Alain Berset s'est, de nouveau, présenté devant la presse, mardi, pour annoncer l'inévitable: les primes maladie augmenteront de près de 8,7% en moyenne en 2024. Une situation crainte, prévue, anticipée. Pour ainsi dire: une triste routine.
Il n'empêche. Une routine qui fait grincer de plus en plus de dents et laisse entrevoir les limites d'un système. Alain Berset, qui quittera en décembre son poste de ministre de la santé après douze ans, l'a répété au cours de la conférence de presse:
A moins «d'une révolution» dans le domaine, une issue que le Fribourgeois a balayée après la question d'une journaliste, ce sont d'autres mesures qui devront être prises. Petit d'horizon des solutions proposées, des antécédents de celles-ci et de leurs soutiens auprès des partis et de la population.
C'est un serpent de mer qui revient toujours à la charge, et pour cause: cette solution changerait drastiquement le paysage des assurances maladie en Suisse. Elle permettrait de «couper dans le gras» et de simplifier l'administration des caisses maladie, comme la facturation des prestations ou la modification des contrats.
Il s'agit d'une des solutions les plus révolutionnaires, mais elle est aussi à double tranchant. A court terme, les économies se feraient sur le dos du personnel des assurances et un grand nombre de licenciements auraient lieu. A long terme, ses détracteurs craignent la création d'un «Etat social» qui échapperait au contrôle des coûts derrière une façade de simplicité. Et de comparer la situation avec les pays où le financement de la caisse unique est devenu hors de contrôle, comme la France. A l'image des déclarations du conseiller national centriste valaisan Benjamin Roduit dans les colonnes de 24 heures, qui évoque le Canada:
Cette solution a déjà été proposée et refusée plusieurs fois dans les urnes, avec des projets différents. En 2007, l'initiative «Pour une caisse maladie unique et sociale» s'était faite balayer à 71%. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le Röstigraben était évident. Seuls deux cantons avaient accepté l'initiative (Jura et Neuchâtel) et les cantons alémaniques s'étaient montrés particulièrement froids à l'idée.
En 2014, une initiative en faveur d'une «caisse publique» avait été plébiscitée par Genève, Vaud, Neuchâtel et Jura, mais refusée par tout le reste du pays à 61%. L'écart s'est donc déjà bien creusé en sept ans. Cette année, l'idée de la caisse maladie unique revient au pas de charge en Suisse, et ce, dans un grand nombre de milieux. Selon notre sondage, l'idée trouve un écho favorable auprès de la base de tous les partis.
Il faut dire que les primes ont quasiment doublé dans tous les cantons en 20 ans alors que les salaires stagnent.
Le retour de la caisse maladie unique comme solution a été évoquée au mois d'août dernier par le socialiste vaudois Pierre-Yves Maillard. L'idée a été acceptée lors du congrès du PS du 26 août, et celui-ci doit désormais «réfléchir au lancement d’une initiative populaire» en ce sens. L'idée cette fois-ci est de créer une caisse publique par canton, et non pas une grande caisse au niveau national.
Le système des primes est basé sur un modèle libéral: chaque caisse d'assurance décide de l'offre qu'elle propose à ses clients — qu'elle adapte en fonction de l'offre et la demande des soins et des prestations médicales — et ceux-ci peuvent choisir de changer si l'offre ne leur convient pas. Toutefois, la différence entre les offres que proposent les caisses n'est pas faramineuse au point de pouvoir réellement profiter de la concurrence. Le Parti socialiste a présenté sa solution: faire payer les gens en fonction de leur revenu.
Selon le PS, cette solution bénéficierait à 85% de la population et ferait surtout casquer les 10% les plus riches. Près de 40% de la population ne paierait carrément aucune prime. Le parti avance quelques exemples:
La méthode de calcul est basée sur celle de l'Impôt fédéral direct (IFD) et les chiffres sont issus du simulateur fiscal de l’Administration fédérale des contributions (AFC), explique Le Temps. Parmi les 10% de contribuables qui payeraient pour les autres, on retrouve:
Pour ses opposants, le problème principal de ce système est qu'il ne favorise pas l'autosuffisance financière du système de santé. En effet, il sera plus facile de se satisfaire d'un bas salaire et ainsi de ne pas participer au financement des soins dans son ensemble. Même s'il permettrait aux plus pauvres de payer moins, il risque de créer des déficits dans le financement des soins qui fragiliseront les prestations et donc les patients. Le président de la Conférence des directeurs cantonaux de la santé, le conseiller national centriste Lukas Engelberger, a d'ores et déjà critiqué cette solution. Il est également à préciser que cette solution est théorique et que son application pourrait soulever d'autres questions.
