Un mardi gris et une pluie tiède accueillent les visiteurs à Berne ce mercredi, pour l'élection du successeur de Viola Amherd au Conseil fédéral. Si une certaine agitation d'usage était de mise dans les couloirs du Palais fédéral, l'ambiance n'était pas aussi électrique que pour les précédentes élections.
Au menu, deux candidats: le conseiller national saint-gallois Markus Ritter, président de l'Union suisse des paysans, qui était considéré comme le favori au début de la course. Face à lui: Martin Pfister, conseiller d'Etat zougois en charge de la Santé et quasi inconnu à Berne.
Rien n'était joué mercredi matin, même s'il faut l'avouer: la balance penchait déjà quelque peu en faveur de Martin Pfister. Une fois passée la surprise de sa candidature et les présentations faites, sa réputation, son CV solide et son style consensuel ont fait le reste.
Pour s'en assurer, il fallait faire quelques calculs: si l'outsider récoltait les votes de la gauche, il avait toutes ses chances. Seuls les Vert'libéraux se sont positionnés clairement de son côté. Face à lui, Markus Ritter avait les faveurs claires et nettes de l'UDC, tous les autres partis laissant la liberté de vote.
Avant de tirer sa révérence, Viola Amherd a marqué l'auditoire de son discours. La conseillère fédérale sur le départ a laissé un message particulièrement politique dans son allocution, d'habitude plus personnelle. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'une élection comme un autre: la défense du pays en dépend.
Cette notice pour le nouveau conseiller fédéral laisse entendre que le futur ne sera pas de tout repos pour lui. La Valaisanne rappelle que, lorsqu'elle est entrée en fonction, en 2019, la situation sécuritaire était bien différente de ce qu'on connaît actuellement. La guerre en Ukraine et la présence d'une Russie belliqueuse sont ainsi ouvertement présentes dans son discours d'adieux. Les rangs de l'UDC auront certainement tressailli lorsque, comme un appel du pied à l'Otan, elle a déclaré:
Au moment de quitter le pupitre, la Valaisanne, visiblement émue, a à peine pu terminer son discours avant d'être prise de court par les sanglots.
Puis vient le scrutin. La présidente du Conseil national, Maja Riniker (PLR/AG) rappelle que le premier tour est libre, faisant planer l'ombre d'une candidature sauvage de la part de la gauche. Elle précise également d'écrire le prénom et le nom de chaque candidat — en référence au président du Centre, Gerhard Pfister, qui partage le même nom de famille que le candidat Martin.
Le résultat du premier tour tombe: Martin Pfister a bien failli être élu, à une voix près. Pour Markus Ritter, c'est la douche froide. On se rend compte d'un coup que les calculs étaient bons. Si l'honneur est sauf pour Ritter, la voie royale vers la défaite est tracée. Cela ne manque pas: au deuxième tour, Martin Pfister est élu avec une avance confortable.
Le candidat victorieux débarque alors dans la salle du Conseil national. Et on sent que celui qui siège au gouvernement zougois n'a pas ses habitudes à Berne: alors qu'il vient pour tenir son discours, il manque de trébucher sur une marche, puis hésite à savoir où se positionner pour une photo. C'est bien un outsider qui a été élu.
Mais dès qu'il prend la parole, tant en allemand qu'en français ou en italien, il montre immédiatement très à l'aise. Son sourire est honnête, son style rassurant. Le conseiller fédéral Martin Pfister est déjà là.
La gauche, qui n'était guère enthousiaste face au ticket centriste, ne l'est pas plus après l'élection de Pfister. Samuel Bendahan, vice-président du parti et chef de groupe au Parlement, lâche tout de go:
«Ce qu'on aurait apprécié du Centre, c'est qu'on nous offre un véritable choix avec un positionnement qui reflète le nom du parti. On a respecté le jeu et voté dans le ticket», tempère le Vaudois, qui espère que la gauche pourra progresser dans les prochaines élections fédérales pour augmenter ses voix au Conseil fédéral.
Le socialiste anticipe «des positions très dures défendues par une majorité de droite» au sein des Sept sages avec cette nouvelle configuration. Mais il le reconnaît: «Il y a une question de style et une manière de travailler avec les gens qui a pu convaincre» en faveur de Martin Pfister, face à un Markus Ritter plus clivant.
Pour le vice-président du Centre Vincent Maitre, ces critiques n'ont pas lieu d'être. «C'est dans l’ADN de la gauche de tacler les candidats des partis majoritaires», concède-t-il avec un sourire. «De leur point de vue, les propositions des tickets d'autres formations seront toujours trop à droite», analyse-t-il. Le Genevois ne tarit pas d'éloges sur le Zougois, qu'il voit comme un réel atout au Conseil fédéral.
«Il sera garant du consensus et d'une certaine stabilité», capable «d'enlever avec intelligence son costume partisan, en adoptant la stature d'un homme d'Etat». Quid de sa prise de position probable à la tête du Département de la Défense, de la sécurité et des sports (DDPS)?
«Martin Pfister saura définir les priorités et mettre de l'ordre au sein de ce département et définir les besoins de la Suisse en matière de sécurité», assure-t-il.
Du côté de l'UDC, qui soutenait le Saint-Gallois, on est plus sceptique. «Martin Pfister n'a certainement pas soulevé un grand enthousiasme au sein du Parlement, mais les autres partis ne voulaient pas de Markus Ritter», constate le conseiller national Jean-Luc Addor.
Le Valaisan prend toutefois acte et préfère se concentrer sur «les défis sécuritaires face auxquels le pays doit faire face». Il appelle notamment Martin Pfister à «stopper la dérive atlantiste dont Viola Amherd était une des artisanes». S'il le fait, «il aura le soutien de l'UDC», assure-t-il. Quant à sa probable place de chef de l'armée et du renseignement, Jean-Luc Addor lâche:
«Il faudra qu'il imprime vite sa marque», dit-il en indiquant que le Zougois devrait «faire ce que Viola Amherd n'a pas su faire», c'est-à-dire se séparer immédiatement du chef de l'armée, Thomas Süssli, et de celui des renseignements, Christian Dussey. Les deux hommes ont annoncé leur démission, mais ont prévu de rester en poste jusqu'à, respectivement, la fin de cette année et la fin mai 2026.
Jean-Luc Addor est par ailleurs capitaine à l'armée. Ne pense-t-il pas que le colonel Martin Pfister est l'homme de la situation?