Les démocrates de Suisse profitent de la Fête nationale américaine pour signifier leur mécontentement à l’égard de la politique de Donald Trump. Pourquoi est-ce important de se faire entendre dans notre pays?
Karin Powell: Le plus important, c’est en priorité d’apporter notre soutien à nos familles, nos amis, nos compatriotes qui vivent aux Etats-Unis. Ensuite, c’est un geste sincèrement patriote. Et l’époque dans laquelle nous vivons rend parfois difficile de se rappeler ce que ça signifie vraiment.
Et que veut dire être patriote, pour une démocrate de Suisse comme vous?
En tant qu’Américains à l’étranger, nous considérons toujours les Etats-Unis comme notre patrie. Nous sommes très attachés à notre pays. Etre patriote, c’est d’abord l'amour de son pays. Mais, vous savez, cela peut signifier beaucoup de choses pour beaucoup de gens différents. Mais pour nous, cela signifie que tout ce que nous pouvons entreprendre pour soutenir la démocratie, une démocratie vraie et juste, nous le ferons.
Avez-vous l’impression que votre président, Donald Trump, a modifié ou s’est approprié de force la définition du patriotisme?
Non, je crois qu’il n’y est pas encore parvenu. Ce que fait Trump, c'est du nationalisme. Ce sur quoi nous nous concentrons vraiment, c'est le patriotisme, qui vient d'un lieu d'amour, de soutien et d'égalité. Il faut réussir à faire la distinction entre la honte de nos politiciens et du gouvernement actuel et l'amour que nous portons à notre pays.
Justement: l’extrême droite semble avoir «kidnappé» les drapeaux nationaux un peu partout dans le monde. J’ai moi-même une casquette arborant les couleurs américaines et, malgré la mention «California», un bastion démocrate, on la considère souvent comme un soutien à Trump...
Oui et c’est bien dommage. Je pense que, si plus de gens faisaient ce que vous faites, le problème ne serait pas aussi grave. Il s'agit d’une étrange oscillation entre un nationalisme primaire et ce que le patriotisme signifie réellement. Cette notion a été noyée au profit d’une définition brutale et excluante.
Il y aura donc des drapeaux américains fièrement brandis à Lausanne et à Zurich, ce week-end, pour tenter de les arracher des griffes du trumpisme?
Je pense que, si une grande partie des gens manifestaient et associaient fièrement le drapeau américain à nos messages, alors on pourrait le reprendre à l’extrême droite. Les républicains sont excellents dans ce domaine et nous devrions être meilleurs! Malgré tout, je ne pense pas qu’il y en aura beaucoup ce week-end. Du moins pas officiellement, car, en tant qu’organisation, nous nous devons de rester prudents.
Vraiment? C’est carrément contradictoire de ne pas afficher officiellement ses couleurs pour défendre son pays, vous ne trouvez pas?
Je suis d’accord avec vous, mais il en va de la sécurité de nos membres et nous ne voulons pas créer de confusion.
Enfin, nous ne bénéficierons pas de la même sécurité renforcée que les manifestations organisées aux Etats-Unis en ce moment.
En même temps, c’est dangereux d’abandonner un blase américain qui trône encore devant chaque maison dans votre pays.
Exactement. Si nous restons en retrait et que nous le laissons prendre le contrôle de notre plus grand symbole, ce serait une grave erreur. Mais je pense que nous oublions aussi que s’opposer bruyamment aux décisions autoritaires de Donald Trump et au gouvernement en général est très bon pour la démocratie. C'est un geste fort et patriotique. Et nous serons fiers de l’affirmer ce week-end.
De manière générale, pensez-vous que les démocrates sont moins à l’aise que les républicains à l’idée d’assumer leur fierté d’être Américains?
Tout à fait. Et, vous savez, cela commence à nous tirer vers le bas.
Tout aussi important, je pense que les Etats-Unis devraient davantage enseigner la signification et l’importance de la Constitution américaine aux enfants. C’est une vieille histoire...
