Non, elle n'a rien à voir avec les difficultés des personnes à revenu moyen à se loger dans les villes et les régions touristiques. C'est du moins ce qu'affirme l'entreprise américaine dans son Rapport Airbnb. Elle l'a envoyé la semaine dernière à tous les médias.
Il présente des «conclusions récentes»:
Car les annonces de type «logement entier» réservées pendant au moins 90 nuits en 2024 ne représenteraient que 0,14% de toutes les unités de logement du pays. Soit «seule une infime fraction des presque 4,8 millions d'unités». L'impact d'Airbnb sur le marché suisse serait ainsi «négligeable».
Mais cela n'a pas beaucoup de sens d'extrapoler la part des hébergements Airbnb au total des logements. La pénurie ne frappe pas l'ensemble du territoire. Selon la définition de l'Office fédéral compétent, onze cantons connaissent une crise. Dans neuf autres, il y a pénurie. Et dans six cantons, l'offre est suffisante, voire excédentaire, par exemple dans le Jura.
Airbnb semble avoir conscience de ce tableau. Mais sur ce point aussi, elle tente l'optimisme dans son analyse:
Ces résultats surprennent. Pire encore. Ils contredisent les calculs réalisés jusqu'ici par des organismes indépendants. Une étude de 2018 commandée par le gouvernement zurichois concluait par exemple que cette valeur atteignait plutôt 3,8% de l'ensemble des biens à louer dans le canton. En mars dernier, une évaluation de la Ville de Zurich montrait que les «appartements d'affaires» (réd: ceux réservés dans un cadre professionnel) représentent 2,1% du marché total.
A une époque où l'on ne trouve que 169 appartements libres dans toute la ville, on recense en parallèle 4990 «appartements d'affaires» disponibles sur Airbnb. C'est le nombre le plus élevé jamais enregistré. Par rapport à 2017, leur part a augmenté d'environ 80%. Un bien sur 50 n'est plus habité de manière régulière à Zurich, mais loué meublé pour une courte durée et géré par des professionnels. Sur des plateformes comme celle qui nous intéresse.
Comment alors Airbnb parvient à un chiffre si nettement inférieur? watson lui a posé la question. Réponse du service de communication:
Il s'agit de programmes qui collectent automatiquement des informations publiques sur le site et les agrégent.
Airbnb refuserait ce genre d'outils, qui commettent - selon elle - des erreurs et parfois des imprécisions. «En ce qui concerne par exemple la mise à jour et la disponibilité des offres».
L'accès aux données sur l'influence d'Airbnb pour réaliser des études indépendantes pose en fait problème. La société ne met pas ses chiffres à la disposition des chercheurs. Ce qui n'est pas une raison pour que le bilan du «rapport» rate sa cible.
Une note de bas de page - anodine de prime abord - permet de mieux saisir ces écarts significatifs. La société n'a pas comparé les logements loués par le site et la totalité de ceux du marché. Voici ce qu'elle prend en compte:
Traduction: Airbnb a exclu toutes les réservations qui dépassaient 28 jours d'affilée. Donc précisément les logements qui contribuent le plus à la raréfaction et au renchérissement du logement: les fameux appartements d'affaires.
watson a voulu savoir quel serait l'impact du géant étasunien si on ajoutait cette catégorie. Et ce, aussi bien dans les différentes villes que dans l'ensemble de la Suisse. Le service de communication a répondu de manière évasive à notre requête. Même si l'on prenait en compte aussi les locations longue durée, leur part totale se situerait encore «à un niveau très faible». Et ce, «globalement, toujours à moins de 0,2% du marché national».
Le service de presse se défend en expliquant qu'Airbnb s'est focalisée sur les «courtes durées» dans son état des lieux. Mais cette argumentation ne tient pas la route. En effet, l'entreprise a également exclu de ses calculs tous les hébergements qui ont été réservés moins de 90 nuits par an en 2024: les locations de courte durée.
Sur ce point, le service de presse l'admet:
Malgré nos sollicitations, Airbnb n'a pas précisé ce que «moins de 1%» signifiait». De même, elle n'a pas voulu articuler de valeurs précises pour les locations longue durée. Elle aurait partagé «toutes les données dont elle dispose» et, «en tant qu'entreprise cotée en bourse», ne serait pas en mesure d'en fournir d'autres.
Ce qu'Airbnb omet également dans son dossier, c'est de s'intéresser aux communes des régions touristiques. En effet, comme le Tages-Anzeiger a pu le démontrer dans une analyse pour 2024, l'influence de la plateforme sur le marché du logement est bien plus importante dans les zones touristiques de montagne que dans les centres urbains. Plus conséquente même qu'à Zurich ou Genève, touchées depuis toujours et pour de multiples autres raisons par une crise du logement.
A Lauterbrunnen (BE), près d'un appartement sur quatre est proposé sur Airbnb. A Démoret (VD), un sur cinq. Il est certes difficile d'estimer dans quelle mesure ils disparaîtront complètement du marché ordinaire. Le président de la commune de Lauterbrunnen, Karl Näpflin, l'a toutefois reconnu au Tages-Anzeiger:
Par ailleurs, le Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB) a constaté dans un rapport en 2024: «Si la pratique s'intensifie, on assistera à une raréfaction de l'offre sur le marché des résidences principales et les prix des loyers s'envoleront».
Ce sont justement les propriétaires de résidences secondaires qui loueraient leur logement de vacances. Selon le SAB, les habitants et les travailleurs ont de plus en plus de mal à trouver un logement abordable dans les régions touristiques. Cette dynamique risque parallèlement de provoquer un surtourisme.
Ce n'est pas un hasard si Interlaken, destination très prisée, a été l'une des premières à s'insurger contre l'entreprise américaine. Depuis 2021, la commune applique une obligation d'enregistrement des annonces, un moratoire sur les nouvelles résidences secondaires et une interdiction des locations de courte durée dans les zones résidentielles.
Ces mesures ne fonctionnent pourtant pas très bien. Les infractions restent fastidieuses à détecter. En septembre 2024, le Parti socialiste d'Interlaken a donc déposé une initiative populaire: «Protéger l'habitat - réglementer Airbnb». Elle prévoit de limiter la location à travers ce genre de sites à 90 nuits par année.
La section locale du PS a très rapidement récolté deux fois plus de signatures que nécessaire. La population en a donc manifestement assez de ce phénomène, à l'instar de nombreuses autres communes, villes et cantons qui ont ou vont agir là contre.
Une norme similaire est entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier à Lucerne. Idem dans le canton de Genève, au Tessin et à Berne. Les socialistes ont par ailleurs lancé une initiative à Zurich.
La publication du «rapport Airbnb» intervient donc à un moment où la pression augmente sur les épaules de l'entreprise. Elle a fait appel à Farner, célèbre agence de relations publiques, pour l'ensemble de cette campagne de communication. Force est de constater que l'opération n'est pas vraiment couronnée de succès. Les médias ne l'ont que peu relayée. Et lorsqu'ils l'ont fait, c'est en mettant l'accent sur sa pertinence douteuse.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker