L'accord avec l'UE promet un avantage inattendu aux Suisses
Prenons un exemple fictif qui illustre clairement l’inégalité de traitement actuelle. Un passager suisse que nous appellerons Pascal Michel réserve un vol de Zurich à San Francisco. Au même moment, un passager allemand, Thomas Schmidt, part de Stuttgart pour Zurich, où il est censé prendre le même avion pour San Francisco.
Le vol pour les Etats-Unis a plus de cinq heures de retard. Les deux voyageurs réclament alors une indemnisation à la compagnie aérienne. Le passager européen obtient 600 euros, soit environ 550 francs. Le passager suisse, lui, ne reçoit rien.
Pourquoi cette différence?
Cette différence existe depuis de nombreuses années. Elle repose sur une base tout à fait légale, au grand dam de nombreux passagers suisses qui ne reçoivent pas la compensation méritée. Cela pourrait toutefois changer si les nouveaux accords bilatéraux avec l’Union européenne venaient à être acceptés. Une votation à ce sujet aura lieu au plus tôt en 2027.
Dans le domaine de l’aviation, «le principe d’une interprétation uniforme du droit» prévaut, explique Christian Schubert, porte-parole de l’Office fédéral de l’aviation civile. Ce qui signifie que «les passagers suisses seraient placés sur un pied d’égalité avec les passagers de l’Union européenne en matière de droits des passagers». Les tribunaux suisses devraient alors «se conformer entièrement» à l’interprétation juridique de la Cour de justice de l’Union européenne.
Le Conseil fédéral promet des indemnisations
C’est également ce que rappelle le Conseil fédéral dans son rapport explicatif sur le paquet européen:
Simon Sommer est, lui aussi, convaincu qu’une amélioration est possible pour les consommateurs. Ce juriste est spécialisé en droits des passagers aériens auprès de l’entreprise suisse Cancelled. Cette dernière aide les passagers à faire valoir leurs droits auprès des compagnies aériennes en cas de retards ou d’annulations de vol. En cas de succès, Cancelled perçoit une commission de 30% à 40% du montant obtenu. Des sociétés comme Airhelp ou Flightright exercent une activité similaire.
Selon Simon Sommer, dans le domaine du transport aérien, il existe déjà un «acquis implicite». Celui-ci est défini dans l’accord bilatéral sur le transport aérien, qui reprend activement le droit européen, comme cela est le cas pour le reste des nouveaux accords bilatéraux.
Un jugement local fait loi
C'est pour cette raison que les tribunaux suisses s’alignent déjà sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, explique Simon Sommer. «Mais ses décisions n’ont toutefois aucun effet contraignant», explique-t-il. Et c’est précisément cela qui entraîne en Suisse des interprétations divergentes de la loi européenne.
En Suisse, depuis 2016, des compagnies comme Swiss, Edelweiss ou Helvetic peuvent s’appuyer sur un jugement du tribunal de district de Bülach (ZH), qui avait statué au détriment des passagers. Conséquence, en cas de retard, aucune indemnisation n’est due en Suisse. Seules les annulations ouvrent un droit à un dédommagement. Le juriste de Cancelled avance une estimation:
La situation est différente lorsqu’un pays de l’Union européenne est impliqué dans un retard de vol. Lorsque l’aéroport de départ, la destination ou le siège de la compagnie se trouve dans un pays de l’Union européenne, «nous avons alors, selon les cas, jusqu’à trois fors juridiques possibles», précise Simon Sommer. Cela conduit à une situation étrange où Swiss peut être condamnée à verser une indemnisation dans un pays de l’Union européenne, alors que cela n’est pas possible en Suisse.
Le problème n'intéresse pas les politiques
Simon Sommer estime qu’un ancrage plus fort dans le droit de l’Union européenne exercerait un effet préventif sur la jurisprudence suisse. De plus, une nouvelle réglementation est en préparation depuis des années au niveau européen et pourrait encore renforcer les droits des passagers du point de vue suisse. Simon Sommer explique:
Des interprétations divergentes, comme dans l’affaire du jugement de Bülach, deviendraient ainsi moins probables.»
Sur le plan politique, le dossier ne figurait pas parmi les priorités de la Confédération ces dernières années, malgré de nombreux témoignages de passagers frustrés.
En 2018, l’ancien conseiller national PLR Hans-Ulrich Bigler s’était finalement risqué à intervenir. Dans une motion largement soutenue, l’actuel élu UDC demandait au Conseil fédéral que les mêmes droits des passagers aériens s’appliquent en Suisse et dans l’Union européenne. Hans-Ulrich Bigler écrivait:
La Suisse est partie à l’accord sur le transport aérien, lequel prévoit une harmonisation. Mais «cette harmonisation n’est pas garantie. Au contraire, les passagers suisses sont confrontés à l’insécurité juridique et à l’arbitraire.»
L’ancienne ministre des Transports Doris Leuthard n’avait toutefois apporté aucun soutien à la demande de Hans-Ulrich Bigler. La motion avait été rejetée par le national.
Les plaintes sont en augmentation
Pour l’instant, la situation reste donc insatisfaisante pour notre passager suisse lésé. La Fondation pour la protection des consommateurs partage ce constat. Récemment, sa responsable juridique, Livia Kunz, nous déclarait:
La forte frustration se reflète aussi dans les statistiques de signalements de l'Ofac. Lorsqu’aucun accord n’est trouvé entre la compagnie aérienne et le passager, l’office intervient comme autorité d’exécution du règlement sur les droits des passagers en Suisse. Selon son porte-parole, les signalements visant des compagnies ont augmenté ces dernières années pour atteindre en 2024 un record avec 7600 dénonciations.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