En marchant à Lausanne et Zurich, vous profitez des manifestations anti-Trump estampillées «No Kings», qui ont déferlé sur les Etats-Unis récemment?
Dans notre pays, comme dans le reste du monde, il y a effectivement une véritable frénésie anti-Trump dans les rues et c’est très réjouissant. Une grande partie de la population est en colère et l’exprime. En Suisse, nous serons dans le même esprit, même si l’ampleur sera logiquement moindre.
Trump a fait chuter la popularité de votre pays. Les voyages aux Etats-Unis n'ont plus la cote, notamment auprès des Suisses. Comprenez-vous cela?
Les compagnies aériennes annoncent effectivement que les gens hésitent ou ne veulent carrément pas aller aux Etats-Unis. Des vols ont été annulés et le tourisme en prend un sérieux coup. Mais j’aime penser que cela donne avant tout une mauvaise image de Trump et du Parti républicain, et non du peuple ou du pays en général. Trump crée de la peur et les Américains ont tout aussi peur que les Suisses ou le reste du monde.
Rétrospectivement, comment analysez-vous la campagne présidentielle et la défaite de Kamala Harris?
Beaucoup disent que nous n'étions vraiment pas préparés à la façon dont Donald Trump a abordé les minorités. Comment il a tendu la main aux communautés armé, notamment, de la religion. Il faut avouer qu’il a réussi a créé un sentiment d'appartenance même si tout cela est hypocrite et gorgé de manipulation.
Dites-vous que les démocrates ont été trop faibles là où Trump a frappé fort?
Oui, voilà. Je pense que nous avons manqué le coche sur ce point. Nous n'avons pas compris assez vite que la classe ouvrière américaine n'est plus vraiment la classe ouvrière d'origine.
La faute à Kamala Harris?
Non, pas du tout. Kamala Harris a fait un excellent travail, mais elle est sans doute apparue trop tard dans le processus.
Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis ont choisi Trump pour quatre ans. Et le cliché du citoyen américain «stupide» est plus que jamais présent dans les esprits, notamment en Suisse, où beaucoup se demandent comment vous avez pu élire un tel personnage...
Stupide est un mot assez grossier, mais, oui, je l’ai aussi entendu. Cette impression a toujours existé, c’est juste que ça s'est enflammé avec l’élection de Donald Trump. Peut-être que nous le méritons depuis l’élection de novembre! (Elle éclate de rire).
Il faut dire que l’on a souvent du mal à comprendre les Etats-Unis et les Américains depuis la Suisse...
Je crois que c’est un pays unique au monde, qui a fait de grandes choses en même pas quelques centaines d’années. Mais c’est aussi un pays gigantesque, compliqué, pluriel et où des centaines de millions d’habitants naissent sans avoir les mêmes chances au départ, notamment à cause d’un système d'éducation publique qui n’est vraiment pas excellent. Depuis la Suisse, je comprends que notre fonctionnement puisse interroger.
Bien sûr, l’armée utilise des armes et la plupart des citoyens suisses doivent apprendre à s’en servir, mais tout est contrôlé et très sécurisé. Ici, on ne lit pas tous les jours dans la presse que des citoyens se font descendre en pleine rue. Il y a aussi la notion de neutralité, qui me plait beaucoup, même si elle est de plus en plus questionnée en ce moment. J’aime beaucoup votre pays, une partie de ma famille y vit avec moi, c’est un endroit paisible et magnifique.
Et un peu boring, aussi, non?
Non pas du tout! Quand un peuple a la chance de pouvoir voter sur autant de sujets politiques, ça ne sera jamais ennuyeux.
Combien d’Américains démocrates, comme vous, vivent en Suisse actuellement?
Ah, si je vous le disais, il faudrait que je vous tue! Non, je plaisante. Disons simplement que ça se chiffre en milliers, mais je ne peux pas vous le dire avec précision. Le plus important, c’est qu’avec ce qui se trame dans mon pays avec les ravages de Donald Trump, nous avons plus de membres que jamais!
La manifestation aura lieu samedi, dès 11h à Lausanne et dès 11h30 à Zurich. Plus d’info ici.