6h15, un jeudi matin: deux hommes se font réveiller par la sonnette de chez eux. L'un d'eux va ouvrir torse nu, son partenaire reste au lit. Deux agents de la police cantonale zurichoise demandent à entrer. Ils souhaitent contrôler l'appartement pour le compte de l'office des migrations.
David P. est suisse, son compagnon Eduardo P. péruvien. Ils ont fait enregistrer leur partenariat afin que le second puisse renouveler son autorisation de séjour. Ils ne vivaient auparavant pas ensemble, travaillant l'un à Zurich et l'autre à Berne. Ils ont finalement emménagé ensemble pour satisfaire une exigence des autorités.
Mais celles-ci soupçonnent malgré tout une relation fictive. La police vient par conséquent contrôler s'il y a bel et bien deux brosses à dents dans la salle de bain, si le couple peut lui montrer des photos de mariage et des alliances.
Il s'avère que c'est le cas: union réelle, soupçons infondés. Pour les autorités, l'affaire est close. Mais pas pour le couple. Il demande que la justice reconnaisse le contrôle de police comme illégal. Le Tribunal fédéral délibère publiquement de l'affaire, car les juges sont d'avis différents.
Dans le cadre d'une procédure pénale, le ministère public peut ordonner une perquisition, s'il l'estime proportionnée. Or aucune procédure n'était en cours dans ce cas-ci. L'office des migrations n'a pas non plus commencé par interroger le couple. Elle a directement mobilisé la police. L'office s'appuie sur son droit à vérifier un état de fait par une «inspection visuelle». Un contrôle du logement en fait-il partie?
Les deux hommes parlent d'un viol du droit à la vie privée, qui protège également les logements. Ils ont eu l'impression de vivre une scène du film satirique Les faiseurs de Suisses (1978). La visite matinale les aurait pris au dépourvu.
La lutte contre les mariages blancs est d'intérêt public. On ignore aujourd'hui leur nombre à travers le pays. Les dernières estimations datent de l'époque où Christoph Blocher dirigeait le département de la Justice. On tablait alors sur jusqu'à 5000 cas par an. Or, il n'y a quasiment pas de condamnations relevant du droit des étrangers. Car en règle générale, on ne dispose pas de preuves directes, mais seulement d'indices.
Il est donc judicieux que les autorités y regardent de près. Elles doivent toutefois respecter la loi pour garantir une équité de traitement. Dans cette affaire, il y a une zone grise, que la justice est en train de clarifier.
La juge fédérale Marianne Ryter (PS) est favorable au recours. Elle constate une grave atteinte à la sphère privée. «Pour la justifier, il faudrait une norme précise», indique-t-elle. Or, les bases légales ne contiennent que des explications générales.
Selon la haute fonctionnaire, la police ne devrait pénétrer au domicile que sur la base d'une coopération volontaire des occupants. Elle estime en revanche qu'un tel contrôle est illégal s'il relève d'une mesure de contrainte. Les autorités auraient donc dû informer les deux hommes de leurs droits et de leurs devoirs. Elles auraient dû leur dire qu'ils pouvaient refuser le contrôle. Mais elles ne l'ont pas fait. Ryter en conclut que la manœuvre était illégale.
De plus, elle n'était pas proportionnelle. Le soupçon d'un mariage blanc était en effet léger. Il n'aurait donc pas fallu recourir immédiatement au moyen le plus sérieux, mais commencer par un interrogatoire.
Le juge fédéral Yves Donzallaz (sans parti, anciennement UDC) rejette le recours. Il invoque l'obligation d'obtempérer. Les personnes concernées doivent contribuer à éclaircir les faits, et ce dans la perspective d'obtenir un permis de séjour. S'il ne voulait pas laisser entrer la police, le couple aurait dû clairement exprimer sa volonté. Comme il ne l'a pas fait, les agents pouvaient estimer qu'il était d'accord.
«On ne peut pas parler d'une mesure de contrainte», constate Donzallaz. La police n'aurait pas eu accès à des photos de mariage si le couple ne les avait pas sorties de son plein gré.
L'instance inférieure avait considéré que la police avait violé le droit à être entendu d'Eduardo et David P. Le Tribunal fédéral ne devrait, lui, pas conclure à un non-respect de leur volonté. Une mesure de contrainte n'aurait été prise que si le couple s'était opposé à la porte et que la police aurait «forcé l'accès» malgré tout. La procédure des autorités migratoires serait légale et efficace. Tout comme le choix du moment: «Il ne faisait plus nuit».
Cinq juges fédéraux, cinq opinions. Tous présentent des raisonnements différents. Mais seul Matthias Kradolfer (PLR) soutient lui aussi le recours: «Les autorités ont tiré au canon sur des moineaux». Julia Hänni (Centre) et Florence Aubry Girardin (Verts) suivent en revanche Donzallaz, quoique pour d'autres raisons. Cela donne au final 3 votes contre 2.
Eduardo et David P. sont assis au premier rang dans la grande salle d'audience. Ils n'ont aucune obligation d'y assister. Mais ils veulent entendre les arguments. Le ping-pong juridique commence d'abord par leur redonner espoir. Mais ils quitteront le palais de justice les larmes aux yeux.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker