«Je suis déçu par les CFF»: le boss de Burger King vide son sac
Lorsque Nils Engel nous reçoit dans son tout nouveau restaurant de Zurich, des ouvriers s’activent encore autour de lui. Quelques heures plus tard, le premier burger doit être servi. Même si le patron de QR Group (la société qui gère la majorité des Burger King en Suisse) se réjouit du lieu, il le reconnaît sans détour: le chemin pour y arriver a été bien trop long.
La clientèle suisse a-t-elle toujours autant d’appétit pour le fast-food américain, à l’ère Trump?
Nils Engel: Difficile à dire. La demande dépend de plein de choses, de la météo aux nouveaux produits. On ne ressent aucun boycott. En plus, nous, QR Group, sommes une entreprise suisse, avec des investisseurs et une direction suisses.
Il y a eu des manifestations contre les chaînes américaines à cause du conflit à Gaza. Burger King aussi a été visé?
Un peu, surtout en Suisse romande, mais rien à voir avec ce qui se passe en France. Et puis, petite anecdote: le jour de la manifestation pour le climat, notre restaurant de Lausanne a fait son meilleur chiffre d'affaires. La marche s’est terminée devant chez nous.
Comment se porte votre activité en ce moment?
Après le Covid, nous avons connu des années incroyables. 2023 a été exceptionnelle. 2024 a, certes, marqué un creux, mais maintenant ça repart de plus belle. Nous avons bien bossé notre marketing, avec des offres limitées dans le temps, tous les deux mois. Ça attire l’attention. Mais nous ne communiquons pas nos chiffres de ventes.
Une année record en vue?
Pour nous, en tant que plus grand franchisé de Burger King en Suisse, oui. Nous exploitons 56 des 95 restaurants de la chaîne dans le pays.
Le burger préféré des Suisses?
Le Whopper, sans surprise. Mais le Steakhouse Burger n’est pas loin derrière. Et notre gamme premium Swiss Selection, lancée il y a un an et demi, cartonne aussi.
Cette Swiss Selection, c’est une réponse à la mode des burgers haut de gamme? Le menu coûte quand même autour des 21 francs...
Pas vraiment. Franchement, c’est compliqué pour une chaîne de fast-food de rivaliser avec un restaurant gourmet. Ce n’est pas le même métier.
Le prix des burgers a-t-il augmenté ces derniers mois?
Pour nous, côté achats, oui. Mais pour les clients, non. Le dernier ajustement de prix important remonte à un an et demi.
Pourtant, manger dans vos fast-foods coûte plus qu’il y a cinq ans.
C’est vrai. Mais un kebab aussi. Avant c’était 10 francs, maintenant c’est souvent 15 ou 16. Une pizza? Facilement 25 francs.
Il y a d’autres facteurs aussi, comme les mauvaises récoltes de pommes de terre l’an passé, qui ont fait grimper le prix des frites.
D'autres chaînes américaines débarquent: Five Guys, Firehouse Subs, Carl’s Jr., bientôt Taco Bell. Ça complique votre recherche de nouveaux lieux?
Nous ne voulons pas grandir à tout prix. Ce qui nous intéresse, ce sont des restaurants rentables.
Carl’s Jr. annonçait 20 restos d’ici fin 2025… il y en a trois, et leur fermeture en Suisse vient d’être annoncée. Five Guys? C’est surtout une question de prix: à deux, l’addition grimpe vite à 60 francs. Nous, nous avons d'autres priorités.
Lesquelles?
Trouver des emplacements abordables et adéquats, tout simplement. C’est devenu un vrai casse-tête. Souvent, des normes ralentissent ou bloquent les projets. Où nous sommes, il y avait un kebab avant. Nous avons dû refaire toute l’infrastructure, y compris la ventilation.
Et ce n’était pas tout?
Non. L’ancien local n’était pas accessible aux personnes à mobilité réduite. Nous voulions donc ajouter une rampe… Les autorités ont exigé un ascenseur. Pour un dénivelé de 15 centimètres!
C’était plus simple de construire auparavant?
Oui. Avant, nous pouvions discuter avec les autorités, trouver des solutions pragmatiques. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
Mais il y a aussi des aspects positifs.
Par exemple?
A Birsfelden (BL), nous ouvrirons bientôt une nouvelle filiale dans une rue partiellement désertée. Le président de la commune était content de notre arrivée. Il a pris le temps d’anticiper les problèmes avec nous. Là où ailleurs ça prend trois mois, avec lui, ça a été bouclé en deux semaines et demie.
Vous avez obtenu le master franchise Burger King pour la Suisse. Qu’est-ce que ça veut dire?
Depuis 2020, nous avons l’exclusivité sur le marché suisse. Nous sommes l’interlocuteur direct de Burger King Europe. Nous supervisons la qualité des restaurants, choisissons où les ouvrir, et décidons si nous les gérons nous-mêmes ou si nous passons par des partenaires comme Marché Suisse.
Et combien de nouveaux restaurants sont prévus?
