L'attaque a choqué Zurich et la Suisse. Mardi, un homme a poignardé trois enfants devant une crèche à Oerlikon, en banlieue zurichoise. Leurs jours ne sont plus en danger, mais les enfants qui ont assisté à l'agression et les familles sont sous le choc.
Pour tenter d'y voir plus clair, nous sommes allés poser quelques questions au professeur Allan Guggenbühl. Ce psychologue est expert en violence juvénile à l'Institution pour la gestion de conflits de Zurich.
Qu'est-ce qu'une telle attaque fait aux personnes concernées et aux enfants présents lors des faits?
Pour les enfants, les parents et le personnel de la garderie, c'est avant tout un traumatisme. Cela laissera des traces durables dans leur sentiment de sécurité.
Que voulez-vous dire?
Lorsque l'on emmène son enfant sur une aire de jeux, on le fait d'habitude sans se soucier d'un potentiel danger. On pense peut-être qu'il pourrait tomber de la balançoire ou en percuter un autre sur le toboggan. On ne s'attend pas à ce qu'une personne débarque soudainement et tente de poignarder les enfants.
Comment rendre aux personnes concernées leur sentiment de sécurité?
Cela varie selon les enfants. Certains ont une forte résilience et arrivent à bien gérer ce qu'ils ont vécu, d'autres changent de comportement et développeront une peur face aux gens qu'ils ne connaissent pas.
En tant que psychologue, on regarde quelles sont les ressources de l'enfant concerné et quelles stratégies il va développer. Elles dépendent fortement de son environnement. Une personne supporte en principe mieux un événement grave lorsqu'elle est intégrée dans un milieu où elle se sent en confiance.
L'employée de la garderie a stoppé l'agresseur avec un passant. Comment en arrive-t-on à risquer sa vie pour les autres?
Dans de telles situations, beaucoup réagissent sans penser au danger qu'ils encourent personnellement. L'employée de la garderie connaissait les enfants et a réagi comme si c'étaient «ses» enfants.
Ceux qui sont paralysés par la peur sont aussi plus distants de la situation et n'ont pas forcément d'intérêt personnel à se mettre en danger. Ce qui est sûr, c'est que dès qu'une première personne intervient, d'autres suivent plus facilement. C'est ce qui s'est passé avec un passant qui est venu l'aider spontanément.
L'auteur était un étudiant chinois de 23 ans vivant à Zurich. Que s'est-il passé pour qu'il passe à l'acte de la sorte?
Nous ne pouvons que spéculer sur ses motifs, qui restent inconnus. Une crise soudaine qui mène à des tels actes est toutefois un phénomène connu. Cela peut arriver lorsqu'on est soumis à une forte pression psychique, jusqu'à ce que tous les fusibles «sautent». Cela arrive heureusement rarement.
Paradoxalement, les personnes qui ont «le sang chaud» et vont se battre dans un accès de colère, dans un bar en soirée par exemple, sont beaucoup plus inoffensives. Ils agissent sans réfléchir et expriment spontanément leurs émotions, même si cela passe par la violence. Le genre de profil comme celui de Zurich aura plutôt tendance à accumuler les frustrations, puis à élaborer un plan et à passer à l'acte.
L'homme a posté un message sur les réseaux sociaux la veille de son acte, dans lequel il déclarait son amour pour une femme avec plusieurs détails sexuels. Le chagrin d'amour ou la solitude expliquent-ils un tel acte?
Beaucoup de gens se sentent seuls ou souffrent sur le plan amoureux, mais ils ne poignardent pas les autres pour autant. Un évènement terrible comme celui de Zurich est toujours multifactoriel. Il faut beaucoup de sentiments négatifs accumulés pour exprimer sa colère à ce point et de manière si désinhibée.
Quelles causes peuvent expliquer un tel passage à l'acte?
Différents facteurs: une aliénation sociale latente, un détachement de ses propres actions, peut-être des fantasmes pervers et puis, un tsunami émotionnel.
Les attaques au couteau sont de plus en plus répandues. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
Jusqu'à présent, les couteaux n'étaient pas considérés comme des armes, mais comme des outils. C'est en train de changer.
La migration importante l'explique en partie, car dans certaines cultures, c'est différent. Mais l'internationalisation des symboles culturels par le biais d'Internet est aussi une explication.
Ces derniers mois, de plus en plus de jeunes hommes ont fait la une des journaux pour avoir porté des coups de couteau. A quoi cela est-il dû?
De nombreux jeunes hommes se trouvent à un stade intermédiaire de leur développement: ils prennent leurs distances par rapport à leur foyer, mais ne sont pas encore totalement intégrés dans la société. Ils ont beaucoup d'énergie et certains sont agités. Cela augmente le risque des passages à l'acte. Mais en même temps, ce sont souvent aussi de jeunes hommes qui interviennent spontanément pour empêcher les autres, comme on l'a vu avec le passant à Zurich.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca et Alexandre Cudré)