Travail du sexe: «Dans la famille, les réactions ont été diverses»
Pour beaucoup de personnes, le travail du sexe constitue un univers peu connu et lié à de nombreux clichés négatifs. En juin dernier, lorsque certaines voix s'élevaient pour réclamer un durcissement des règles, nous avons donné la parole à Avril Nyx*, qui pratique cette profession en Suisse romande depuis quelques années. Son père Alexis** et sa copine Remie ont accepté de compléter son témoignage. Interview croisée.
Comment avez-vous appris le métier d'Avril?
Alexis: Ça s'est fait en deux temps. Avril a d'abord commencé à travailler avec une association d'accompagnement sexuel pour personnes en situation de handicap. Après un certain temps, il nous a dit que ce métier le passionnait, qu'il avait envie de le pratiquer à plein temps et de proposer ses prestations à toutes et tous.
Remie: Nous avons parlé de nos métiers respectifs dans les premiers échanges, la question de la profession étant très ancrée en Suisse. Je l’ai donc appris très vite.
Et quelle a été votre réaction?
Remie: C'était la première fois que je rencontrais quelqu'un qui faisait ce métier, et j'ai trouvé ça hyper intéressant. Ça permet d'avoir des connaissances autres que les médias ou les livres. Il n'y a pas eu de questionnements par rapport à ma position, nous en avons parlé très librement depuis le début.
Alexis: Il y a eu énormément d'interrogations. Je me suis demandé si sa décision était motivée par l'argent, un rejet de la norme ou par un traumatisme vécu durant son adolescence.
Il s'agit d'un métier dont la plupart des gens parlent avec mépris. J’avais énormément de crainte, pour sa sécurité, qu’il soit stigmatisé, qu’il se retrouve seul face à toute cette hostilité avec les risques que cela engendre: isolement, précarité, souffrance, suicide, etc...
Vos peurs se sont-elles estompées, aujourd'hui?
Alexis: Partiellement, mais digérer le fait qu'Avril soit travailleur du sexe a pris du temps. Emotionnellement, cela a été difficile et il a été primordial pour nous tous d’apprendre à gérer nos angoisses afin de pouvoir accompagner et soutenir notre enfant dans son choix de vie.
Comment y êtes-vous parvenu?
Alexis: Avril a fait un gros travail de transparence. Il nous a expliqué ses convictions et a su nous persuader que c'était un métier épanouissant pour lui avec un rôle social important. Je sais maintenant qu'il le pratique avec des gens choisis, bienveillants et dans des conditions bien cadrées.
En tant que parents, avez-vous essayé de lui faire changer d'avis?
Alexis: Pas vraiment parce que je connais bien notre Avril. Quand il a décidé de faire quelque chose, il y a longuement réfléchi et il va jusqu'au bout. C'est une des nombreuses qualités que sa maman et moi admirons chez lui.
Il y a donc eu une adaptation. Cela a-t-il également été le cas pour vous, Remie?
Remie: Non, pas du tout. Pour moi, il n'y a jamais eu de big deal par rapport à ça. Je considère le travail et l'intimité comme deux choses distinctes.
Le métier d'Avril n'a-t-il donc jamais constitué un obstacle dans votre relation?
Remie: Non, au contraire. Ça a toujours mené à de magnifiques discussions. Avril partage beaucoup ce qu'il vit à travers son métier, et il y a énormément d’amour. Pour moi, c'est rassurant.
Parlez-vous librement du métier d'Avril auprès de votre entourage?
Alexis: Pas facilement pour être honnête. Certaines personnes ne sont pas prêtes ou n'ont pas envie d'entendre parler de ce choix. Avec d'autres, en revanche, on s'est dit qu'il valait la peine d’essayer. Il faut dire qu'Avril avait informé toute la famille. Cela nous a libérés d'un poids, notamment vis-à-vis de quelques personnes qui auraient pu être choquées.
Remie: Globalement, j'en ai toujours parlé librement. Ma famille est au courant depuis longtemps maintenant, tout comme mes amis. Il n'y a jamais eu des soucis par rapport à ça.
Justement, avez-vous déjà eu des réactions négatives?
Remie: Non, plutôt des questionnements, ou de la curiosité, puisqu'il s'agit d'une réalité peu connue. J'ai eu majoritairement des réactions positives, ou maladroites.
Dans quel sens, maladroites?
Remie: Certaines personnes se sont mises à ma place et m'ont dit qu'elles ne pourraient jamais vivre la même chose.
Alexis: Dans la famille, les réaction ont été diverses. Certaines bienveillantes et d’autres moins. Par contre, aucune réaction virulente.
Et qu'en est-il des connaissances?
Alexis: Nous en avons parlé à certains amis proches. Avec d'autres, nous nous sommes dit que c’était trop tôt. Ça risquait tout au plus d'attirer des regards et des comportements compatissants envers nous, ses parents. Nous l’avons évoqué lorsque nous pensions que cela pouvait faire évoluer les mentalités.
En parler reste donc important, selon vous?
Alexis: Absolument. C’est une profession controversée et trop souvent assimilée à un monde criminel dans lequel les travailleuses et travailleurs sont considérés comme soumis et dépourvus de pouvoir d’action. Faire cet amalgame, peu importe la discrimination d’ailleurs, n’apporte que stigmatisation et violence.
Remie: Je rejoins l’avis d'Alexis. De manière générale, je suis assez introvertie, donc je ne parle pas beaucoup de ma vie privée. Mais, quand je sens que la personne en face de moi est prête à entendre et pourrait changer d'avis, j'évoque le sujet.
Vous avez dit qu'Avril pratique ce métier avec des personnes bienveillantes. Faites-vous davantage confiance à ses collègues qu'aux autorités, lorsqu'il s'agit de sa sécurité?
Alexis: Le plus gros problème est que cette profession ne bénéficie d'aucune protection. C’est entre autres parce que le métier est dévalorisé qu’il y a de la violence. Comment voulez-vous que les autorités puissent être suffisamment sensibilisées et réactives si elles sont mal informées? Dans tout métier reconnu, il y a un cadre qui permet d'éviter les risques et de subvenir aux besoins de la personne en cas d'accident. Avec le travail du sexe, ce n'est malheureusement pas le cas.
Remie: Je n'ai aucune confiance dans les autorités. Le simple fait d'être perçue comme une femme nous expose à un traitement inadéquat lorsqu'on va porter plainte pour abus ou agression sexuelle. Quand on ajoute encore le stigmate du travail du sexe, les choses deviennent encore plus difficiles. C'est pour ça que les personnes ne portent pas plainte.
*Avril utilise les pronoms il/elle et nous a demandé d'utiliser le terme travailleureuse du sexe à son sujet.
**Alexis est un prénom d'emprunt