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Mafia

Le critique de la mafia Roberto Saviano s'est livré en Suisse

Roberto Saviano,Italian writer, journalist, screenwriter and television presenter interviewed by the International Festival Endorfine, in Lugano, Sunday 21 September 2025. (KEYSTONE/Ti-Press/Francesca ...
Expert de la mafia italienne, Roberto Saviano s'est exprimé à Lugano, ce 21 septembre.Keystone

On a rencontré cet expert de la mafia en Suisse: son constat est amer

Le célèbre auteur italien à succès Roberto Saviano a tenu une conférence mémorable à Lugano il y a quelques jours. Il y a abordé la question de la criminalité organisée en Suisse.
02.10.2025, 05:3602.10.2025, 05:36
Gerhard Lob / ch media

Les mesures de sécurité à Lugano sont exceptionnellement élevées: à l’entrée de la grande salle du Palais des congrès, tous les visiteurs doivent se faire fouiller les sacs. Deux agents de sécurité restent postés sur scène toute la soirée.

Ce dispositif particulier et ces contrôles rigoureux ne doivent rien au hasard: Roberto Saviano est monté sur scène à Lugano en tant qu’orateur. Le célèbre journaliste et écrivain italien de 46 ans vit sous protection rapprochée depuis 19 ans, en raison des menaces de la Camorra.

En 2006, Saviano a publié son livre Gomorra. Il y décrivait en détail les activités de la mafia napolitaine et du crime organisé. Traduit en plus de 50 langues, l’ouvrage est devenu un best-seller mondial, suivi deux ans plus tard par un film du même nom. Originaire de Caserte, une ville du sud de l’Italie située à une trentaine de kilomètres de Naples, Roberto Saviano a publié plusieurs autres livres sur le sujet, le dernier portant sur le rôle des femmes dans la mafia.

Mais ses révélations et son succès littéraire lui coûtent cher. Outre sa protection constante, il doit régulièrement changer de lieu de résidence et vivre caché. Pendant un temps, il s’est réfugié aux Etats-Unis avant de revenir en Italie.

Roberto Saviano se produit rarement en public. Sa présence attire donc d’autant plus l’attention, y compris en Suisse. Plus de 1000 personnes se sont rendues au Palais des congrès de Lugano pour l’entendre. L’événement, organisé dans le cadre du festival culturel Endorfine, affichait complet depuis un certain temps.

Un homme qui va mal

Nous avons pu nous entretenir avec lui peu avant la conférence: «Personnellement, je ne vais pas bien», a-t-il confié, évoquant la vie sous surveillance, l’impossibilité de contacts normaux, l’insomnie, la dépression et la solitude. Le sort de ses parents l’affecte aussi: harcelés, ils ont dû déménager vers le nord de l’Italie. La liste de ses souffrances est longue. Saviano résume son existence par une image:

«Je me sens comme dans un désert, sans issue possible»

Le public a perçu ce désarroi. Tel un homme possédé, il a parlé sans relâche pendant une heure quarante, dans un immense monologue seulement interrompu par quelques questions du modérateur. Brillant orateur et penseur rapide, il a captivé la salle, ponctuée de silences attentifs et d’applaudissements encourageants.

Une situation sans issue

Son analyse du phénomène mafieux, mêlée à ses confidences personnelles, a provoqué de nombreux frissons. Il a commenté le verdict rendu, en juillet dernier, par une cour d’appel de Rome, contre un parrain de la mafia. Pour lui, ce jugement confirmait enfin qu’il avait bien été menacé par ce chef mafieux en 2008.

En apprenant la décision, il a éclaté en sanglots. «Il a fallu 16 ans pour qu’un verdict tombe. Imaginez: 16 ans!», a-t-il répété. «L’Italia è un pozzo nero – l’Italie est un puits noir», a-t-il martelé plusieurs fois.

Mais tous ses efforts, ses révélations et son travail de sensibilisation ont-ils vraiment valu la peine? Sa réponse est catégorique: non. Sur le plan personnel, il s’est enfermé dans une impasse dont il estime aussi porter la responsabilité. Et politiquement?

«Je pense que là non plus cela n’a pas payé. Regardons la réalité en face: la mafia a disparu des gros titres.»

Selon lui, personne ne s’intéresse réellement à l’argent sale issu du crime organisé:

«Le problème pour l’opinion publique en Italie aujourd’hui, ce sont les migrants.»

Et pourtant, il continue d’écrire et d’enquêter pour ne pas laisser la victoire à la mafia.

Et la Suisse?

En Suisse, en revanche, la criminalité organisée est récemment revenue au premier plan médiatique. Et l’ancienne directrice de Fedpol, Nicoletta della Valle, n’a cessé d’alerter sur sa présence de la mafia dans le pays.

Sa successeure, Eva Wildi-Cortés, a récemment mis en garde contre une menace croissante: selon elle, l’organisation criminelle utilise aussi bien les barbiers que les à échoppes de bubble tea pour blanchir de l’argent. Elle a cité explicitement la ’Ndrangheta. Dans le trafic de cocaïne, la Suisse sert de pays de transit, de centre de redistribution et de marché final.

Roberto Saviano, lui, estime que la Suisse joue aujourd’hui un rôle moindre qu’autrefois dans le blanchiment d’argent pour les mafias italiennes, du moins via les circuits financiers officiels et les banques:

«Aujourd’hui, la capitale mondiale du blanchiment d’argent, c’est Londres.»

Mais, selon lui, la mafia a trouvé d’autres moyens d’agir en Suisse, notamment à travers des investissements dans le bâtiment. La distribution de biens, de l’essence aux denrées alimentaires, reste aussi très attractive pour le crime organisé. Même les pompes funèbres intéressent les mafieux: «Parce que les gens mourront toujours.»

Traduit de l'allemand par Tim Boekholt

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