Nous voulons croître de manière sélective. Contrairement à nos concurrents. Leurs patrons viennent de l’étranger, voient la Suisse comme un tremplin de carrière.
D’ici trois ans, vous vous voyez où?
Notre principal concurrent a deux fois plus de restos que nous en Suisse. Donc nous avons encore de la marge de croissance.
Il reste des zones blanches?
Oui, par exemple à Berne, où nous ne possédons qu’un seul restaurant. Par ailleurs, nous voyons aussi du potentiel pour les drive-in.
Sentez-vous parfois une résistance locale contre le fast-food?
Ça arrive, comme actuellement avec McDonald’s à Zurich.
Plusieurs Burger King ont fermé récemment, notamment à la gare centrale de Zurich ou à celle d’Aarau...
C’est vrai, et cela tient beaucoup à l’attitude des CFF.
Les CFF ne veulent plus de fast-food bon marché?
C’est l’impression que j’ai. Le fast-food semble mal vu chez eux. Exemple: à la gare d’Enge (ZH), McDonald's était locataire depuis 20 ans, même pendant le Covid. Et pourtant, le bail n’a pas été renouvelé…
...au profit de la chaîne allemande Burgermeister, plus chère.
Exactement. A la gare centrale de Zurich, nous avons aussi été remplacés par un concept plus cher. A Aarau, je parierais que notre successeur paiera moins de loyer que nous.
On sent un peu d’amertume.
Ils brandissent souvent l’argument du local. Mais nous aussi, créons des emplois ici, nous investissons en Suisse, nous payons notre loyer. Et puis leur processus de décision manque de transparence: nous envoyons une offre, et recevons un «oui» ou un «non», sans explication. C’est frustrant.
Les CFF sont souvent critiqués pour leurs loyers élevés. Est-ce qu’une gare reste rentable pour vous?
Le prix au mètre carré est très élevé. Mais les gares sont des lieux à forte affluence. Idéal pour un repas rapide, sans nappes blanches. Aujourd’hui, nous nous installons souvent juste en face d’une gare.
L’offre veggie, c’est important pour vous?
Nous vendons majoritairement des burgers avec viande, mais si une mère vient avec ses deux enfants après un tournoi de foot, nous devons aussi pouvoir lui proposer une option convenable. Et la clientèle féminine tend plutôt vers des wraps végétariens, par exemple.
La grande tendance dans l’alimentation est aux protéines. Quand arrivera le Whopper avec supplément de protéines?
Cela pourrait être une innovation intéressante. Nous envisageons sérieusement cette direction. Et le service aussi évolue.
Malgré vos efforts en Suisse, McDonald’s compte nettement plus de fans, notamment chez les enfants grâce au Happy Meal.
Je crois que McDonald’s a surtout une longueur d’avance auprès des parents, simplement parce qu’ils connaissent McDonald’s depuis beaucoup plus longtemps que Burger King. Et leur marketing est très efficace. Nous avons moins de restaurants, donc nous sommes un peu moins connus.
Chez les femmes aussi, McDonald’s a l’avantage.
Nous entendons parfois des clientes qui pensent que nous n’avons que de grands burgers. Beaucoup ne savent pas que nous proposons aussi des burgers plus petits et d’autres snacks. Et beaucoup de clients apprécient davantage notre goût grillé typique, car:
Auprès de quel autre type de clientèle voyez-vous encore du potentiel ?
Chez les adolescents, parce qu’ils ont souvent l’impression que nous sommes plus chers que la concurrence. Là, on compare des pommes et des poires. Je vous donne un exemple. Nous avons le King Deal, avec un burger, des frites et une boisson pour 8,90 francs. Un Big Mac comparable coûte sans accompagnement 9,50 francs. Le Whopper, lui, coûte deux francs de plus que le Big Mac, mais il contient bien plus de viande.
Vous étiez auparavant banquier à la BZ Bank, celle du milliardaire Martin Ebner. Allez-vous parfois manger un Whopper avec lui aujourd’hui?
Nous avons travaillé ensemble pendant 14 ans et entretenons de très bonnes relations. Nous ne sommes jamais allés chez Burger King ensemble, mais je lui ai offert un tablier Burger King pour qu'il pense à moi. Et j'ose imaginer qu’il est assez fier qu’un ancien employé qui a commencé avec un seul restaurant soit aujourd’hui responsable de près de 60 sites comptabilisant plus de 1500 employés.
Est-ce que certains aspects du monde de la finance vous manquent?
Je ne l’ai pas complètement quitté, je préside parallèlement une société de gestion d’actifs. Mais ce sont évidemment deux mondes complètement différents. Ce qui ne me manque pas, c’est de devoir presque chaque minute surveiller ce qui se passe en bourse.
Et le temps ainsi gagné, le consacrez-vous à manger des burgers?
Je vais plusieurs fois par semaine dans nos restaurants, mais je mange probablement un burger par semaine, toujours accompagné de frites et d’un Coca. Tout est une question de modération.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich
