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Pauvre ou riche? Voici qui détruit le plus le climat

Les jets privés, les yachts et les villas de luxe génèrent une empreinte carbone élevée. Ici, des expatriés sur un yacht privé dans les Emirats arabes unis.
Les jets privés, les yachts et les villas de luxe génèrent une empreinte carbone élevée. Ici, des expatriés sur un yacht privé dans les Emirats arabes unis.Image: Johnny Greig / Getty

Pauvre ou riche? Voici qui détruit le plus le climat

Les ménages les plus riches de Suisse génèrent davantage d'émissions que les plus modestes. Mais cette différence ne se vérifie pas dans tous les domaines. C'est ce que révèle une étude suisse récente sur le lien entre climat et revenu.
31.10.2025, 05:3431.10.2025, 05:34
Stephanie Schnydrig / ch media

C'est une proposition controversée: quiconque lègue ou offre plus de 50 millions de francs à ses enfants ou petits-enfants devrait en reverser la moitié à l'Etat. Ce montant serait exclusivement destiné à la protection du climat.

C'est ce que prévoit l'initiative sur l'impôt sur les successions des Jeunes socialistes. Mais que se cache-t-il derrière cette idée de faire payer les plus riches pour le climat? Et dans quelle mesure les super-riches pèsent-ils réellement sur l'environnement?

Un lien de cause à effet bien établi

A l'échelle mondiale, le lien entre richesse et émissions de CO₂ est depuis longtemps solidement établi. Une étude de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETH) publiée au printemps montre ainsi que les 10% des plus riches de la population mondiale ont été responsables d'environ deux tiers du réchauffement climatique depuis 1990.

L'organisation humanitaire et de développement Oxfam a de son côté calculé que cinquante des milliardaires les plus fortunés émettent, en moins de trois heures, plus de CO₂ qu'un Britannique moyen au cours de toute sa vie. Les nombreux voyages en jet privé pèsent particulièrement lourd dans ce bilan. D'autant que, selon une étude parue dans la revue Communications Earth & Environment, les émissions de l'aviation privée ont augmenté de 46% entre 2019 et 2023, et que le secteur s'attend à une croissance continue.

De telles études soulèvent surtout la question de savoir dans quelle mesure ces constats s'appliquent à la Suisse. Dans quelle proportion, ici, les émissions de CO₂ dépendent-elles du revenu?

La fréquentation des restaurants ressort

Des réponses sont apportées par une étude de Florian Landis, expert en politique climatique et énergétique à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW). Landis a analysé les données de consommation d'environ 10 000 ménages suisses et les a croisées avec des analyses du cycle de vie des biens consommés. Les résultats ont été publiés récemment dans la revue Swiss Journal of Economics and Statistics.

Selon cette étude, les ménages aisés en Suisse émettent également nettement plus de CO₂ que les ménages plus modestes. Cela s'explique surtout par des voyages en avion plus fréquents, une consommation accrue de services de luxe et davantage de repas au restaurant. Landis explique ce dernier point ainsi:

«Au restaurant, on mange plus un gros steak que chez soi, où l'on se contente parfois de pain ou de pâtes à la sauce tomate»

Une autre conclusion de l'étude peut surprendre: par franc dépensé, les ménages plus riches génèrent moins d'émissions. Ils chauffent certes un peu plus et utilisent davantage la voiture que les ménages à revenu plus faible, mais il leur reste ensuite plus d'argent pour financer une consommation relativement «peu émettrice», explique Landis.

Un détail surprenant qui s'explique

Pour les ménages moins aisés, c'est l'inverse: leur consommation globale est plus faible, mais chaque franc dépensé génère plus de CO₂. La principale raison en est le logement. Dans les foyers à faible revenu, on chauffe plus souvent au mazout, souvent dans des bâtiments mal isolés. Les familles plus riches, en revanche, vivent plus fréquemment dans des logements neufs plus respectueux du climat, équipés de pompes à chaleur ou de chauffage urbain.

Landis reconnaît que l'ensemble des données qu'il a utilisé inclut certes des ménages très aisés, mais que les cas extrêmes ne sont pas suffisamment représentés pour évaluer statistiquement la situation des 0,1% les plus riches. Il explique:

«Pour les milliardaires, il faudrait presque interroger chacun individuellement, ce qui, en raison de leur nombre très réduit, rendrait le respect des règles de protection des données impossible.»

Néanmoins, l'étude met clairement en évidence la tendance pour l'ensemble de la population.

L'empreinte écologique de Bill Gates

Pour dresser un portrait précis de l'empreinte écologique des super-riches, les anthropologues américains Beatriz Barros et Richard Wilk se sont penchés sur les émissions privées de vingt milliardaires célèbres, dont Elon Musk, Jeff Bezos et Bill Gates, en se basant sur des données publiques.

Leur analyse montre que ces émissions dépassent celles des citoyens ordinaires d'un facteur mille, même comparées à celles de personnes vivant dans des pays très riches. Les principaux responsables de leur impact climatique sont: les mégayachts, les limousines de luxe, les vastes résidences et, de façon récurrente, les jets privés.

Bill Gates, par exemple, est reconnu comme philanthrope engagé sur les questions climatiques et ne possède apparemment pas de yacht personnel. Mais rien que par ses voyages privés en avion, il émet chaque année environ 7400 tonnes de CO₂, selon les calculs. Cela représente plus de 600 fois la consommation moyenne d'un Suisse, qui se situe autour de 12 tonnes.

Cela soulève la question de savoir si prendre de l'argent à Bill Gates et aux autres super-riches pour le redistribuer largement serait bénéfique pour le climat. Selon les anthropologues Barros et Wilk, ce n'est peut-être pas le cas, et ils avancent un argument provocateur: il se pourrait que, pour le climat, il soit préférable que la richesse reste concentrée. Si l'on répartissait le patrimoine d'une seule personne entre cent autres, ce seraient soudain cent yachts qui navigueraient sur les mers, au lieu d'un seul.

Une confiance altérée pour la protection du climat

Le chercheur de la ZHAW, Florian Landis, connaît cet argument et déclare: «Les données permettent tout à fait d'en tirer cette conclusion.» Une simple redistribution du patrimoine augmenterait probablement les émissions, du moins à court terme.

On entend souvent dire qu'il ne faut pas imposer des exigences climatiques trop strictes, car les ménages plus modestes n'auraient pas les moyens de les respecter. Pourtant, avec davantage de ressources financières, on pourrait aussi exiger d'eux des efforts plus importants, par exemple pour la rénovation énergétique des bâtiments. La stratégie d'un fonds climatique, telle que prévue par l'initiative des Jeunes socialistes, permettrait de désamorcer ce conflit entre redistribution et protection du climat: l'argent des plus riches ne serait pas distribué directement aux moins favorisés, mais utilisé de manière ciblée.

En fin de compte, pour le climat, peu importe qui émet le CO₂: ce qui compte, c'est la quantité. Et pourtant, soutiennent Barros et Wilk, la consommation excessive des super-riches n'est pas sans conséquence: elle mine la confiance dans les solutions collectives. Voir certains naviguer sur un mégayacht alors que d'autres hésitent à acheter un billet d'avion pour Majorque conduit, préviennent les deux chercheurs, à douter de la pertinence de ses propres sacrifices et de l'équité de la politique climatique.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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