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Economie

La nouvelle stratégie de Temu et Shein inquiète en Suisse

La nouvelle stratégie des géants chinois inquiète en Suisse

La nouvelle stratégie des commerçants chinois crée des difficultés à l'échelle mondiale, y compris pour la faîtière dont font partie Migros et Coop.
15.04.2024, 08:46
Niklaus Vontobel / ch media
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Les commerçants en ligne chinois tels que Temu, Shein ou Alibaba déferlent en Suisse avec des produits à bas prix — leur montée en puissance s'inscrit dans un phénomène mondial. Récemment, le Wall Street Journal titrait: «La Chine submerge le monde de marchandises bon marché» ou encore «Le monde est confronté à un choc chinois».

En Suisse, les sphères politique et économique ont réagi. A l'instar du tourisme d'achat, les consommateurs sont exhortés à ne pas se concentrer uniquement sur le prix lors de leurs achats. Voici les principaux éléments du débat sur Temu & Co.

Le modèle de croissance de la Chine est en stagnation

Aujourd'hui en Suisse, les consommateurs sont sollicités sur leurs téléphones portables par des portails d'achat chinois, et la raison en est le siège du gouvernement du Parti communiste à Pékin. Son modèle de croissance autrefois si performant est en stagnation, et le chef d'Etat Xi Jinping cherche un remplaçant — et pense avoir trouvé la solution auprès des consommateurs occidentaux.

Xi Jinping cherche de nouveaux moyens de stimuler l'économie chinoise.
Xi Jinping cherche de nouveaux moyens de stimuler l'économie chinoise.Image: AP

Dans l'ancien modèle, Pékin avait investit trop de crédits dans le secteur de la construction. Mais à un moment donné, le gaspillage ne pouvait plus être ignoré: des millions d'appartements vides, des tours aussitôt détruites. Xi a dénoncé une «croissance fictive», a imposé des «lignes rouges» aux banques — et le boom a été suivi d'un crash.

Depuis lors, les prix de l'immobilier baissent. D'anciens géants vacillent ou sont déjà tombés, comme Evergrande. Les banques sont submergées par les crédits. Les consommateurs pleurent leurs économies et sont inquiets. La croissance économique est désormais plus faible qu'auparavant. Xi cherche désormais son salut dans l'industrie.

La Chine produit trop

Il faut produire plus de panneaux solaires, plus de voitures électriques — plus de production de tout. C'est pour cela que Pékin investit bien plus aujourd'hui de crédits bancaires dans l'industrie qu'auparavant. L'industrie doit être «complète, sûre et avancée». Ce ne sont pas seulement les parties les plus rentables qui doivent rester dans le pays, mais si possible toutes. Xi veut apparemment acheter le moins possible à l'étranger, la Chine doit être aussi indépendante que possible.

Ce que Xi ne souhaite toujours pas, c'est augmenter la consommation locale. Pour cette raison, Pékin maintient les salaires artificiellement bas, ce qui génère d'énormes économies qu'il réinjecte dans l'industrie via les banques, afin de pouvoir accroître encore davantage la production. Ainsi, comme le souligne l'économiste américain Michael Pettis, la Chine est un géant de la production, mais un nain en matière de consommation.

Peu de consommation, beaucoup de production — cette formule ne fonctionne pas, comme l'a récemment titré de manière concise le Wall Street Journal: «La Chine produit trop de choses». Les entreprises chinoises se retrouvent avec trop peu de clients dans leur propre pays, ce qui les conduit à une surcapacité — c'est-à-dire des produits pour lesquels il n'y a pas de demande. La Chine a échangé des gratte-ciel superflus contre des marchandises superflues.

Mais contrairement aux gratte-ciel, les chemises, les câbles de téléphone portable ou les tongs peuvent être exportés à l'étranger. Et bientôt, ce n'est plus seulement la Chine qui a «trop de marchandises», mais c'est le monde entier qui est inondé de produits bon marché — et est ainsi confronté à «un choc chinois».

Ce serait le deuxième choc de ce type, l'ascension de la Chine dans les années 2000 ayant déjà eu un impact social significatif dans les pays occidentaux. Comme l'écrit le Wall Street Journal, d'une part, les prix ont baissé aux Etats-Unis, ce qui a surtout profité aux bas salaires. D'autre part, deux millions d'emplois ont été durablement perdus et les régions concernées ont connu des salaires plus bas et des taux de chômage plus élevés encore une décennie plus tard.

