L'UDC tenterait de limiter la liberté des jeunes trans
Le débat sur les opérations de réassignation de genre est désormais arrivé au Parlement fédéral. Dans une motion déposée lors de la dernière session à Berne, Nina Fehr Düsel (UDC/ZH) demandait une interdiction étendue des opérations de transition et une limitation de la prescription des bloqueurs de puberté au seul cadre des études scientifiques.
Elle écrit:
Un sujet difficile à aborder
La conseillère nationale s’aligne ainsi sur sa collègue de parti Natalie Rickli. La conseillère d'Etat zurichichoise chargée de la santé avait réclamé, cet été, une interdiction des opérations de transition au niveau cantonal. Un rapport avait conclu que, pour des raisons juridiques, une telle interdiction ne pouvait pas être décrétée au niveau cantonal. Dans son texte, Nina Fehr Düsel insiste:
Le débat autour de ce sujet est rapidement devenu émotionnel. La conseillère nationale Céline Widmer (PS/ZH) a qualifié cette revendication de «pure politique symbolique faite sur le dos de personnes vulnérables». Dans une prise de position, le Transgender Network Switzerland (TGNS, l’association suisse des personnes trans) a dénoncé une «attaque politique» contre le système de santé, l’autodétermination du corps et l’expertise des professionnels de la médecine.
Les chiffres concernant ces opérations
Le nombre d’interventions pratiquées sur des mineurs a nettement augmenté ces dernières années. Il s’agit surtout d’un type d’opération, la mastectomie chez les hommes transgenres, c’est-à-dire l’ablation de la poitrine. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), il s'agit de l’intervention la plus courante. Chez les moins de 18 ans, leur nombre est passé de 7 en 2018, à 32 en 2023.
Les autres interventions chez les mineurs restent extrêmement rares, et l’OFS ne publie aucun chiffre à leur sujet. En conclure qu’il n’existe pas d’opérations sur les organes génitaux serait toutefois erroné.
Lorsque le nombre d’interventions dans une tranche d’âge est égal ou inférieur à trois, l’Office enregistre bien l’opération pour l’année concernée, mais sans en indiquer le chiffre exact. S’il n’y a eu aucune intervention, aucune mention n’apparaît. L’OFS justifie cette méthode par la protection des données.
Les statistiques montrent ainsi que, depuis 2018, quelques ablations des testicules ou de l’utérus, ainsi que des phalloplasties et vaginoplasties, ont également été pratiquées chez des patients mineurs.
Le consentement des parents, juridiquement optionnel
On ignore toutefois dans quels établissements ces opérations ont eu lieu. En Suisse, seule une demi-douzaine de cliniques proposent ce type d’intervention. Même après avoir sollicité les hôpitaux, nous n’avons pas pu déterminer où ces opérations ont été effectuées.
A Lausanne, le Chuv précise qu’il ne pratique en principe aucune chirurgie de réassignation sexuelle sur des mineurs. Seules des torsoplasties, c’est-à-dire des mastectomies, peuvent être réalisées avant l'âge de 18 ans, «à l’issue d’une longue phase d’évaluation et d’un accompagnement par une équipe pluridisciplinaire», explique l'hôpital universitaire.
Barbara Mijuskovic affirme n’avoir jamais opéré une seule personne mineure sur les organes sexuels primaires au cours de sa longue carrière. De 2015 à 2024, elle a exercé comme spécialiste de la chirurgie génitale et mammaire de réassignation au Centre hospitalier universitaire de Bâle. Depuis septembre 2024, elle dirige le service de chirurgie de réassignation de l’Hôpital cantonal de Zoug.
Sur le plan juridique, de telles opérations sur les organes génitaux de mineurs sont possibles en Suisse. Si la personne est jugée capable de discernement, elles peuvent même être pratiquées sans le consentement des parents.
Mais, selon Barbara Mijuskovic, un tel scénario ne correspond pas à la réalité hospitalière. Le fait que les interventions chez les mineurs se limitent aux seules mastectomies suit les recommandations internationales. Ces rares cas font en outre l’objet d’une longue réflexion et d’un accompagnement impliquant la famille.
