Le futur est déjà là: Dirk Helbing ne considère pas les machines intelligentes comme une
menace pour l’homme, mais comme une grande chance. image: tumblr/shantrising Aujourd’hui les voitures peuvent se parquer, corriger les erreurs de conduite et même
actionner les freins en cas d’urgence sans l’aide du conducteur. Ce serait seulement un
début, selon Dirk Helbing, professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (EPFZ).
Nous vivons dans une période d’innovation technique qui bouleverse note société et
notre économie et qui, au final, nous rend la vie meilleure.
26.05.2015, 10:5204.06.2015, 14:47
De Philipp Löpfe
«Le plaisir de conduire» est aujourd’hui le slogan publicitaire de BMW. Devra-t-il
être bientôt remplacé?
Pendant la prochaine décennie au moins, nous serons encore en mesure de décider
quand nous voudrons conduire notre voiture par nous-mêmes, surtout dans la
circulation dense en ville. Un jour ou l’autre les algorithmes prendront la place du
chauffeur pour une mobilité plus sûre.
Certains modèles de voiture sont toutefois déjà capables de se parquer et de
suivre la route sans l’intervention du conducteur, ainsi que de freiner si
l’automobiliste fait preuve d’inattention.
Il y a une dizaine d’années, j’ai personnellement travaillé en collaboration avec VW sur le
développement de tels programmes et algorithmes qui ont ensuite été testés dans la
circulation urbaine et sur l’autoroute. Il est impressionnant comme ces voitures se
comportent de manière naturelle et fiable. Nous avons aussi mis au point des systèmes
qui, non seulement imitent la façon de conduire de l’homme, mais aussi communiquent
entre eux afin de stabiliser le flux de véhicules et de raréfier les embouteillages. A l’aide
de moyens techniques, comme les senseurs radars et les systèmes d’assistance de
conduite, l’écart entre les véhicules ainsi que leur vitesse peuvent être corrigés
automatiquement. Ceci est un moyen d’éviter que des bouchons ne se forment.
Néanmoins l’homme garde la meilleure vue d’ensemble, notamment lors de
changements de voies ou lors d’autres situations plus délicates.
Image animée : Les embouteillages feraient-ils bientôt partie du passé?Image animée: giphy Quel a été le développement de tels systèmes?
Au début, des systèmes télématiques centraux ont étés employés afin de stabiliser le
trafic. La situation s’est alors améliorée, cependant ces appareils sont limités dans leurs
fonctions. Actuelllement, les systèmes ont tendance à être décentralisés. Un bon exemple
sont les interactions entre les véhicules.
Comment peut-on se les imaginer concrètement?
Autrefois, les feux de signalisation contrôlaient le flux du trafic. Aujourd’hui, les choses
vont dans l’autre sens : c’est le flux qui contrôle les feux de signalisation. Ceci va
permettre une meilleure utilisation de la capacité des croisements. Au cours d’une étude
menée actuellement en commun avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT),
nous sommes en train de chercher comment pouvoir remplacer les feux de signalisation
par une conduite coordonnée entre les véhicules.
«Nous ne pouvons pas abandonner nos engins après leur utilisation, par contre il faut les utiliser seulement lorsque nous en avons vraiment besoin.»
Comment se déroule cette coordination?
Nous aurons bientôt «l’internet des objets», ce qui veut dire que de plus en plus
d’appareils seront équipés de senseurs, pourront communiquer entre eux et auront des
caractéristiques qui, jusqu’alors, étaient réservées aux êtres vivants. Les véhicules
modernes peuvent percevoir la présence d’un autre véhicule et peuvent alors interagir.
Les situations où l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine collaborent en réseau
deviennent de plus en plus fréquentes.
Qu’en est-il du plaisir de conduire ? Ne serait-il donc pas progressivement remplacé par l’avancée téchnologique?
Cela dépend où se situe votre plaisir. Grâce à cette technologie nous aurons plus de
temps à consacrer à d’autres choses. A la place de changer les vitesses ou de presser sur
la pédale d’accélération, nous pourrons nous occuper de nos courriers électroniques ou
discuter avec les autres passagers. Vous connaissez sûrement le scénario typique du
voyage en voiture avec la famille : les enfants sont agités et les parents stressés. Dans
l’avenir les choses pourront être bien différentes. La voiture conduira par elle-même et
la famille pourra se plonger dans l’ambiance des vacances avec un moment de détente.
Vous réjouissez-vous de ce genre de voiture?
