Le Palais de Rumine est d'ores et déjà inaccessible ce vendredi après-midi. La Riponne se barricade, la Ville érige des barrières, des blocs anti-attentat en béton autour du site qui accueillera une manifestation samedi après-midi.
La manifestation a pour but de dénoncer les 100 ans du traité de Lausanne, qui a défini les contours de la Turquie moderne «au détriment de la communauté kurde», précise Hayrettin Öztekin, du Centre culturel du Kurdistan à Lausanne et l'un des organisateurs.
Les manifestants pro-kurdes défileront entre Ouchy et la Riponne, ce samedi, à Lausanne. Sur le parcours, des rues seront fermées à la circulation, y compris pour les transports publics. Certains commerçants, sur le passage du cortège, ont été «invités à fermer boutique». La police lausannoise et des cadres de la Ville ont fait du porte-à-porte la semaine dernière pour les prévenir.
La manifestation est prévue de longue date. «Nous en parlons depuis deux ans et demi, trois ans», assure l'organisateur. Sevgi Koyuncu, membre du comité d'organisation elle aussi et conseillère communale à Lausanne, annonçait dans la presse en novembre dernier que «pour les 100 ans du Traité, nous voulons voir 100 000 Kurdes marcher à Lausanne».
Ils seront finalement moins. «Nous avons fixé le nombre maximum de manifestants à 15 000 personnes», précise Hayrettin Öztekin. Pour autant, ce rassemblement appelle des mesures sécuritaires inédites qui paraissent, selon certains acteurs économiques lausannois affectés, prises «dans l'urgence»:
Le directeur des parkings est appuyé par Anne-Lise Noz, la présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois, qui s'étonne de ne pas avoir reçu davantage d'informations plus tôt pour une manifestation d'une telle ampleur:
Johnny Perera nous précise qu'un dédommagement financier a été évoqué avec le Canton, même si pour l'heure, rien n'a été formellement validé. «C'est le contribuable qui va payer pour le manque à gagner de la fermeture du parking. Mais je n'ai reçu encore aucune proposition concrète», assure Johnny Perera.
«Tout semble avoir été décidé à la dernière minute, et on ne sait pas ce qu'il adviendra de nos clients qui possèdent des abonnements dans le parking, qui devront trouver une solution et être dédommagés.» Il évoque aussi des discussions «plus engagées sur des aspects sécuritaires très sensibles» avec la police, qui, elle, ne confirme rien.
Contacté, le municipal lausannois en charge de la sécurité et de l'économie, Pierre-Antoine Hildbrand, nous renvoie à la police lausannoise et au Canton, qui nous renvoient vers la police cantonale... qui avait elle-même déjà été prévenue par la police lausannoise de notre intérêt pour le sujet, qui met manifestement les autorités à cran, à quelques jours de l'événement.
Mais les commerçants rencontrés n'ont pas tous reçu la même information. À la boucherie-charcuterie de la Bouche-qui-Rit, à la rue de la Madeleine, on n'était même pas au courant que le parking serait finalement totalement inaccessible, et ce, durant toute la journée.
Du côté de la police vaudoise, on assure que les commerçants ont bel et bien été prévenus en amont:
Oui, sauf que la communication sur le site de la Ville date du 18 juillet seulement, soit quatre jours avant la manifestation qui se déroulera le samedi 22. La police municipale lausannoise, elle, a publié sur sa page Facebook un post avec le tracé du cortège le 19 juillet.
Anne-Lise Noz, elle, souligne que les commerçants ne vont pas vérifier le site de la Ville tous les deux jours.
Certains commerçants rencontrés disent avoir reçu une information lacunaire, avant d'en apprendre davantage en lisant la presse. C'est ce que confirme un autre commerçant du quartier:
Les autorités craignent-elles des débordements, samedi à Lausanne? C'était le cas en 1998, pour les 75 ans du traité de Lausanne, lorsque le Canton et la Ville avaient fâché Ankara en refusant, pour des raisons de sécurité, l'accès au Palais de Rumine, à la Riponne, là où le traité avait été signé. Les autorités turques souhaitaient y organiser une réception officielle au mois de juillet.
Face à cet incident diplomatique, Ankara avait déclaré vouloir reconsidérer ses relations diplomatiques avec la Confédération. Le Conseil d'Etat vaudois avait ensuite rétropédalé, autorisant la tenue d'un événement semblable en octobre de la même année, tout en interdisant une manifestation pro-kurde en marge de l'événement.
Le dialogue est-il meilleur aujourd'hui, entre les autorités suisses et les communautés turques et kurdes? Manifestement oui, à en croire Jean-Christophe Sauterel, qui répond au nom des polices cantonale et lausannoise, de la Municipalité et du Canton:
Interrogée sur un engagement des autorités fédérales ou de FedPol pour le centenaire du traité de Lausanne, la police vaudoise précise que la Ville et le Canton sont bien en contact avec Berne, tout en rappelant que la sécurité n'est pas du ressort des autorités fédérales:
Si les autorités locales bottent en touche sur les questions qui concernent le niveau de risque qui pousse à fermer un parking au centre-ville de Lausanne, l'organisateur de la manifestation, lui, se montre plutôt serein:
L’organisateur assure que les participants, eux, n'ont aucune velléité belliqueuse. «Nous, nous voulons juste profiter des 100 ans du traité de Lausanne pour le dénoncer une fois de plus, réclamer la libération du Kurdistan et manifester dans la paix», martèle-t-il, tout en rappelant que la communauté kurde est régulièrement visée, également en Europe. «À Paris, trois Kurdes sont morts dans une attaque en décembre dernier. Il y a dix ans, des Kurdes avaient déjà été tuées au même endroit» (réd: trois femmes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avaient été assassinées à Paris, en 2013).
Il assure que s'il y a des provocations, samedi, elles seront à attribuer à l'Etat turc, «qui veut faire croire à la communauté internationale qu'il y a des terroristes parmi nous», soupire Hayrettin Öztekin. «Mais nous pensons qu'ils [les Turcs] n'oseront pas en arriver là. Notre but, avec ce rassemblement, est d'envoyer un message à la communauté internationale, dans la paix», conclut-il.