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Cathédrale de Lausanne: un verset du Coran crée la polémique

Mabe Fratti se produit dans la Cathedrale de Lausanne lors de la 51eme edition du Festival de la Cite ce mardi, 4 juillet 2023 a Lausanne (KEYSTONE/Cyril Zingaro)
Cathédrale de Lausanne. 5 juillet 2023Image: KEYSTONE

Un verset du Coran crée la polémique à la cathédrale de Lausanne

Des députés vaudois s'insurgent contre la récitation d'un verset coranique, le 16 novembre à la cathédrale de Lausanne lors d'une célébration interreligieuse. Ils ont écrit à la présidente du Conseil d'Etat.
02.12.2025, 05:3602.12.2025, 06:11

Le 16 novembre s’est tenue une célébration interreligieuse en la cathédrale de Lausanne, qui fête ses 750 ans. La présidente du Conseil d’Etat, Christelle Luisier, assistait à la cérémonie. Thème choisi par la plateforme institutionnelle du dialogue interreligieux du canton de Vaud: la figure d’Abraham, commune aux trois grands monothéismes. Pour le culte musulman, représenté par l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM), cette participation était une première. Un imam a récité des versets du Coran, d’abord en arabe, la langue originelle du livre sacré de l’islam, puis en français.

L’un d'eux a fait tiquer dans l’assistance. Il s’agit du verset 64 de la sourate 3, qui aborde les relations entre islam et christianisme. Membre de l'Eglise réformée vaudoise (EERV), Shafique Keshavjee, une formation de théologien et de pasteur, connu pour sa volonté de dialogue et sa vigilance face à l’islam politique, juge ce verset «ambigu».

«Pris dans son contexte, il peut être interprété comme une manière d’inciter les gens du Livre, ici les chrétiens et les juifs, à se convertir à l’islam et à se soumettre à Allah. A mon avis, et je ne suis pas seul à le penser, sa lecture était malvenue dans un tel lieu et en de telles circonstances.»
Shafique Keshavjee, théologien et pasteur

Que contient ce verset? Ceci:

«Dis: "Ô gens du Livre ! Venez à une parole commune entre nous et vous: que nous n’adorions qu’Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors d’Allah." Puis, s’ils tournent le dos, dites: "Soyez témoins que nous, nous sommes soumis."»
Sourate 3, verset 64

Pour Shafique Keshavjee, «l’expression "sans rien lui associer" peut être comprise, et c’est ainsi qu’elle l’a été par tous les commentateurs musulmans, comme une critique de la trinité chrétienne, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, jugée associatrice».

De leur côté, trois députés du Grand Conseil, membres de l’EERV, le vert’libéral Jacques-André Haury, l’UDC Jean-Bernard Chevalley et le socialiste Laurent Balsiger, ont adressé une lettre en date du 25 novembre à la présidente du Conseil d’Etat, en charge des affaires religieuse.

Ils ne cachent pas leur mécontentement. Leur démarche – ils y font allusion dans leur lettre – s’inscrit dans un rapport de force dont l’enjeu est la reconnaissance ou non de l’UVAM comme institution d’intérêt public à l'instar d'autres cultes. La demande a été déposée en 2019. La réponse tarde.

Dans leur missive à Christelle Luisier, les trois députés écrivent:

«Ce verset est très problématique. Pour certains chrétiens contemporains, dans leur bienveillance, il ne s’agit que d’un appel à l’unité autour de ce qui rassemble les trois monothéismes. Mais pour les exégètes musulmans, ce verset invite clairement les chrétiens à renier la nature divine du Christ, qui est au cœur de la religion chrétienne. Elle s’oppose aussi à toutes les béatifications auxquelles a procédé l’Eglise catholique.»
Les trois députés vaudois à Christelle Luisier

Ils ajoutent: «Dans le cadre de la demande de reconnaissance présentée par l’UVAM, nous tenons à rendre le Conseil d’Etat attentif à la portée réelle des premiers propos jamais prononcés par un Imam dans la Cathédrale de Lausanne.»

Une «ligne rouge leur paraît franchie»

Ils écrivent encore que le verset prononcé par l’imam leur «paraît clairement franchir une ligne rouge dans le dialogue interreligieux». Ils se demandent «si cette citation dans ces circonstances n’est pas contraire à l’art. 7 de la Loi sur la reconnaissance des communautés religieuses. Imagine-t-on qu’un ecclésiastique chrétien, dans une mosquée, invite l’assistance à relativiser l’enseignement de Mahomet?»

L'article 7 en question dit ceci:

«La communauté requérante s'abstient de propager toute doctrine visant à rabaisser ou à dénigrer une autre croyance ou les personnes qui se reconnaissent dans celle-ci.»
Article 7 de la Loi sur la reconnaissance des communautés religieuses

«Je veux comprendre»

Joint par watson, Laurent Balsiger veut «comprendre pourquoi ce verset a été lu». «S’agit-il d’une démarche intentionnelle ou d’une maladresse?», demande-t-il. «J’appelle de mes vœux d’autres échanges interreligieux avec les musulmans, mais j’estime que nous devons faire attention aux mots que nous employons, de manière à ne pas heurter l’autre dans sa foi.»

Cosignataire de la lettre à la présidente du Conseil d'Etat, le vert’libéral Jacques-André Haury, ancien opposant au mariage entre personnes de même sexe, «mais c'est aujourd'hui du passé», dit-il, affirme que «la lecture de versets coraniques dans un lieu sacré comme la cathédrale, lors de la célébration du 16 novembre, n’était en soi pas une bonne idée. Il aurait fallu que chacun soit invité à se recueillir en silence dans sa foi».

