L’e-ID, atout suisse ou enfer soviétique? On vote
Ce 28 septembre, le peuple suisse glissera un bulletin dans l'urne pour décider du sort de l'e-ID, une pièce d'identité électronique facultative à utiliser sur son smartphone. Les sondages indiquent un «oui» entre 53 et 65%. Mais pour de nombreux irréductibles, cet outil certifié «sécurisé au maximum» par la Confédération dérange.
Deux visions de société s'opposent. Pour certains, le futur numérique arrive à grands pas et mieux vaut en esquisser les contours le plus vite possible pour une utilisation saine des outils digitaux. Pour d'autres, il s'agit d'un «glissement inquiétant» vers une société du contrôle et nous sommes sur le point d'ouvrir la boîte de Pandore.
Une société numérique qui doit être sûre
Assis derrière une petite table ronde du Parlement, à Berne, le conseiller national Gerhard Andrey (Verts/FR) fait de grands gestes pour expliquer sa vision des choses: une société où le numérique est intégré à notre vie de tous les jours sans être parasite.
«L'espace numérique est là, il ne va pas disparaître», résume celui qui n'imagine plus notre société sans l'apparition de Wikipédia, «comme Gutenberg à une autre époque». Le développement de l'e-ID, on le doit notamment à l'organisation «Société numérique», dont fait partie le Vert, qui est d'autant plus enthousiaste que le projet est totalement swiss made.
Il évoque un instrument pragmatique et simple, qui pourrait servir de base aux services publics numériques de demain, comme le permis de conduire, le vote en ligne, ou une solution inédite pour le dossier numérique du patient.
Mais Gerhard Andrey n'est pas naïf et se rend bien compte que cet espace numérique a aussi des allures de far west. Il dénonce le marchandage des données ou encore le rapprochement entre les géants de la tech américains et le pouvoir trumpiste. Les produits de la Silicon Valley ont des allures de «gros monstres qui dévorent tout sur leur passage».
Protéger les utilisateurs face à des prédateurs étrangers? Le projet de Gerhard Andrey a quelque chose de souverain — un adjectif qu'on associe plutôt à l'UDC.
«Staline n'aurait pas rêvé mieux»
«Le souverainisme numérique, je n'y crois guère», lâche d'emblée l'opposant au projet à Berne, le conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS).
Pour le Valaisan, le monde réel et le numérique se côtoient, se croisent, mais doivent rester hermétiques sur la question sensible et confidentielle des données. «La vraie protection, c'est d'user de sa liberté et de mener sa vie hors ligne — lorsque c'est encore possible. En se connectant quelque part, il faut assumer que nos informations peuvent être portées à la connaissance de tiers.» L'e-ID est présentée comme un outil facultatif, mais l'élu UDC est sceptique et entrevoit déjà une obligation, à terme, sur le modèle de la «technique du salami».
Les craintes de Jean-Luc Addor sont partagées par de nombreux Suisses, qui ne font confiance ni dans une solution privée — proposée au peuple et rejetée en 2021 —, ni dans une étatique. Avec comme peur, «l'utilisation des données par l'Etat à des fins de surveillance du peuple». Et d'ajouter: «Mes données qui partent à l’Etat, cela ne me rassure pas plus que dans la Silicon Valley».
L'application se veut pourtant un antidote à ces dangers et assure une confidentialité totale, selon Gerhard Andrey, en étant liée à un téléphone unique. Mais cet aspect «pragmatique» est pervers, pour le Valaisan, qui dénonce «l'aspect séducteur de la commodité». Pour lui, cette société électronique «porte en elle le risque du contrôle social et toute la déshumanisation qui l'accompagne».
Quelle alternative?
Mais il n'est pas toujours possible de tirer la prise du numérique comme on éteint la télé. Gerhard Andrey illustre la solution la plus couramment proposée sur certains sites pour vérifier l'âge:
«La carte d'identité n'a pas été prévue pour le cyberespace», remarque le Vert. «Et il y a souvent un modèle commercial secondaire de revente des données sur ces plateformes», note-t-il. L'e-ID permet justement de vérifier une identité ou un âge sans y laisser ses informations, totales ou partielles. Il sera, par ailleurs, possible de signaler les sites qui ne respecteraient pas les conditions requises, l'Office fédéral de la justice pouvant ensuite prendre position.
D'autres problématiques pourront trouver leur épilogue avec l'e-ID, assure le Vert. Comme la vérification de l'âge en ligne pour les mineurs sur les réseaux sociaux ou encore les outils de vérification de l'identité humaine, à l'ère des intelligences artificielles. «Il faut un outil plus efficace que des puzzles de memory», lâche-t-il ironiquement.
La foi en le numérique
Pesant ces solutions dans la balance, Jean-Luc Addor n'y trouve toujours pas son compte. «A terme, cet outil représentera une forme de contrainte technique et sociale», et de comparer la situation avec le certificat Covid durant la pandémie.
«Les craintes des opposants, nous les avons prises en compte dès le départ pour concevoir l'e-ID», rétorque Gerhard Andrey. Si le Valaisan reconnaît moins maîtriser la technologie que son collègue informaticien, un homme «compétent et intelligent», il note que c'est le cas de nombreux Suisses. Certains décident aussi de s'en éloigner «par conviction».
Cette votation sera décidément plus profonde qu'il n'y paraît.
