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Une manifestation kurde va mettre Lausanne sous tension samedi

Une manifestation kurde va mettre Lausanne sous tension samedi
Le quartier de la Riponne se boucle en marge d'une manifestation pro-kurde qui aura lieu le samedi 22 juillet.Image: KEYSTONE

Lausanne se barricade

Ce samedi, des pro-kurdes manifesteront dans la capitale vaudoise pour dénoncer les 100 ans du traité de Lausanne. Fait exceptionnel: le parking de la Riponne sera fermé, une première dans son histoire. Une mesure de sécurité forte, parmi d'autres: des blocs anti-attentat en béton sont installés autour du quartier. Les commerçants sont inquiets, tandis que les autorités se renvoient la balle.
21.07.2023, 05:5321.07.2023, 17:12
Margaux Habert
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Le Palais de Rumine est d'ores et déjà inaccessible ce vendredi après-midi. La Riponne se barricade, la Ville érige des barrières, des blocs anti-attentat en béton autour du site qui accueillera une manifestation samedi après-midi.

Lausanne se barricade avant la manifestation pro-kurde qui veut dénoncer samedi 22 juillet 2023 les 100 ans du traité de Lausanne.
Des blocs anti-attentat en béton sont installés autour du Palais de Rumine.Image: watson

La manifestation a pour but de dénoncer les 100 ans du traité de Lausanne, qui a défini les contours de la Turquie moderne «au détriment de la communauté kurde», précise Hayrettin Öztekin, du Centre culturel du Kurdistan à Lausanne et l'un des organisateurs.

Impossible d'entrer dans le Palais de Rumine, même pour accéder à la bibliothèque ce vendredi après-midi.
Impossible d'entrer dans le Palais de Rumine, même pour accéder à la bibliothèque ce vendredi après-midi.Image: watson

Les manifestants pro-kurdes défileront entre Ouchy et la Riponne, ce samedi, à Lausanne. Sur le parcours, des rues seront fermées à la circulation, y compris pour les transports publics. Certains commerçants, sur le passage du cortège, ont été «invités à fermer boutique». La police lausannoise et des cadres de la Ville ont fait du porte-à-porte la semaine dernière pour les prévenir.

«Vous croyez qu'il y a des risques d'émeutes, comme au Flon? On nous dit de faire attention, on nous propose de baisser le rideau, mais on ne sait pas vraiment pourquoi»
Une commerçante de la rue de la Madeleine, entre la place de la Riponne et celle de la Palud.

Des mesures inédites prises «dans l’urgence»?

La manifestation est prévue de longue date. «Nous en parlons depuis deux ans et demi, trois ans», assure l'organisateur. Sevgi Koyuncu, membre du comité d'organisation elle aussi et conseillère communale à Lausanne, annonçait dans la presse en novembre dernier que «pour les 100 ans du Traité, nous voulons voir 100 000 Kurdes marcher à Lausanne».

Le bâtiment et une partie de la place sont entourés de barrières enchevêtrées.
Le bâtiment et une partie de la place sont entourés de barrières enchevêtrées.Image: watson

Ils seront finalement moins. «Nous avons fixé le nombre maximum de manifestants à 15 000 personnes», précise Hayrettin Öztekin. Pour autant, ce rassemblement appelle des mesures sécuritaires inédites qui paraissent, selon certains acteurs économiques lausannois affectés, prises «dans l'urgence»:

«Pour la première fois de son histoire, le parking de la Riponne sera fermé toute la journée, de 7 heures à minuit. On a eu l'info le mercredi 12... pour le samedi 22, alors que la manifestation est prévue depuis l'année dernière»
Johnny Perera, directeur d'Inovil SA, société qui possède les parkings de la Riponne, du Valentin et du Rôtillon.