Oh oui! Je me demande déjà depuis longtemps: quand aurai-je enfin un véhicule avec
une table sur laquelle je pourrai travailler de manière efficace? Ceci est l’avenir de
l’automobile: à mi-chemin entre un bureau et un salon.
Est-ce que cette voiture circulera aussi sans passager?
Pourquoi pas? Cette voiture exécutera des manœuvres sans l’intervention de son
conducteur. Je pourrai donc envoyer ma voiture au supermarché où elle sera chargée
avec de la marchandise que j’aurai auparavant commandée par internet ou que mon
réfrigérateur aura directement passé commande. Peut-être qu’elle pourra
approvisionner le voisin au passage pour plus d’écologie. La mobilité connaîtra de forts
changements dans cette direction.
Vous dites «ma voiture». Aurons-nous encore besoin de notre propre voiture ou
la partagerons-nous avec d’autres personnes?
Les ressources matérielles sont limitées. Etant donné que le nombre d’êtres humains ne
cesse d’augmenter et que tous souhaitent un meilleur niveau de vie, il nous faudra
trouver une solution durable. Nous ne pouvons pas abandonner nos engins après leur utilisation, par contre il faut les utiliser seulement lorsque nous en avons vraiment
besoin.
«La voiture comme symbole du statut social est en fin de course.»
En d’autres termes: le sharing economy n’est ni un idéalisme, ni une formule toute
faite, il devient une nécessité?
Plus il y a de monde qui veut utiliser les ressources de notre planète, plus il faut qu’elles
changent de main rapidement. Depuis la crise économique les gens prennent conscience
qu’ils ne peuvent plus se permettre de tout acheter tout seuls. Le sharing economy a été le
résultat innovant de la crise.
Dirk Helbing.
Le professeur interviewé
Dirk Helbing est professeur du Computational Social Science au département des
sciences humaines, sociales et politiques ainsi que membre associé du Computer Science
Departments de l’EPFZ à Zurich. Ses travaux sur les flux de piétons et les paniques de
masses, sur la circulation routière ainsi que sur la modélisation informatique de processus sociaux, lui ont valus une renommée mondiale. Il coordonne le FuturICT-
Initiative qui se concentre sur la compréhension des systèmes socio-économiques et
sur la société digitale.
Une voiture qui passe 90 pourcents du temps dans un garage ne fait donc aucun
sens?
La voiture comme symbole du statut social est en bout de course. Les plateformes
d’informations modernes créent les conditions pour un sharing economy et par la même
occasion pour une économie écologique. Tous les appels à la conscience collective afin
de réduire l’utilisation de l’automobile et de décourager le transport aérien pour aller en
vacances n’ont pas fait long feu. En revanche, soudainement, un sharing economy et une
économie écologique se sont créés d’eux-mêmes.
L’industrie pourrait être moins enthousiaste.
Probablement oui. Nous devons nous préparer à temps à cette transition. Nous aurons
besoin de moins de voitures, de machines à laver, de perceuses etc. Grâce au sharing
economy le niveau de notre standard de vie sera fondamentalement rehaussé. Cela
créera par la suite de nouveaux partenaires économiques.
Au moins cette voiture hors d’usage fait des heureux.image: pinterest Qu’en est-il des places de travail?
Ne nous faisons pas d’illusion : beaucoup de places de travail classiques vont être
supprimées. On estime que d’ici dix à vingt ans, environ la moitié d’entre elles vont
disparaître. Mais il y aura toujours des emplois assurés. Même dans l’avenir, les gens
devront gagner de l’argent qu’ils pourront ensuite dépenser. Toutefois nous ne serons
pas seulement des consommateurs passifs. La «co-création», c’est à dire des produits
spécialisés conçus en collaboration directe avec des entreprises, sera alors très
importante.
Série de photos : Les premières voitures autopropulsées
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Série de photos : Les premières voitures autopropulsées
Mercedes aussi conçoit une voiture autonome futuriste : La Mercedes F 015 est encore munie d’un volant et de pédales. Elle circule cependant de manière totalement autonome dans la circulation urbaine.
Où se créeront les nouvelles places de travail?
Surtout dans le secteur créatif. Dans l’avenir, la créativité sera au centre de notre
activité. Celle-ci rendra notre économie plus diversifiée, plus complexe et différenciée.
Pour pouvoir diriger et organiser cette économie, nous aurons besoin d’assistants
digitaux. Ils prospecteront le marché pour nous trouver des partenaires dans le but de
créer une plus-value.