L'imam répond: «Dieu nous unit»

Contacté par watson, l’imam qui a lu le verset contesté par certains tient à dissiper les malentendus. Il l’assure:

«Le verset 64 de la sourate 3 est très clair: il établit une égalité entre les trois monothéismes. Juifs, chrétiens, musulmans, nous adorons le même Dieu. Dieu nous unit. C’est un point commun entre nous. Ce verset est un appel à l’union, à la coopération. L’association évoquée renvoie au fait d’associer Dieu à d’autres idoles, or ce n’est ni le cas du judaïsme ni du christianisme.»
L'imam qui a lu le verset contesté

Le président de l'UVAM: «Dans le respect mutuel»

Sollicité par e-mail, Ufuk Ikitepe, ancien président du conseil communal de Moudon, qui a repris la présidence de l'UVAM en 2023, tient à préciser:

«Cette célébration a été organisée en collaboration avec la plateforme interreligieuse, dans un esprit de dialogue, de respect mutuel et de compréhension entre traditions. Nous nous rallions pleinement à la réponse collective élaborée dans ce cadre (voir l'encadré en fin d'article).»

Nous avons joint un musulman autrefois proche des milieux islamistes français, avec lesquels il a rompu. A propos du verset 64 de la sourate 3, «tout dépend du sens qu’on veut lui donner», dit-il.

«On peut y voir un message d’union entre les religions, et c’est probablement pour cette raison qu’il a été choisi pour être lu dans la cathédrale de Lausanne. Mais on peut aussi y voir une remise en cause du monothéisme trinitaire. Généralement, dans le cadre du dialogue interreligieux, on va plutôt puiser dans la sourate "Marie", qui porte le numéro 19.»
Un musulman anciennement proches des milieux islamistes français

Les «dossiers»

Cette dispute sur le verset 64 de la sourate 3 en cache une autre, plus vaste. Au-delà de la question théologique soulevée par la récitation de cet extrait coranique, l’invitation faite à l’UVAM à participer à la célébration interreligieuse du 16 novembre à la cathédrale de Lausanne en a irrité plus d’un chez les protestants vaudois. La faîtière musulmane vaudoise n'est pas exempte de reproches.

Membre de l’UVAM, le Complexe culturel musulman de Lausanne à Prilly a accueilli ces dernières années des prêcheurs liés au frérisme, autrement dit à l’idéologie des Frères musulmans, un mouvement d’islam politique oeuvrant à la réislamisation des musulmans en Europe. watson en avait parlé en septembre dernier.👇

«Une femme qui se bat contre l’islamisme»

Le pasteur Shafique Keshavjee reproche ainsi à l’UVAM «le procès qu’un de ses responsables a intenté à Saïda Keller-Messahli, une femme qui se bat contre l’islamisme.»

Dans cette affaire, l'imam qui a lu le verset contesté est bien moins au centre des débats que ne le sont, d'une part, l'UVAM ou une frange d'entre elle, l'Eglise réformée vaudoise traversée de courants divers et parfois contraires d'autre part. De son côté, la présidente du Conseil d'Etat n'avait toujours pas répondu, ce lundi, à notre connaissance, aux trois députés vaudois qui l'ont interpellée.

Sollicitée par watson pour donner sa position sur cette polémique, l'une des personnes chargées du dialogue interreligieux au sein du conseil synodal (exécutif) de l'EERV, Michel Blanc, a répondu en plusieurs points. Une réponse que nous reproduisons intégralement ci-après.

La position de la plateforme du dialogue interreligieux

«L’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) a bien pris connaissance des réactions suscitées par la lecture de versets coraniques lors de la célébration interreligieuse du 16 novembre 2025 en la Cathédrale de Lausanne. Cette célébration était organisée par la Plateforme interreligieuse, où l’EERV siège avec d’autres communautés reconnues. Elle s’inscrivait pleinement dans la mission qui nous est confiée: favoriser le dialogue entre religions dans le respect de la paix confessionnelle et de la cohésion sociale (cf. art. 7 LREEDP). À ce titre, la démarche relève d’une responsabilité assumée et réfléchie.

»Dans cet esprit, la Plateforme a veillé à ce que chaque communauté puisse proposer un texte fondateur lié au thème de l’hospitalité et de la paix, puis en offrir elle-même l’interprétation. Les sourates lues ont été annoncées en toute transparence et interprétées publiquement par le président de l’UVAM, dans une perspective ouverte et en lien direct avec la figure d’Abraham, centrale pour les trois monothéismes. L’interprétation contestée après coup ne correspond pas à celle donnée lors de la célébration et qui a été reçue sans ambiguïté par l’assemblée.

»Il est également important de rappeler que la célébration comportait trois volets: une introduction institutionnelle au rôle du dialogue interreligieux, une partie centrale consacrée à la figure d’Abraham dans les trois traditions, puis un engagement commun à la Charte de l'Arzillier, qui exclut explicitement toute "confusion de doctrines" ou pression prosélyte. Cette architecture visait précisément à éviter toute appropriation exclusive d’un texte ou d’une tradition, en permettant une compréhension mutuelle plutôt qu’une lecture isolée.

»Enfin, l’EERV demeure fidèle à ses Principes constitutifs, notamment le principe 9, qui affirme que dans le dialogue avec les religions, elle "respecte la différence tout en continuant de proclamer l’Évangile" et recherche une "coexistence pacifique". La célébration du 16 novembre s’inscrit pleinement dans cette ligne. Elle a été préparée avec sérieux, discernement et sens des responsabilités, et vécue dans un esprit d’hospitalité réciproque. L’EERV reste disponible pour répondre à toute question supplémentaire et poursuivre ce dialogue dans la clarté et la confiance.»
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