Dimanche, le peuple se prononcera sur «l'initiative pour la biodiversité», qui demande une protection accrue en faveur de la faune et de la flore d'une partie du territoire suisse. Elle pourrait avoir une influence sur le bâti, la production d'électricité, mais surtout: l'agriculture. La puissante Union suisse des paysans (USP) s'est rangée du côté des opposants.
Au sein de la base des paysans, de nombreux agriculteurs sont, eux aussi, opposés à l'initiative. A l'image de Marc Benoît, que nous avions rencontré en janvier dernier. Ce paysan bio fournit de grands efforts de décarbonation pour sa ferme.
Et s'il ne fustige pas la protection envers la nature, loin de là, il estime que des incitations plutôt que des obligations seraient mieux adaptées, et évoque une «relation de confiance» entre les producteurs, les consommateurs et les experts qu'il faut protéger.
L'agriculteur de Romainmôtier veut avoir les mains libres pour continuer à faire progresser ses méthodes.
«La production biologique avance gentiment, mais sûrement. Elle attend notamment d'avoir des variétés plus résistantes», dit-il en illustrant les récentes et «catastrophiques» récoltes de pommes de terre et de betteraves.
Marc Benoît estime également que le texte de l'initiative n'est pas clair: «Le problème, c'est qu'on ne sait pas comment le texte sera appliqué. La Confédération devra se débrouiller pour interpréter les objectifs.»
Mais tous les paysans ne sont pas opposés à l'initiative. A l'image de Matthieu Glauser, président de BioVaud de 2019 à mars dernier. L'association fait partie de BioSuisse, l'organisation faîtière des producteurs bio. Et pour lui, le respect de la biodiversité va de pair avec une agriculture moderne.
Matthieu Glauser se veut plus optimiste que les opposants qui craignent une mise en œuvre qui leur serait défavorable, mais ne se fait pas d'illusion sur le sur le fait que certains agriculteurs voient le texte d'un mauvais œil.
«C'est difficile dans ces conditions et je comprends qu'on préfère refuser de nouvelles contraintes», précise-t-il, tout en estimant que celles-ci, si appliquées progressivement, ne devraient pas poser problème. Il ajoute:
L'agriculteur de Champvent tient toutefois à nuancer: «Il est certain que la mise en œuvre doit être cohérente, avec un retour intelligent sur les résultats.» Il note également que cela ne veut pas dire la fin des efforts: «Nous allons continuer les recherches et les essais à long terme sur le bio. Il y a encore beaucoup de boulot essentiel à faire.»
Une des questions clés, c'est aussi celle des chiffres. Si aucun n'est précisé dans le texte, celui de 30% des terres, qui devraient être aménagées en faveur de la biodiversité, a été évoqué à de multiples reprises. Il correspond aux objectifs de la COP15, décidés en 2022 à Montréal. Ce qui turlupine Marc Benoît, qui estime que:
Comment les chiffres vont-ils être interprétés? Si toutes les terres agricoles des paysans bio suisses seront prises en compte dans le calcul, ce pourcentage va plus rapidement «progresser» en faveur des 30%. Matthieu Glauser espère également que ce sera le cas.
Il regrette d'ailleurs que le contre-projet à l'initiative prévu par le Conseil national, qui était «parfaitement adapté», n'a pas passé la barre du Conseil des Etats. Dans ce texte, le chiffre de 17% du territoire national était clairement explicité. Actuellement, les terres suisses sont protégées à 13% selon les partisans, citant l'Office fédéral de l'environnement. Ce à quoi les opposants rétorquent que ce chiffre monte à 20% en milieu agricole. Le contre-projet refusé avait été adoubé par Prométerre, l'association vaudoise de l'agriculture.
C'est donc l'initiative d'origine sur laquelle nous voterons et qui divise parmi les agriculteurs. Et ces divisions mettent le monde agricole mal à l'aise. Au téléphone, les deux producteurs sont prudents, refusant de tomber dans un argumentaire trop virulent face au camp adverse. Dans l'ombre de cette campagne, on retrouve celle de l'initiative «pour une Suisse libre de pesticides de synthèse», refusée en juin 2021, qui avait créé une grande tension au sein du monde paysan suisse. Un char publicitaire de campagne avait notamment été incendié au bord d'une route de la Broye.
Biosuisse a par ailleurs proposé la liberté de vote pour ses membres ce dimanche, preuve s'il en est du morcellement de l'opinion au sein même des agriculteurs bio.
Il existe un point sur lequel les deux hommes sont toutefois parfaitement d'accord: les choix des consommateurs. La progression du mouvement au sein de l'agriculture suisse ne pourra se faire sans faire rentrer des sous dans la caisse de son secteur biologique.
Car après la sécurité de l'approvisionnement de la population, la «conservation des ressources naturelles» et «l’entretien du paysage rural» sont les missions des paysans suisses, notées dans la loi fédérale. «Consommer bio, c'est faire un grand pas en faveur de la biodiversité», assène Matthieu Glauser. Marc Benoît abonde:
«Car si c'est juste pour avoir la conscience tranquille, cela n'en vaut pas la peine», lâche-t-il. Pour l'heure, son message semble être celui qui séduit le plus les citoyens: selon le dernier sondage en date, l'initiative devrait être refusée. Mais de très peu.
Dénouement et fin du suspense ce dimanche, dès midi.