Cela veut-il dire que sans machine intelligente nous irions à notre perte?
Les machines intelligentes offriront de nouvelles possibilités, aussi lors d’échanges
intellectuels. Le multiculturalisme nous a toujours posé de gros problèmes. Il existe déjà
des applications qui traduisent en temps réel. Je parle en allemand à mon smartphone
qui ensuite me traduit mes paroles en chinois ou en espagnol ou dans n’importe quelle
langue souhaitée. Il y aura aussi d’autres échanges interculturels qui deviendront ainsi
plus faciles.
Bientôt fini des malentendus!image: gamona «C’est à nouveau l’heure des bricoleurs et des inventeurs, des Edisons, des Teslas et des Géo Trouvetous.»
Pour revenir à la circulation: Aujourd’hui on parle déjà de TaxiBots, des taxis sans
chauffeur, qui viennent chercher des clients et les amènent à leur destination. Est-ce réaliste?
Je pense que oui. Mais qu’en est-il des problèmes juridiques, quand par exemple mon
TaxiBot provoque un accident ? J’ai récemment participé à un workshop et j’ai
l’impression qu’on s’est déjà penché sur cette question et qu’il y a déjà une opinion
générale. C’est pourquoi je pense que des lois pertinentes seront instaurées. De plus, le
nombre d’accidents sera réduit de manière importante.
Zéro accident grâce à l’intelligence artificielle?
Il n’y a aucune garantie. Je dirais presque : « Seuls les humains sont des machines
intelligentes ». Cependant la voiture sera plus sûre, plus efficace et plus confortable.
Finalement, on est tenté de dire qu’en 100 ans il y a étonnamment peu de choses qui ont
changé. Les voitures ont toujours quatre roues et un volant. Qu’en était-il donc de
l’innovation ? Enfin nous vivons une période d’innovations fondamentales. C’est à
nouveau l’heure des bricoleurs et des inventeurs, des Edisons, Teslas et des Géo
Trouvetous. Dans la société digitale, de grands progrès sont possibles.
Certains voient ce que vous appelez «grands progrès» comme une menace.
Il est certain que nous pouvons commettre des erreurs graves, si nous ne faisons pas attention, mais en fin de compte il y a beaucoup plus de points positifs. Progressivement se forme un réseau mondial entre intelligence humaine et artificielle. Dans l’avenir, nous passerons de plus en plus de temps dans des mondes virtuels.
Et ainsi le problème de la circulation sera automatiquement résolu?
Nous pouvons effectivement nous demander si nous devons vraiment autant voyager pour vivre quelque chose de particulier. Sur les lieux touristiques connus, on se marche sur les pieds, les gens sont stressés, c’est serré et bruyant - et cher de toute façon. Ne pourrions-nous pas plutôt avoir le monde chez soi, à la maison? Il sera bientôt possible que des robots minuscules puissent restructurer l’espace de manière multifonctionnelle, et cela plusieurs fois par jour. Les murs de la pièce seront de gigantesques écrans sur lesquelles les plus beaux endroits du monde seront fidèlement représentés.
Qu’est-ce qu’on pourrait concrètement afficher sur ces écrans?
Le matin on pourrait se donner l’impression de se trouver au bord de la mer. On passerait la mi-journée à l’acropole d’Athènes, toutefois sans la chaleur étouffante. La soirée se déroulerait dans un bar de Manhattan avec des avatars appartenant à des amis qui se trouveraient au même moment à Singapour ou à Tokyo.
Ces deux doigts, seraient-ils déjà en vacances?image: instagramal Eh bien ! Ça sonne déjà un peu fantastique tout cela.
Mais toutes ces choses finiront bien par arriver, j’en suis persuadé. Même la gestion des villes sera fondamentalement modifiée. La séparation classique entre le lieu de travail et le lieu de repos disparaîtra. Penduler n’est bon ni pour notre santé, ni pour l’environnement. On devra se poser la question si nous avons vraiment besoin d’autant de bureaux. Aurons-nous dans le futur des pièces multifonctionnelles que nous utiliserons de manières différentes ? A cela aussi on ne peut que dire: enfin!
Encore une fois : ça ressemble à de la science fiction.
Beaucoup de choses qui encore récemment étaient considérées comme de la science fiction sont devenues aujourd’hui réalité. Non seulement l’économie, mais aussi la société vont fondamentalement changer. C’est pourquoi ça ferait sens de faire de la place aux expériences innovatrices, lors desquelles nous mettrions le futur au défi.
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