Les images ont fait le tour du monde: celles d’Andy Byron, PDG d'Astronomer, filmé en pleine étreinte avec la DRH de l’entreprise, Kristin Cabot, lors d’un concert de Coldplay à Boston, sous l’œil d’une kiss cam. Problème: les deux cadres étaient chacun mariés à une autre personne.
Face au scandale, l’entreprise a d’abord annoncé leur suspension, puis la démission du PDG, a priori sous la pression du conseil d’administration.
Mais qu’aurait-il pu se passer si l'histoire s’était déroulée en Suisse? Peut-on vraiment perdre son poste pour une liaison entre collègues? Voici ce qu’en dit le droit suisse, avec les éclairages de Me Nicolas Krauer, avocat spécialisé en droit du travail au sein de l’étude NEXUS Avocats à Lausanne.
Premier point à clarifier: rien n’interdit en Suisse d’entretenir une relation amoureuse avec un ou une collègue. «La sphère privée est protégée par le droit, y compris dans le cadre professionnel. Il n’est donc pas interdit d’éprouver des sentiments ou de fréquenter un ou une collègue», explique Me Nicolas Krauer.
Cela vaut aussi si la relation est cachée à la hiérarchie. En principe, aucune loi n’oblige un salarié à révéler une liaison au sein de l’entreprise.
Mais les choses peuvent se compliquer lorsqu’une hiérarchie est impliquée, ou lorsque le fonctionnement de l’entreprise s’en trouve affecté. «Il y a une zone grise, notamment quand une relation implique un lien de subordination ou se développe dans un même département», précise l’avocat. Certains règlements internes recommandent d’ailleurs explicitement d’éviter de telles relations, pour préserver l’indépendance professionnelle et éviter les conflits d’intérêts.
Alors, peut-on être licencié pour une relation amoureuse? La situation nécessite une analyse fine, selon Me Krauer.
En revanche, les conséquences de la relation peuvent, elles, être problématiques. Par exemple, si elle génère des tensions, du favoritisme, ou nuit à l’ambiance dans l’équipe, l’employeur peut décider d’agir.
En Suisse, le principe de liberté contractuelle permet de résilier un contrat de travail, pour autant que cela ne constitue pas un licenciement abusif. Si l’employé estime que la rupture est injustifiée, il peut contester la décision devant un tribunal. Mais attention: même en cas de licenciement abusif, le contrat est rompu; seule une indemnité pouvant aller jusqu’à six mois de salaire et d’éventuels dommages-intérêts peuvent être obtenus, rappelle l’avocat.
Dans la pratique, les entreprises ne mentionnent presque jamais la vie sentimentale dans la notification du licenciement.
«Rarement, on écrira: “c’est parce que tu couches avec un ou une collègue”», sourit Me Krauer.
Dans l’affaire Astronomer, la démission du PDG ne s’explique pas uniquement par sa liaison, mais par la manière dont elle a été rendue publique. «Ce genre d’exposition médiatique peut jeter le discrédit sur toute une entreprise», souligne Me Krauer.
En Suisse aussi, un tel tollé médiatique pourrait conduire à une démission ou à une mise à l’écart par souci d’image ou de pression du conseil d’administration.
S’il s’agissait d’un PDG suisse enlacé avec une collègue DRH lors d’un concert sur écran géant au Stade de Suisse à Berne?
«Ce qui se passe en dehors des heures de travail, dans la sphère privée, n’appartient pas à l’entreprise, tant que cela ne nuit pas directement à celle-ci», rappelle l’avocat, qui précise tout de même qu'un devoir d'exemplarité est davantage attendu de la part des cadres.
Existe-t-il des situations où une relation privée justifierait une rupture du contrat? Oui, mais elles sont rares. Me Krauer cite un cas extrême: celui d’un salarié entretenant une liaison avec la conjointe de son patron, propriétaire de la société.
Le droit suisse se veut permissif et respectueux de la vie privée, mais il n’est pas pour autant naïf. S’il n’existe aucune interdiction formelle de tomber amoureux au bureau, ou d’avoir des relations sexuelles avec ses collègues, l’entreprise peut intervenir lorsque la relation met en péril le bon fonctionnement du collectif, surtout lorsqu’elle implique un rapport de pouvoir, ou qu’elle s’exerce au sein d’une même équipe.
En pratique, les grandes entreprises préfèrent souvent déplacer l’un des collaborateurs, plutôt que de trancher trop radicalement.
«Il convient néanmoins de s’assurer en tout temps du respect de l’intégrité des employés et de prendre des mesures pour éviter toute forme de harcèlement, notamment dans des situations de subordination», conclut le spécialiste.