonte le projet de partenariat entre l’Unige et l’université palestinienne al-Quds de Jérusalem?
Karl Blanchet: C’était en mai de cette année. Le Centre d’études humanitaires de la Faculté de médecine de Genève que je dirige avait monté un cours commun sur la diplomatie humanitaire avec l’Université Ahmad Bin Khalifa, à Doha, au Qatar. Pendant une semaine, des membres de cette université et moi-même, ainsi que des représentants de l’ONU, avons discuté de ce qu’il faudrait faire pour améliorer la diplomatie humanitaire au Moyen-Orient, dans des pays ou territoires comme la Syrie, le Soudan, le Yémen, la Palestine et bien évidemment Gaza.

Comment en êtes-vous venu l'idée d'un partenariat?
Pendant cette semaine-là, un professeur de l’Université al-Quds, Hamdan Motassem, alors en détachement à Doha, nous a fait une présentation sur la situation humanitaire catastrophique à Gaza. C’est à ce moment qu’est née l’idée d’un partenariat officiel entre le Centre d’études humanitaires de la Faculté de médecine de Genève et l’Université al-Quds, afin de permettre aux chercheurs de chaque côté investis dans ce domaine de travailler ensemble.

Le professeur Hamdan Motassem est lui-même palestinien?
Il est palestinien, rattaché à la Faculté de santé publique d’al-Quds, qui est la plus grande université de Palestine et qui jouit d’une très bonne réputation en termes scientifiques et académiques.

Que recouvre concrètement votre projet?

«Jusqu’au cessez-le-feu du 10 octobre, tout était hypothétique, car il était impossible jusqu’à cette date d’entrer dans Gaza»

Notre idée repose sur un constat: toutes les universités de Gaza ont été détruites, elles n’ont plus aucune ressource, beaucoup de gens qui y travaillaient sont décédés, ont survécu ou réussi à fuir, mais personne n’est opérationnel. Il s’agirait donc de voir comment, dans un premier temps, nous, à Genève, en partenariat avec al-Quds, pourrions remettre en place un système d’information.

Dans quel but?
Pour que les opérateurs sanitaires de la région, mais également internationaux, comme le CICR, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et Médecins sans frontières (MSF), puissent travailler en coordination sur place.

«Le fait, pour l’Unige, de s’allier avec l’Université al-Quds nous permettrait d’aller plus vite dans cette démarche d’urgence»

Quelle serait l’étape d’après?
On va arriver à la reconstruction de Gaza. Il faudra reconstruire non seulement les hôpitaux, mais aussi un réseau de santé. Avant la guerre, ce réseau était fait d’agents intégrés à des communautés de quartiers, agents eux-mêmes appuyés par des centres de santé. Au-dessus, il y avait les hôpitaux, environ une trentaine dans l’enclave. Beaucoup d’entre eux ont perdu leurs capacités. Il s’agira de reconstruire des infrastructures de santé au bon endroit, en faisant en sorte que les gens puissent travailler ensemble. Réfléchir sur la localisation et sur le type de services de santé qui doit être offert dans chaque quartier, par exemple, est essentiel. L’objectif est donc qu’Al-Quds et l’Unige se mettent ensemble pour apporter leurs lumières au futur plan de reconstruction.

Dans la configuration politique et sécuritaire actuelle, sachant qu’Israël contrôle les déplacements des Palestiniens, l’Université al-Quds pourrait-elle intervenir physiquement à Gaza pour y déployer ses compétences?
C’est une question essentielle, pour laquelle nous n’avons actuellement pas de réponse. Dans le passé, il y avait une collaboration. Des professeurs d’al-Quds pouvaient entrer physiquement dans Gaza. Cela posait peu de problèmes, même s’il y avait sans doute un système de permissions. Dans le contexte actuel, ce sera sans doute beaucoup plus compliqué. Tout notre problème, pour penser la reconstruction du système de santé à Gaza, ce sont les incertitudes sur l’avenir.

«Nous ne savons pas comment les Israéliens, mais aussi les Américains, qui entendent superviser la transition à Gaza, veulent repenser les mouvements de populations et ceux des professionnels»

Mais ce qui est certain, c’est que l’Université al-Quds a beaucoup plus accès que nous aux données sanitaires de la population palestinienne dans son ensemble. Ce que nous, nous pouvons faire, c’est donner un coup de main pour aller plus vite dans la planification.

Quelles sont les compétences que le Centre d’études humanitaires de la Faculté de médecine de Genève peut apporter dans ce contexte?

«Nous sommes à la pointe sur tout ce qui touche à l’épidémiologie et à l’analyse des données populationnelles»

Nous sommes également compétents en termes de sciences sociales, pour comprendre, par exemple, les comportements des patients palestiniens lorsqu’ils cherchent à avoir accès aux soins. On touche ici à des aspects psychologiques. En effet, il va falloir reconstruire des relations de confiance entre le système de santé et la population, qui, aujourd’hui, avec la peur des bombardements qui s’est installée, peut craindre de se rendre à tel ou tel endroit pour se faire soigner.