Le Chuv confirme cette approche. Les parents sont systématiquement associés au processus décisionnel, et les patients opérés à Lausanne pour des mastectomies étaient tous âgés de plus de 17 ans.
Un mal-être à l'origine de ces opérations
Pourquoi, chez les mineurs, les opérations concernent-elles surtout des adolescents transmasculins, c’est-à-dire des filles biologiques? Selon Barbara Mijuskovic, cela s’explique par une détresse psychologique particulièrement marquée.
A la puberté, lorsque la poitrine se développe, il devient difficile de la dissimuler. La chirurgienne explique:
A l’inverse, une personne transféminine peut plus facilement adapter son apparence sociale à l’aide de soutiens-gorge rembourrés ou d’inserts.
Pour beaucoup de jeunes personnes trans, ce qui compte avant tout, c’est l’apparence sociale. Barbara Mijuskovic explique qu’un désir d'être opéré au niveau des organes génitaux se manifeste également, mais que cette partie du corps est moins exposée au regard des autres, ce qui permet de reporter la décision.
Les chiffres montrent qu’à tout âge, davantage de personnes transmasculines choisissent de se faire opérer, principalement pour retirer leur poitrine. Les vaginoplasties restent plus fréquentes que les phalloplasties, car ces dernières sont plus lourdes et comportent plus de risques.
Selon elle, il y a probablement autant de femmes trans que d’hommes trans, sans compter les personnes non binaires. On peut aussi vivre en dehors du modèle binaire du genre. Elle ajoute:
Une situation «dramatisée»
Le Transgender Network Switzerland estime que la motion déposée par Nina Fehr Düsel «ne s’appuie sur aucun argument de fond valable» et cherche simplement à «dramatiser le fait que le nombre de cas a triplé». L’organisation rappelle qu’il s’agit de très peu de situations, concernant des jeunes capables de discernement et généralement âgés de tout juste moins de 18 ans.
Les principaux arguments avancés dans la motion de Nina Fehr Düsel reposent effectivement sur l’augmentation du nombre d’interventions. Elle a écrit:
Mais des voix critiques s’élèvent également du côté de la pédiatrie, notamment dans la Cass Review publiée en avril 2024 au Royaume-Uni. Ce rapport mettait en garde contre les effets potentiellement durables des bloqueurs de puberté, et estimait que la recherche actuelle restait insuffisante. Selon l’auteure principale:
La motion peut-elle passer?
La motion de Nina Fehr Düsel devrait toutefois avoir du mal à s’imposer au Parlement. Même dans les rangs du centre droit, plusieurs élus ont déjà exprimé leurs doutes. D’autant que, prise au pied de la lettre, l’initiative n’apporte pas de véritable changement de fond.
La conseillère nationale UDC ne demande pas une interdiction stricte, mais que les opérations de réassignation soient pratiquées «avec la plus grande retenue» et que les bloqueurs de puberté ne soient délivrés que dans le cadre d’études scientifiques.
La principale nouveauté juridique consisterait donc à rendre obligatoire la participation des parents, même lorsque le patient est jugé capable de discernement. Une exigence qui, dans les faits, correspond déjà largement à la pratique actuelle.
S’ajoute à cela que, s’agissant des questions d’autodétermination, le Parlement manifeste généralement peu d’intérêt pour une réglementation stricte, comme l’a encore montré récemment le débat autour d’une loi sur le suicide assisté.
Le TGNS met néanmoins en garde contre une réglementation spécifique qui pourrait indiquer une nouvelle direction, et pointe du doigt Zurich. Là-bas, les mesures prises par la conseillère d’Etat ont déjà conduit à une baisse du nombre de cas. Le fait qu’une certaine pression plus subtile soit également en jeu semble ressortir d’une formulation tirée d’une présentation de la Direction de la santé datant de juillet 2025:
«Découragement des opérations chez les mineurs figurant sur la liste hospitalière», y est-il écrit. Le canton, qui finance largement les hôpitaux, fait ainsi savoir à ces derniers ce qu’il n’approuve pas.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