Le directeur des parkings est appuyé par Anne-Lise Noz, la présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois, qui s'étonne de ne pas avoir reçu davantage d'informations plus tôt pour une manifestation d'une telle ampleur:

«Le parking sera fermé, une grande partie de l'activité commerciale de la ville sera impactée par la manifestation. On ne parle pas de 200 personnes, mais bien de 10 à 15 000 manifestants. Ce n’est pas un petit cortège!»
Anne-Lise Noz, présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois.

Johnny Perera nous précise qu'un dédommagement financier a été évoqué avec le Canton, même si pour l'heure, rien n'a été formellement validé. «C'est le contribuable qui va payer pour le manque à gagner de la fermeture du parking. Mais je n'ai reçu encore aucune proposition concrète», assure Johnny Perera.

Lausanne se barricade avant la manifestation pro-kurde qui veut dénoncer samedi 22 juillet 2023 les 100 ans du traité de Lausanne.
Le Palais de Rumine se barricade.Image: watson

«Tout semble avoir été décidé à la dernière minute, et on ne sait pas ce qu'il adviendra de nos clients qui possèdent des abonnements dans le parking, qui devront trouver une solution et être dédommagés.» Il évoque aussi des discussions «plus engagées sur des aspects sécuritaires très sensibles» avec la police, qui, elle, ne confirme rien.

Contacté, le municipal lausannois en charge de la sécurité et de l'économie, Pierre-Antoine Hildbrand, nous renvoie à la police lausannoise et au Canton, qui nous renvoient vers la police cantonale... qui avait elle-même déjà été prévenue par la police lausannoise de notre intérêt pour le sujet, qui met manifestement les autorités à cran, à quelques jours de l'événement.

«Les mesures de sécurité sont évaluées, décidées et mises en œuvre conjointement par la Police cantonale vaudoise et la Police de Lausanne. La fermeture du parking de La Riponne fait partie des mesures de sécurité décidées par la police.»
Jean-Christophe Sauterel, responsable de la communication de la police vaudoise.

Des informations «au compte-goutte»

Mais les commerçants rencontrés n'ont pas tous reçu la même information. À la boucherie-charcuterie de la Bouche-qui-Rit, à la rue de la Madeleine, on n'était même pas au courant que le parking serait finalement totalement inaccessible, et ce, durant toute la journée.

«Vous êtes sûre? Quand ils [les agents municipaux] sont passés la semaine dernière, la fermeture du parking était "sur la table", mais on ne nous a rien dit depuis. On nous a proposé de fermer, ce que j'ai refusé, on nous a demandé de rentrer notre chevalet, placé devant la vitrine. Ma foi, la difficulté pour nos clients à accéder au centre-ville et la manifestation elle-même auront sans aucun doute un impact sur notre chiffre d’affaires...»
Sébastien Losey, patron de la boucherie-charcuterie de la Bouche-qui-Rit.

Du côté de la police vaudoise, on assure que les commerçants ont bel et bien été prévenus en amont:

«Les entreprises et commerçants directement impactés par le dispositif de sécurité ont été rencontrés personnellement par des cadres ou par des policières et policiers de proximité, alors que les autres l’ont été, comme cela se fait habituellement pour toutes les manifestations en ville de Lausanne, par la communication officielle envoyée par la Police municipale de Lausanne via les médias et sur son site internet s’agissant des perturbations de circulation à prévoir.»
Jean-Christophe Sauterel, responsable de la communication de la police vaudoise.

Oui, sauf que la communication sur le site de la Ville date du 18 juillet seulement, soit quatre jours avant la manifestation qui se déroulera le samedi 22. La police municipale lausannoise, elle, a publié sur sa page Facebook un post avec le tracé du cortège le 19 juillet.

Anne-Lise Noz, elle, souligne que les commerçants ne vont pas vérifier le site de la Ville tous les deux jours.

«On s’est sentis un peu seuls, on aurait souhaité une meilleure communication par les autorités, afin de pouvoir s'organiser. Certains vont devoir libérer des employés en raison du manque d'activité et de la perte de chiffre d’affaires. Il y a une forme de déception et d'interrogation par rapport aux méthodes de la Ville.»
Anne-Lise Noz, présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois.