La Gaza Health Initiative (GHI), dont le Centre d’études humanitaires fait partie et qui a été lancée en 2024 pendant la guerre à Gaza pour penser l’après, comme le signalaient nos confrères du Temps à l'époque, a-t-elle sa place et inversement dans le projet de MoU entre l’Unige et l’Université palestinienne al-Quds?

«Oui, la convergence est totale»

Al-Quds, qui connaît bien la situation et les acteurs locaux, va nous permettre de lire et de traduire ce qui se passe sur place, et nous aiguiller sur les priorités plutôt que de nous éparpiller et de risque de faire n’importe quoi.

Qu’est-ce qui est compliqué à lire et à traduire?
Ce sont les dynamiques sociales et politiques locales. Encore une fois, un partenaire palestinien, dans ce contexte, est essentiel.

Vous-mêmes, acteurs suisses et internationaux, devrez pouvoir agir dans la bande de Gaza. Mais obtiendrez-vous pour cela l’autorisation d’Israël et des Etats-Unis?

«La ligne rouge, pour nous, à l’Unige, c’est une collaboration avec le Hamas ou ce qu’il en reste, étant donné les attaques terroristes du 7 Octobre. Une telle collaboration est impensable»

On sait qu’Israël a reproché à la Suisse ses liens étroits avec l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens. Israël a accusé des membres de l’UNRWA d’avoir participé aux attaques du 7 Octobre. Face à ces allégations, l’ONU avait licencié neuf employés de l’agence. Est-ce que tout cela est, si l’on peut dire, de l’histoire ancienne?
Il est évident, au niveau de la politique internationale, que les Etats doivent, pour l’heure encore, s’assoir avec le Hamas pour négocier. Mais pour nous, acteurs académiques de la santé humanitaire, une telle chose n’est pas envisageable. C’est pourquoi l’OMS est le partenaire privilégié, sur lequel nous comptons pour nous dire «venez travailler à travers nous, vous éviterez tous les écueils politiques».

Est-ce que le Centre d’études humanitaires entretenait des liens avec des partenaires dans la bande de Gaza avant le déclenchement de la guerre?

«Avant l’éclatement de la guerre, nous n’avons jamais travaillé à Gaza, ni en Palestine en général»

Dans la région, nous étions en Jordanie. Nous avions des collaborations en Syrie, au Liban. Dans ce dernier pays, nous avons agi auprès de réfugiés syriens.

Pour rester dans la géopolitique, le fait d’avoir entamé un partenariat avec l’Université al-Quds par l’entremise du Qatar, le Qatar dont on connaît l’influence dans le jeu diplomatique, ses liens avec Hamas, mais aussi avec les Etats-Unis et Israël, est-il un atout ou un handicap au regard de votre projet de MoU?

«Le Qatar peut être un désavantage pour nos relations avec Israël»

Mais, maintenant, les acteurs au Qatar ont quand même cette capacité, un peu comme Genève en termes de diplomatie internationale, à mettre autour de la table des gens qui normalement ne parviennent pas à se parler. Ce qui fait que mes collègues de l’Université Ahmad Bin Khalifa de Doha sont en contact avec un certain nombre d’acteurs dans différents pays réputés difficiles, l’Afghanistan et la Syrie, par exemple.

Quand signerez-vous le MoU avec al-Quds?

«Le projet d’accord est rédigé. Il a été envoyé au doyen de Jérusalem. Il devrait être signé début 2026»

Le contenu de ce MoU est tout à fait transparent. C’est un échange de compétences sur des projets de recherche communs. C’est aussi un échange de ressources scientifiques.

L’Université al-Quds se trouvant à Jérusalem-Est, en territoire occupé, l’accord du gouvernement israélien est-il requis pour la conclusion du MoU?
Non, pas pour la signature du MoU. Mais l’accord israélien sera très probablement nécessaire pour nous déployer ensuite sur le terrain.

Vous faut-il aussi le feu vert, côté suisse, du Conseil fédéral?
Comme il s’agit d’un accord scientifique, non. Mais je peux m'imaginer que l’Unige en informera le Conseil fédéral.

Le vice-recteur de l’Unige, Stéphane Berthet, a indiqué à watson que ce MoU ne donnera pas lieu à des déplacements à Genève d’étudiants palestiniens, que la collaboration se fera en distanciel.
En effet, cela vaut pour les étudiants palestiniens. S’ils souhaitent avoir accès à un cours donné par l’Unige, il sera fait à distance, ou alors je me rendrai sur place à Jérusalem. Mais il est fort possible qu’on organise une visite à l’Université de Genève d’un ou deux collaborateurs de l’université al-Quds.

La collaboration avec al-Quds aura-t-elle un coût financier pour l’Unige?
Pour l’instant, on n’a pas prévu de budget particulier, parce qu’on pense que ça commencera doucement. De toute manière, c’est le Centre d’études humanitaires de la Faculté de médecine de Genève qui couvrira ces coûts. Mais ils seront très minimes. S’il devait y avoir des projets de recherche beaucoup plus conséquents, les départements concernés de nos deux universités iraient chercher de l’argent ensemble.

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