«Ma voisine a fait fuir une dizaine de locataires»
Ivana* pensait être tombée sur la pépite locative de ses rêves. Un loyer abordable, un petit appartement très bien agencé, le tout, à deux pas du centre-ville de Lausanne. Hélas, au moment du déménagement, cette jeune Romande va se frotter à la sensibilité exacerbée de sa nouvelle voisine du dessous. Ce qu’Ivana ne sait pas encore, c’est qu’elle vivra «un véritable enfer», avant de se résoudre à quitter l’immeuble en catastrophe quelques mois plus tard.
Nous sommes début février 2025. A peine ses premiers cartons déballés que la nouvelle locataire reçoit sur son palier un cadeau de bienvenue qui sent le souffre. Un petit mot manuscrit et sec qui l’accuse d’avoir «violemment claqué les portes». Même si elle n'a pas le souvenir d’un tel festival de décibels, la jeune Vaudoise d’adoption se dit que, dans le tumulte du déménagement, elle a peut-être bien fait voler quelques portes de manière involontaire.
Précision qui aura son importance dans le récit, Ivana n’est pas ce que l’on peut appeler une noceuse et n’a jamais eu pour habitude de faire trembler ses murs à coups de fêtes répétées. Pourtant, quelques jours plus tard, un deuxième post-it de la même voisine viendra se loger contre sa porte d’entrée. Ivana ferait encore «trop de bruit».
Une accusation très vite doublée d’un avertissement officiel de la régie immobilière, cette fois dans la boîte aux lettres: «Suite à une plainte du voisinage, j'étais priée de respecter le calme et de ne pas faire de bruit entre 22h et 7h», nous explique la toute fraiche nouvelle locataire qui s’est sentie méchamment coupable.
Déterminée «à prouver aux nouveaux voisins» qu’elle est «une personne respectueuse», Ivana commence ainsi à décrypter le moindre de ses faits et gestes, pour être bien certaine de ne pas violer les règles du vivre ensemble.
Malgré une volonté tenace de «tout faire comme il faut», quelques semaines plus tard, notre interlocutrice tombera de manière fortuite sur cette fameuse voisine, manifestement courroucée, au pied de l’immeuble. S’en suivra une longue discussion durant laquelle Ivana s’excusera «du dérangement».
Tout est bien qui finit bien? Pas vraiment.
«En gros, j’ai compris qu’elle avait réussi à faire fuir une dizaine de locataires», fulmine-t-elle, encore un peu sous le choc de cette longue mésaventure. Car, durant cette première rencontre, la voisine lui balance qu’elle hésite à lui «envoyer la SPA». En cause? Le petit chien d’Ivana ne ferait qu’aboyer. Une menace que cette voisine a fini par mettre à exécution.
Un soir, une carte de visite d’un employé de la Société protectrice des animaux, coincé sur sa porte d’entrée, accueillera notre locataire. Ivana est prise d’angoisse.
Se sentant prise au piège, et après la visite de la SPA qui ne révélera d’ailleurs aucun mauvais traitement, notre interlocutrice envisage de quitter son appartement. C’est alors qu’une seconde lettre de la gérance viendra enfoncer le clou. C’est décidé, Ivana va fuir le plus vite possible ce qu’elle considère désormais comme «un enfer».
Or, qui dit empressement, dit aussi obligation pour elle de dégoter un repreneur de son bail, résilié de manière anticipée.
Effrayée à l’idée d’avoir à assumer deux loyers en même temps, Ivana décidera de ne rien dire. Et, sans grande surprise, à peine installé, le nouveau locataire de cet appartement a eu droit aux mêmes menaces.
Quant au précédent locataire, même s’il a nous avoue avoir déménagé en raison d’un nouvel emploi dans un canton voisin, il a, lui aussi, subi les plaintes de cette voisine du dessous. Avec, en prime, la police à sa porte: «Un soir, j’étais avec deux copains devant la télévision, il était environ 22 heures, on ne faisait pas de bruit inconsidéré. Soudain, ça sonne à la porte. Trois agents étaient sur mon paillasson. Ils ont bien vu que tout était calme», nous explique *Seb au téléphone.
Agacé par l’ampleur de cette affaire, et après plusieurs soirs d’affilée à entendre le balai qui tape contre son parquet, il décide d’aller parler à la voisine accompagné des policiers. Malgré l’insistance des forces de l’ordre, la porte restera fermée: «J’ai sonné chez elle tous les soirs pour tenter de régler le problème, mais elle ne m’a jamais ouvert». Jusqu’à la confrontation, fortuite, sur le palier, le jour de son départ de l’immeuble.
Comment peut-on se sortir d’un tel traquenard?
Contactée par watson, l’Asloca avoue avoir déjà eu affaire à ce type bien particulier de conflits de voisinage: «Il n’est pas rare d’avoir affaire à un locataire extrêmement sensible qui se plaint régulièrement de nuisances, réelles ou supposées, auprès de la partie bailleresse», nous explique au bout du fil Fabrice Berney, secrétaire général de la section vaudoise de l’Association suisse des locataires.
Qui arbitre la notion de nuisance?
Fabrice Berney nous explique qu’en cas de conflits de voisinage, les régies et les bailleurs «devraient instruire les nuisances», ce qu’ils font «rarement» et qui «fragilise leurs décisions futures». En gros: enquêter et proposer une médiation, dès qu’un cas parait moins évident que prévu.
Or, pour cela, il faudrait que les locataires qui se sentent injustement accusés se plaignent à leur tour et ouvertement à la gérance.
Ce qui ne va manifestement pas de soi: «Comme le montre votre exemple, le locataire qui reçoit une plainte pour nuisances se sent souvent juridiquement faible et même dans son tort, avec la peur de voir son contrat de bail résilié. La situation peut très vite devenir intenable», développe le secrétaire général de l’Asloca Vaud, qui précise que ces locataires sont parfois «aux prises avec des voisins contrariés pour d’autres raisons».
Car ce voisin excédé par des nuisances peut lui-même risquer de se voir signifier son congé s’il ses plaintes répétées s’avèrent injustifiées.
Que faire, alors, si l’on se retrouve dans ce type de traquenard? «La meilleure solution serait de réunir les locataires de l’immeuble dans une pétition et d’expliquer clairement qu’un voisin dépasse les bornes. Or, votre exemple le montre, s’engager ouvertement dans un conflit effraie bien souvent les locataires, qui se contentent alors de quitter leur logement au plus vite», conclut le secrétaire général de l’Asloca.
Un «chacun pour soi» moins contraignant qu’un marathon juridique, mais qui ne va pas apaiser de si tôt la cohabitation et la vie quotidienne dans cet immeuble lausannois.