C’est une particularité de l’armée de milice: les militaires conservent leur arme à la maison, même hors service. Pendant longtemps, ils recevaient en plus une boîte de ce qu’on appelait les «cartouches de poche». L’idée était qu’en cas de guerre, les soldats soient équipés avant même de rejoindre leur unité.
Le féminicide de l’ancienne skieuse Corinne Rey-Bellet a marqué un tournant. En 2006, son mari l’a tuée avec un pistolet d’ordonnance, a abattu son frère, grièvement blessé sa mère, avant de se donner la mort. Ce drame s’ajoutait à d’autres homicides commis dans le cadre de violences domestiques avec des armes de service. Sans doute aussi parce que la victime était très connue, le Parlement a resserré la législation: en 2007, il a décidé que les cartouches de poche ne seraient plus distribuées.
Depuis, pour certains élus de droite, ce choix reste une provocation. Ils ont tenté à plusieurs reprises de revenir en arrière. A gauche, au contraire, on jugeait la réforme insuffisante. Les parlementaires réclamaient que les fusils d’assaut restent dans les casernes et ne rentrent plus à la maison – ou du moins qu’ils puissent être déposés volontairement à l’arsenal. Cette option est ouverte depuis 2020.
Le débat entre la gauche et la droite sur l’armement des réservistes a connu un nouvel épisode cette année. Deux décisions du Conseil fédéral, rendues publiques en août, montrent que le gouvernement s’oriente vers une ligne qui équivaut, au moins en partie, à un désarmement dans la sphère privée. Le gouvernement a tranché par deux fois dans le sens de la gauche.
Le 20 août, le Conseil fédéral a examiné une motion du conseiller national UDC Werner Salzmann. Celui-ci demandait que les soldats reçoivent à nouveau des cartouches de poche. Le politicien bernois invoquait lors de sa plaidoirie la guerre en Ukraine:
Cela n’a pas convaincu le Conseil fédéral. Il rappelait dans sa réponse s’être déjà penché en 2022 sur une motion similaire de l’UDC, avoir recommandé son rejet, et que le Parlement a suivi son avis. A ses yeux, rien n’a changé depuis: il continue de refuser le retour des cartouches de poche.
Une semaine plus tard, le 27 août, le Conseil fédéral a en revanche dit oui à une motion de la conseillère nationale socialiste Priska Seiler Graf. Le texte est sans appel, comme l'a écrit la spécialiste zurichoise des questions de sécurité:
Avec cette formulation, Priska Seiler Graf fait de l’armée une complice des meurtres de femmes. Elle s’appuie sur une étude commandée par la Confédération, qui analyse le rôle des anciennes armes de service dans les cas de violences domestiques. Elle réclame donc que toutes les armes militaires soient à nouveau retirées, «si leur détenteur ne les a pas utilisées depuis plus de dix ans dans le cadre du tir sportif».
Une telle période de grâce exclurait les tireurs sportifs, mais toucherait en priorité les hommes âgés détenteurs d’une arme.
Priska Seiler Graf fonde son argumentation sur les conclusions de l’étude. Lorsqu’une arme à feu est utilisée dans un contexte de violence domestique, il s’agit majoritairement d’armes de service. Elle affirme:
Cela vaut en particulier dans les cas où des hommes âgés tuent leur partenaire avant de se suicider.
La conseillère nationale zurichoise étaye encore son propos par des chiffres tirés de l’étude: dans les homicides domestiques commis avec une arme à feu, 84% des auteurs sont suisses. Leur âge moyen est de 63,2 ans. Les données portent sur la période 2015 à 2022. Pour rappel: dans les féminicides, le couteau reste l’arme la plus fréquemment utilisée, et les auteurs sont souvent aussi des étrangers. Tout récemment, à Corcelles, un ressortissant algérien a tué son ex-femme et leurs deux enfants au couteau.
Pour Priska Seiler Graf, l’obligation de remettre les armes de service inutilisées depuis longtemps est une «contribution à la prévention des homicides domestiques par arme à feu». Le Conseil fédéral semble partager cette analyse.
Adapté de l’allemand par Tanja Maeder