Les consommateurs suisses au secours de Xi

Shein et Temu se présentent certes sous un angle occidental. Ils ciblent exclusivement les marchés occidentaux, dépensent des milliards en publicité en ligne sur des plateformes telles que Google ou Meta, et ont leur siège à Singapour pour Shein et Dublin pour Temu. Au final, les deux entreprises introduisent des produits chinois dans le monde occidental.

Cette offensive sur les marchés occidentaux est d'une ampleur sans précédent dans le secteur des biens de consommation. En Suisse, Swiss Retail Federation parle «d'une nouveauté» et l'Union suisse du commerce évoque «une nouvelle dimension». Parmi ses membres, on compte des acteurs majeurs de notre pays tels que Coop, Lidl ou les marchés spécialisés Migros.

Comme le précisent ces associations, Temu achemine ses colis directement à Zurich ou à Genève. Le paiement peut être effectué avec le service suisse Twint. De plus, Temu dépense également une somme considérable en Suisse pour la publicité auprès des géants américains de l'Internet, Google et Facebook.

Temu et d'autres portails d'achat chinois ne paient actuellement ni TVA sur leurs marchandises ni droits de douane, car ils livrent par petits paquets et restent volontairement dans la franchise douanière de 300 francs. De plus, selon les critiques des associations, les produits fabriqués en Chine et distribués via Temu ne répondent que rarement aux normes suisses en matière de sécurité des produits.

Malgré les critiques, les portails chinois connaissent un succès fulgurant. L'Association suisse du commerce estime que Temu — fondé en 2022 seulement — a déjà réalisé un chiffre d'affaires de 350 millions de francs en 2023. L'ensemble des portails chinois devrait avoir atteint 600 à 700 millions de francs. Si cette tendance se poursuit, ils pourraient atteindre le milliard dès 2026.

L'appel aux consommateurs

Les Etats-Unis illustrent à quel point la croissance peut être explosive. Shein ou Temu en profitent grâce à une réglementation dite de minimis, selon laquelle les petits paquets peuvent entrer dans le pays sans payer de droits de douane. Il y a dix ans à peine, des petits colis d'une valeur de seulement 40 millions de dollars arrivaient ainsi. Selon les derniers chiffres disponibles, il s'agit désormais de plus de 67 milliards de dollars, soit près de 1700 fois plus qu'auparavant.

Des réactions se préparent désormais dans le monde entier. La Commission européenne a averti la Chine qu'elle n'accepterait pas que sa propre industrie soit ébranlée par une concurrence déloyale. Le Financial Times a également rapporté que les Etats-Unis avaient menacé de prendre des mesures si la Chine cherchait à écouler sa surproduction industrielle en lançant des marchandises à prix cassé sur les marchés.

Comme à l'étranger, en Suisse également, des sanctions sont considérées comme nécessaires si les plateformes chinoises ne respectent pas les normes de sécurité des produits suisses, selon Bernhard Egger, directeur de la Fédération du commerce et de la distribution. Par exemple, la France envisage une «taxe sur la fast fashion».

Premières interventions au Parlement

Parallèlement, Egger appelle les consommateurs à ne pas se focaliser uniquement sur le prix. Lorsque quelque chose est excessivement bon marché, il est légitime de se demander si les fournisseurs ont été traités de manière équitable. Egger souligne:

«Je devrais également me demander d'où vient mon salaire, d'où vient ma retraite — si tout le monde achète tout à l'étranger».

Chez Swiss Retail Federation, la directrice Dagmar Jenni met en garde: «Les plateformes chinoises ont un énorme potentiel de croissance». Il est d'autant plus urgent, selon elle, que la Confédération s'attaque maintenant au problème de la sécurité des produits.

«Et il faut que l'on sache clairement quelle est aujourd'hui l'ampleur effective du flot de colis qui arrivent dans le pays principalement par la poste et si l'Etat chinois cofinance ces plateformes».

Les premières interventions ont eu lieu au Parlement. Au Conseil des États, la Vert'libérale Tiana Moser demande comment le Conseil fédéral entend faire face à l'importance croissante des portails d'achat chinois. Ceux-ci proposeraient leurs produits avec un marketing agressif et à des prix de dumping — tout en ne respectant pas les prescriptions légales en matière de sécurité des produits.

La Vert'libérale Tiana Moser.
La Vert'libérale Tiana Moser.keystone

Au Conseil national, le politicien du centre Benjamin Roduit demande ce que fait le Conseil fédéral pour empêcher l'importation de jouets de mauvaise qualité mettant en danger la santé des enfants. A plusieurs reprises, des laboratoires privés ont obtenu des résultats conduisant les commerçants suisses à effectuer des rappels de produits ordonnés par les autorités.

En Suisse, la riposte contre la vague de produits bon marché en provenance de Chine est lancée.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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