Voilà maintenant près de 30 ans que Wes Anderson fait partie du paysage cinématographique avec son style unique. Plus qu’un simple cinéaste, le réalisateur de 51 ans est un artiste doublé d’un artisan. Son œuvre, aux décors calibrés au millimètre, renvoie à une forme hybride de cinéma, entre théâtre, littérature enfantine et bande dessinée. Un style qui s’est radicalisé au fil du temps, pour le plus grand bonheur de certains, mais qui en a laissé d’autres sur le bord de la route, n’y voyant plus qu’une simple esthétique de maison de poupée.
Autant le dire tout de suite: The Phoenician Scheme s’inscrit dans la lignée des récents Asteroid City et The French Dispatch. Un film qui risque donc de décevoir ceux qui préféraient le Wes Anderson d’une époque où son cinéma semblait moins artificiel.
Le film, présenté en compétition à Cannes, est sorti ce 29 mai dans les salles obscures. Dans ce 12e long-métrage, Wes Anderson plonge dans l'univers de l'espionnage des années 1950 en suivant les pérégrinations du riche homme d’affaires et marchand d'armes Anatole «Zsa-Zsa» Korda (Benicio del Toro). Capitaliste impitoyable, celui-ci doit sa fortune à sa roublardise et son impassibilité, au point de se mettre à dos d'autres industriels déterminés à le faire disparaitre.
Survivant à une sixième tentative d'assassinant et se sachant menacé, le milliardaire désigne, parmi ses neufs enfants, sa fille (Mia Threapleton), une jeune nonne, comme seule héritière de son patrimoine. Ensemble, et accompagné d'un professeur danois en guise d'assistant (Michael Cera), ils se lancent dans un projet démesuré pour la création d'un vaste barrage au Moyen-Orient et assurer ainsi leur héritage.
Encore faut-il arriver à convaincre ses différents partenaires et survivre aux assassins lancés à ses trousses…
Wes Anderson reste un virtuose dans sa capacité à créer un univers propre à chacune de ses histoires, dans l'esthétique nostalgique qui est la sienne. Mais au-delà de son style si reconnaissable, son cinéma est avant tout pensé pour des personnages avant un scénario: souvent incarnés et absurdes, parfois drôles, mais toujours profonds.
Et une fois encore, le réalisateur américain porte un soin inégalé à ses personnages et à ses acteurs. C’est sans doute l’une des clés de sa réussite à fédérer tout le gratin de l'industrie, qui répond systématiquement présent, qu’il s’agisse de nouveaux venus ou de vétérans.
Parmi les nouvelles têtes, on découvre notamment Mia Threapleton, 24 ans, fille de Kate Winslet, qui incarne la fille unique du magnat «Zsa-Zsa» Korda, n’ayant jamais connu son père. Une révélation d’actrice qui n’a rien à envier au talent de sa mère.
À ses côtés, dans le rôle de Bjorn, le tuteur norvégien passionné d’insectes, on retrouve également Michael Cera, hilarant dans son jeu. On se demande même pourquoi l’acteur américain débarque si tard dans la filmographie du réalisateur, tant il semble être né pour y jouer.
Pour le reste, la distribution a des allures de tapis rouge. Aux côtés de Benicio del Toro, on retrouve un casting prestigieux composé de Riz Ahmed, Tom Hanks, Bryan Cranston, Mathieu Amalric, Jeffrey Wright, Bill Murray, Scarlett Johansson, Benedict Cumberbatch, Rupert Friend et Charlotte Gainsbourg. Une affiche qui témoigne une fois de plus de la capacité de Wes Anderson à réunir la fine fleur du cinéma international autour de ses projets.
Sous ses airs de film d’espionnage et d'aventures, The Phoenician Scheme (que l’on peut traduire par Le Complot phénicien, la Phénicie étant une région antique correspondant au Liban) est avant tout un drame familial à l’humour cynique. Plutôt habitué à livrer des films choraux, Wes Anderson signe ici un 12ᵉ long-métrage essentiellement porté par Benicio del Toro, qui livre une performance touchante dans le rôle de ce magnat insensible se découvrant père au contact de sa fille.
Wes Anderson renoue avec les thèmes récurrents de son cinéma: la famille dysfonctionnelle, la rivalité et les liens retrouvés, dans un road trip qui n’est pas sans rappeler À bord du Darjeeling Limited (2007) ou La Famille Tenenbaum (2001). Cette narration, plus linéaire, n’en demeure pas moins exigeante, truffée de punchlines à mille à l’heure et de situations aussi absurdes qu’explosives.
Avec ses thématiques plus mélancoliques et un décorum pastel plus terne qu’à l’accoutumée, The Phoenician Scheme interroge la parentalité et la mort, tout en faisant preuve d’une certaine violence, diluée par son humour cynique.
Ce dernier cru est visuellement toujours aussi saisissant pour les amoureux d’architecture et de graphisme moderniste. La géométrisation presque obsessionnelle du réalisateur texan, dans chacune de ses compositions, semble pensée selon le nombre d’or. À tel point que l’œil du spectateur averti s’amusera à découper certains plans pour en constater la symétrie parfaite. Mais plus qu’une simple esthétique, Wes Anderson prouve une nouvelle fois qu’il est un auteur singulier et unique, capable de raconter des histoires profondes dans un écrin de légèreté.
«The Phoenician Scheme» de Wes Anderson, en salle depuis le 29 mai 2025. Durée: 1h 45m