Certains commerçants rencontrés disent avoir reçu une information lacunaire, avant d'en apprendre davantage en lisant la presse. C'est ce que confirme un autre commerçant du quartier:

«J'ai lu dans le journal qu'il allait y avoir une manifestation. La police est venue? Bon, je n'ai pas été prévenu, je ne sais pas à qui ils ont parlé»
Le patron d'une boutique lausannoise du quartier de la Palud et de la Madeleine.

Un précédent en 1998

Les autorités craignent-elles des débordements, samedi à Lausanne? C'était le cas en 1998, pour les 75 ans du traité de Lausanne, lorsque le Canton et la Ville avaient fâché Ankara en refusant, pour des raisons de sécurité, l'accès au Palais de Rumine, à la Riponne, là où le traité avait été signé. Les autorités turques souhaitaient y organiser une réception officielle au mois de juillet.

La place est sous haute protection.
La place est sous haute protection.Image: watson

Face à cet incident diplomatique, Ankara avait déclaré vouloir reconsidérer ses relations diplomatiques avec la Confédération. Le Conseil d'Etat vaudois avait ensuite rétropédalé, autorisant la tenue d'un événement semblable en octobre de la même année, tout en interdisant une manifestation pro-kurde en marge de l'événement.

Le dialogue est-il meilleur aujourd'hui, entre les autorités suisses et les communautés turques et kurdes? Manifestement oui, à en croire Jean-Christophe Sauterel, qui répond au nom des polices cantonale et lausannoise, de la Municipalité et du Canton:

«Les Autorités cantonales et communales ont entretenu des contacts réguliers et constructifs avec toutes les communautés dans le cadre des différentes demandes d’organisation de manifestation en lien avec cet événement»
Jean-Christophe Sauterel, responsable de la communication de la police vaudoise.

Interrogée sur un engagement des autorités fédérales ou de FedPol pour le centenaire du traité de Lausanne, la police vaudoise précise que la Ville et le Canton sont bien en contact avec Berne, tout en rappelant que la sécurité n'est pas du ressort des autorités fédérales:

«Depuis plusieurs mois, les services du Canton et de la ville de Lausanne collaborent étroitement avec les services compétents de la Confédération et organisateurs des manifestations prévues à l’occasion du centenaire du Traité de Lausanne. La sécurité et l’ordre public sont de compétence cantonale et pas fédérale.»
Jean-Christophe Sauterel, responsable de la communication de la police vaudoise.

Des attentats par le passé

Si les autorités locales bottent en touche sur les questions qui concernent le niveau de risque qui pousse à fermer un parking au centre-ville de Lausanne, l'organisateur de la manifestation, lui, se montre plutôt serein:

«Nous aurons des agents de sécurité au sein même du cortège, et nous collaborons avec la Ville et le Canton»
Hayrettin Öztekin, l'un des organisateurs de la manifestation.

L’organisateur assure que les participants, eux, n'ont aucune velléité belliqueuse. «Nous, nous voulons juste profiter des 100 ans du traité de Lausanne pour le dénoncer une fois de plus, réclamer la libération du Kurdistan et manifester dans la paix», martèle-t-il, tout en rappelant que la communauté kurde est régulièrement visée, également en Europe. «À Paris, trois Kurdes sont morts dans une attaque en décembre dernier. Il y a dix ans, des Kurdes avaient déjà été tuées au même endroit» (réd: trois femmes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avaient été assassinées à Paris, en 2013).

Plusieurs sortes de barrières sont installées.
Plusieurs sortes de barrières sont installées.Image: watson

Il assure que s'il y a des provocations, samedi, elles seront à attribuer à l'Etat turc, «qui veut faire croire à la communauté internationale qu'il y a des terroristes parmi nous», soupire Hayrettin Öztekin. «Mais nous pensons qu'ils [les Turcs] n'oseront pas en arriver là. Notre but, avec ce rassemblement, est d'envoyer un message à la communauté internationale, dans la paix», conclut-il.

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