Ici, la solution n'est pas tant de changer radicalement le système que d'empêcher juste les très pauvres de se retrouver coulant sous les primes maladie. Dans les faits, personne ne devrait payer plus de 10% de son revenu pour payer son assurance maladie. Cette solution ne devrait pas tant péjorer les rentrées financières des caisses — l'argent va bel et bien être versé — qu'alourdir encore les dépenses du social. Une initiative allant en ce sens a été déposée en 2021 à Berne et devrait passer devant le peuple en juin prochain.
Si la solution semble difficile à appliquer au niveau suisse, où la sensibilité sur les caisses de l'Etat diffère sensiblement d'un côté à l'autre de la Sarine, certains cantons pourraient l'adopter à titre individuel, à l'image du salaire minimal. Dans le canton de Vaud, cette solution a déjà été adoubée par le peuple et adoptée en 2019. Verdict? Pas loin de 120 000 personnes en bénéficient (contre une estimation de 55 000 en 2015) et les coûts pour payer les surplus s'élèvent à 88 millions par année (contre 55 estimés au départ).
Dans le canton de Neuchâtel, ce n'est rien de moins que mardi matin (quelques heures avant l'annonce de l'augmentation des primes) que le conseiller national et candidat aux Etats socialiste Baptiste Hurni a déposé à la chancellerie cantonale une initiative allant dans ce sens.
Ce n'est pas tant une solution précise en tant que telle qu'une mesure demandée par tous les partis. Mais difficile de l'appliquer, à l'heure où la population vieillissante demande toujours plus de soins, où les marges sur les prix des médicaments sont parfois hautes et où la demande pour les soins en matière de santé mentale explose, notamment auprès des plus jeunes.
Il n'empêche, il s'agit de la seule solution qui fait l'unanimité, mais reste encore à savoir comment organiser ces restrictions tout en gardant le système de soins solidaire et qualitatif. Le Centre, typiquement, est peu désireux de modifier le système en profondeur comme le demande la gauche, mais ne veut pas non plus limiter l'accès aux prestations comme le demandent certains élus de droite (voir plus bas).
Il a donc lancé une initiative pour réduire drastiquement les dépenses de la santé. Si le projet «frein aux coûts» connaît quelques difficultés au Parlement, un contre-projet a été accepté par le Conseil des Etats lors de la dernière session.
Ici, on rentre dans le domaine des «turbulences» politiques, tant l'idée fait grincer des dents une partie des parlementaires à Berne, notamment à gauche. C'est le vice-président du PLR et conseiller national valaisan Philippe Nantermod qui porte cette idée à Berne. L'idée n'est pas tant de pénaliser ceux qui ont besoin d'un accès évident aux soins que de transformer ceux-ci, «dans un cadre moins luxueux que celui que l'on peut connaître dans certains hôpitaux», a expliqué Nantermod à la RTS. Il déroule une partie du programme dans une chronique du mois de mai publiée sur Blick:
Du côté des critiques, on craint que les assureurs n'en profitent pour poser un nombre grandissant de conditions pour avoir accès aux soins tout en profitant de garder leurs marges, ou encore de créer une société où l'accès aux soins serait à plusieurs vitesses et perdrait complètement de son caractère solidaire.
On l'a gardé pour la fin et après avoir parlé de «turbulences» pourquoi ne pas évoquer le «bouton nucléaire» du système du financement de la santé? On entend: supprimer le système d'assurance maladie obligatoire?
Cette idée qui transformerait la Suisse en un genre d'Etats-Unis en plein cœur de l'Europe est venue de Natalie Rickli, conseillère d'Etat UDC en charge de la Santé du plus grand canton de Suisse: Zurich. Ces propos ont été évoqués dans une interview avec le Tages-Anzeiger, qui date du mois d'août. Dans une atmosphère de ras-le-bol face au cul-de-sac du système des primes, la boss de la santé zurichoise n'a pas hésité à évoquer de faire tabula rasa:
A cette heure, les suites de cette déclaration sont peu claires. La politicienne compte-t-elle militer et argumenter en faveur de la suppression de l'assurance maladie obligatoire? Autrement dit: est-ce une manière pour l'UDC d'introduire l'idée au niveau national ou bien juste un coup de gueule bien senti? Selon notre sondage, en effet, 44% des votants de l'UDC caressent cette idée, loin devant les autres partis: 27% du PLR, 11% du Centre et des Vert'libéraux et moins de 10% pour les partis de gauche.