En sa qualité de ministre des Finances, la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter surveille de près les caisses fédérales. Pourtant, malgré des pertes estimées à environ 400 millions de francs pour l'Etat, le Conseil fédéral et le Parlement recommandent de voter oui à la suppression de la valeur locative. La conseillère fédérale l'a affirmé:
La suppression de la valeur locative allégera les propriétaires, mais en contrepartie, les déductions fiscales pour les intérêts hypothécaires disparaîtront.
Mais «les propriétaires ne pourront pas tout avoir. L’incitation à s’endetter sera réduite, ce qui pourra renforcer la stabilité du système financier, et donc servir l’intérêt de l’Etat», a expliqué la présidente de la Confédération.
Pour le Conseil fédéral, ce changement de loi serait de bon augure. Mais dans le détail, qui profitera de la réforme, et qui préférerait maintenir le statu quo? Tour d’horizon des principales questions autour de l’objet soumis au vote populaire en septembre.
Sur la possibilité pour les cantons d’introduire un impôt sur les résidences secondaires. Pour cela, une modification de la Constitution est nécessaire.
C’est bien le cas. L’abolition de la valeur locative est liée au projet d’impôt sur les résidences secondaires. Si le peuple rejette ce nouvel impôt, l’ancien qu'est la valeur locative ne sera pas supprimé. De fait, nous votons donc sur l’abolition de la valeur locative, même si celle-ci n’est pas mentionnée sur le bulletin de vote.
Tout propriétaire d'une maison ou d’un appartement doit indiquer dans sa déclaration d’impôts un loyer fictif, et le déclarer comme revenu imposable. La valeur locative est inférieure au loyer du marché, et son impact réel varie d’un canton à l’autre.
A l'origine, la valeur locative a été instaurée pour renforcer l’Etat durant la crise économique mondiale. Elle a ensuite été inscrite dans le droit ordinaire. Aujourd’hui, elle sert à placer propriétaires et locataires sur un pied d’égalité. Comme les propriétaires ne paient pas de loyer, ils doivent déclarer un revenu dit «en nature». En contrepartie, ils peuvent déduire de leur revenu imposable les intérêts de leurs dettes et les frais d’entretien de leurs biens immobiliers.
Beaucoup de propriétaires ne comprennent pas la valeur locative. Le système actuel pousse aussi à de mauvais choix. Sur le plan fiscal, il n’est pas avantageux de rembourser son hypothèque, puisque cela fait disparaître les déductions d’intérêts. C’est l’une des raisons pour lesquelles les ménages en Suisse restent si endettés. Pour les propriétaires âgés, la valeur locative devient également un fardeau, car quand les prix de l’immobilier grimpent, celle-ci augmente elle aussi. Avec une petite retraite, certains se retrouvent vite en difficulté
Parce que ni le Parlement ni le peuple n’ont voulu aller aussi loin. La discussion actuelle a occupé le Parlement pendant plus de sept ans.
Jusqu’ici, la droite voulait supprimer la valeur locative mais conserver les déductions. Cela aurait créé un net déséquilibre en faveur des propriétaires. Le projet actuel va plus loin, il supprime la valeur locative et la plupart des déductions en même temps.
Avec des taux hypothécaires de 1,5 %, la Confédération estime que les pertes fiscales atteindraient 1,8 milliard de francs par an. La plus grande partie toucherait les cantons et les communes, mais la Confédération perdrait aussi 400 millions. Tout dépendra de l’évolution des taux. Plus ils resteront bas, plus les caisses publiques se videront. Mais s'ils dépassaient 3%, l’Etat encaisserait davantage que maintenant. Pour l'instant, une telle hausse ne se profile pas.
Après le changement, la plupart des propriétaires paieront moins d’impôts. Tant que les taux resteront bas, beaucoup y gagneront. Ceux qui auront déjà remboursé tout ou partie de leur hypothèque profiteront clairement de la réforme. En revanche, ceux qui habiteront une maison à rénover et garderont une lourde dette risqueront de payer davantage, puisque toutes les déductions disparaîtront.
Les caisses publiques. Les cantons de montagne, eux aussi, vont beaucoup perdre, car la valeur locative va également disparaître pour les résidences secondaires. L’impôt prévu sur ces logements est censé compenser le futur manque à gagner, mais nul ne saura s’il suffira.
L’Union suisse des arts et métiers appelle à voter oui. Mais une partie de la branche du bâtiment craint de perdre des commandes, car sans déductions fiscales, certains propriétaires repousseront leurs rénovations ou les feront réaliser au noir. A court terme, il y aura pourtant sans doute un boom de la construction, et de nombreux propriétaires se dépêcheront de lancer des travaux avant l’entrée en vigueur du nouveau système.
Ils ne verront presque aucune différence. La valeur locative ne s’appliquera qu’aux biens occupés par leurs propriétaires. Le Parlement prévoira cependant une déduction pour les primo-acquéreurs. Celle-ci allégera la facture de ceux qui achèteront une maison ou un appartement pour la première fois. Ce seront donc surtout les futurs propriétaires qui en profiteront. L’Asloca va, elle, s'opposer au projet.
Les partis bourgeois, du Centre à l’UDC, ainsi que l’Union suisse des propriétaires fonciers. Cette dernière a d’abord souhaité conserver une partie des déductions, mais elle a finalement opté à l’unanimité pour la consigne du oui.
Le Parti socialiste surtout. Ce dernier estime ce changement injuste, car il pénalisera les locataires. Même au sein du parti, les avis ont évolué. Lors du débat parlementaire, Jacqueline Badran, par exemple, défendait encore le modèle actuel, qu’elle considérait comme un compromis acceptable.
Le scrutin s’annonce serré. Si l’Association des propriétaires mobilise massivement, elle pourra l’emporter. Ses membres vont déjà plus souvent voter que les locataires. Mais il faudra aussi franchir l’obstacle de la majorité des cantons. Si les cantons de montagne et les cantons romands favorables aux locataires disent non, le vote sera très serré.
Traduit de l'allemand par Joel Espi