C'est une journée maussade à Baar. Et il ne s'agit pas du nom d'une planète exotique sortie de Stargate ou du Mandalorian, mais bien de la deuxième commune du canton de Zoug. La bourgade, 25 000 habitants, est un mélange d'immeubles traditionnels mais bien rénovés, de restaurants bobo, d'expatriés anglophones qui parlent fort dans la rue et de gros SUV qui roulent sur des routes nickel.
Pourquoi avons-nous fait le déplacement bien loin derrière la Sarine depuis la Suisse romande? Parce que c'est la commune de résidence de Martin Pfister, qui faisait face au conseiller national Markus Ritter pour reprendre le siège de Viola Amherd. Qui est vraiment le nouveau conseiller fédéral? On est allé voir par chez lui.
Dans cette épicerie de fruits et légumes bio, qui fait aussi café, la vendeuse fait un geste de la main quand on lui parle du candidat. «Oui, j'ai déjà entendu parler de lui, mais je ne sais pas qui c'est. La politique, ça ne m'intéresse pas trop.» Elle sert une assiette vegan à un client zurichois, qui n'a jamais entendu parler du candidat. Martin Pfister, connu pour être discret, l'est-il un petit peu trop, même pour sa ville?
Après quelques recherches, nous rencontrons enfin quelqu'un qui le connait: Nadine.
Celle qui tient un kiosque en face de l'autel de ville raconte: «Je le vois souvent sortir du travail, il dit bonjour en passant.» Elle l'assure:
Mais pour en savoir plus sur Martin Pfister, il faut se rendre à Allenwinden, là où vit le candidat. Heureusement, le président du Conseil communal, Walter Lipp, accepte de nous y conduire dans une grosse Volkswagen électrique siglée du sceau de la commune. Tout en conduisant, il souligne:
Le politicien, lui aussi du Centre, me fait découvrir la localité de 1700 habitants, un peu excentrée, mais qui appartient à la commune de Baar. Walter Lipp en connaît tous les recoins. Les arrêts de bus, les trottoirs, la rénovation de l'auberge, la fermeture de la Poste locale et le déplacement de son guichet dans un magasin Volg: rien ne lui échappe.
Martin Pfister, lui, habite un simple pavillon, dans un quartier plutôt banal. Walter Lipp arrête la Volkswagen devant l'auberge du village, l'Adler — l'Aigle, en français. Nous sommes au centre du petit village, comme il y en a des milliers en Suisse: un magasin, une auberge, une Eglise.
Nous nous attablons pour prendre un café. Walter Lipp dit qu'il ne s'attendait pas à voir son collègue de parti se présenter un jour. Mais au fur et à mesure que les renoncements des candidats phares du Centre ont eu lieu, il a compris que Martin Pfister avait désormais toutes ses chances. Il dit par ailleurs regretter les problèmes de communication au sein du parti.
Martin Pfister est un homme — Walter Lipp énumère lentement et clairement les adjectifs face au journaliste romand qu'il a en face de lui:
Et comme en allemand, le plus important vient toujours à la fin, il faut comprendre que le sérieux d'un politique est l'argument n°1 pour convaincre les électeurs et parlementaires alémaniques. Pour un Romand, pas sûr que cet argumentaire soit très sexy. Mais c'est un fait: Martin Pfister coche toutes les cases des hommes sérieux qu'on recherche à Berne. Au risque d'être lisse?
Il faut dire que Zoug pèse déjà pas mal à Berne. Le canton est petit, mais puissant, à l'image de sa délégation au Parlement: outre les deux conseillers aux Etats (dont l'influent centriste Peter Hegglin), on trouve parmi les quelque trois conseillers nationaux deux poids lourds de la politique suisse: le président du Centre Gerhard Pfister et le chef de groupe UDC, Thomas Aeschi.
Ce n'est donc pas la première fois qu'Allenwinden propose un candidat sur le ticket pour le Conseil fédéral: Thomas Aeschi était candidat malheureux face à Guy Parmelin, en 2015. Mais la gauche avait alors préféré le Vaudois, plus modéré qu'Aeschi, un des hardliners de l'UDC.
Cette fois-ci, c'était au contraire plutôt Martin Pfister qui avait les faveurs de la gauche, face à un Markus Ritter plus profilé sur la droite du parti. Avec son élection, Zoug consolide pour sûr son ratio de «puissance politique par habitant» le plus élevé du pays.
Le gérant de l'auberge, Richard Theiler, vient s'asseoir à la table. Il pointe du doigt une petite colline à la fenêtre. «Thomas Aeschi a grandi par là-bas. Mais ce sont deux générations différentes», explique-t-il. Martin Pfister, 61 ans, a déjà une expérience solide comme conseiller d'Etat dans son exécutif cantonal depuis 2016. Thomas Aeschi a 46 ans.
Richard Theiler connaît Martin Pfister et assure que le politicien est très actif au sein du village. On peut le voir de temps à autre à l'Eglise avec sa famille, notamment lorsqu'il y a des concerts. Dès qu'il y a un évènement lié à une des associations du village, c'est bien simple: il est là.
On peut aussi le voir assez régulièrement à l'Adler avec sa femme et ses quatre enfants, désormais majeurs. Richard Theiler le décrit comme quelqu'un d'agréable et de «très peu compliqué». Espère-t-il recevoir un jour la course d'école du Conseil fédéral et voir les Sept sages prendre le brunch du dimanche dans sa salle de réception? L'homme rigole:
Martin Pfister élu, les rues de Baar seront à la fête. Pour des raisons de sécurité et d'infrastructure, la localité d'Allenwinden ne pourra toutefois pas héberger les réjouissances. Mais Walter Lipp l'assure:
Il ne s'agit pas de carnaval cette fois-ci, même si la prise de fonction au Conseil fédéral est prévue pour le 1er avril.