Temu: un commerçant suisse décide de tout dévoiler
Peluches, vernis à ongles ou accessoires électroniques: des plateformes suisses proposent désormais ce type de produit sur Temu.
L'entreprise chinoise s'est ouverte aux commerçants helvétiques mi-septembre et promet un «canal de vente rentable et à fort potentiel». Dans un premier temps, Temu met à disposition son site pour les ventes en Suisse, puis les marchés internationaux devraient suivre.
Jusqu'à présent, cela concerne de petites entreprises peu connues. Parmi elles, un distributeur d'électronique zurichois. Son directeur souhaite rester discret, il accepte en revanche de raconter son expérience avec le mastodonte chinois.
Un constat sans appel
Au cours des dernières semaines, il a tenté de comprendre le fonctionnement de la plateforme et sa politique de prix. Il a aussi cherché à évaluer si Temu pouvait constituer un canal de distribution intéressant.
Après une première «phase de test», le distributeur tire une conclusion décevante:
La société zurichoise n'a rien vendu pour l'heure, malgré son article proposé volontairement à un prix très avantageux.
S'aligner ou s'en aller
Rien de bien surprenant quand on sait à quel point la guerre des prix sur Temu est impitoyable. Le Zurichois explique:
Selon lui, l'entreprise chinoise n'impose officiellement aucun prix fixe.
Ces recommandations ne sont pas contraignantes. Néanmoins, les fournisseurs n'ont guère le choix: ceux qui ne se plient pas aux exigences deviennent quasiment invisibles.
En Allemagne, l'Office fédéral des cartels a saisi cette occasion pour ouvrir une enquête sur la plateforme. Il soupçonne une «influence potentielle sur la fixation des prix via une détermination des prix finaux par Temu lui-même».
La Commission suisse de la concurrence (Comco) ne s'est pas encore penchée sur la question. Probablement parce que seuls quelques acteurs nationaux ont analysé les rouages du système. Le nombre d'entre eux ayant rassemblé des éléments pour une plainte concrète reste encore faible.
Dépôt de plainte envisagé
Peut-être plus pour longtemps. Dagmar Jenni, directrice de la Swiss Retail Federation, nous a assuré:
Après le lancement de l'offensive suisse de Temu, elle a voulu se faire une idée des conditions proposées. Dagmar Jenni n'y est pas parvenue: la plateforme lui a répondu que seuls certains clients sélectionnés pouvaient actuellement ouvrir un compte.
L'un de ces privilégiés était le détaillant en ligne Brack, acteur helvétique majeur du secteur. Il a clairement rejeté les avances du Chinois. Selon des sources internes, Temu a écrit à plusieurs autres sociétés, leur promettant qu'elles n'auraient rien à payer, du moins au début.
Mais la plateforme chinoise peine à faire son nid malgré tout. Même le distributeur d'électronique zurichois qui a essayé Temu constate:
Les plateformes doivent désormais payer la TVA
Le scepticisme à l'égard du géant chinois reste grand dans notre pays. Au lieu de s'y associer, les principaux vendeurs en ligne suisses et leurs faîtières tentent notamment de dompter la concurrence asiatique. Ils exigent qu'elle se soumette aux mêmes règles qu'eux.
En matière de TVA, cette «égalité des chances» s'est concrétisée en début d'année. Bien que Temu se considère uniquement comme un intermédiaire et ne vende rien lui-même, elle devra désormais payer 8,1% de TVA sur son chiffre d'affaires suisse. Jusqu'à présent, elle exploitait un vide juridique: les fournisseurs de la plateforme expédiaient majoritairement des colis d'une valeur inférieure à 62 francs. Les douanes ne percevaient pas la TVA, car le montant aurait été inférieur à 5 francs. Il en aurait résulté une charge administrative supérieure aux recettes.
L'Administration fédérale des contributions n'est pas en mesure de dire combien d'argent Temu et compagnie ont versé jusqu'à présent au fisc. On sait par contre que 51 plateformes se sont inscrites au registre jusqu'à présent, dont 24 proviennent de l'étranger.
Ces dernières ont déclaré un chiffre d'affaires de 1,4 milliard de francs pour le premier semestre. Selon la Confédération, il n'est toutefois pas possible de déterminer «sans un examen approfondi» la part de cette somme qui revient à l'Etat au titre de la taxe sur la valeur ajoutée. Quoi qu'il en soit, une plateforme étrangère et trois Suisses ont déjà reçu un avertissement pour ne pas avoir effectué leur déclaration ou l'avoir faite trop tard. A ce jour, l'administration fiscale n'a infligé aucune amende.
Temu se défend contre les accusations
La faille fiscale semble en tout cas comblée. De plus, le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) est récemment intervenu auprès de Temu afin de mettre fin aux offres d'appât illicites sur son site.
Mais cela ne suffit pas aux acteurs locaux, qui continuent de se sentir désavantagés sur plusieurs fronts. Ainsi, la plateforme ne respecterait ni les normes suisses en matière de sécurité des produits, ni les exigences en matière de responsabilité, ni les règles de recyclage.
Pour Bernhard Egger, directeur général de l'Association suisse du commerce, le Conseil fédéral et le Parlement doivent rapidement remédier à cette situation:
Dans le secteur, l'influence considérable de Temu sur la fixation des prix n'aura échappé à personne, explique Egger:
En réponse aux accusations de dictature des prix, le commerçant chinois affirme respecter les lois et réglementations en vigueur dans les pays où il opère:
(Adaptation française: Valentine Zenker)