Nul n'est prophète en son pays. Ce proverbe s'applique aussi un peu à Mona Caron, Tessinoise d'origine, qui vit depuis le milieu des années 1990 à San Francisco, en Californie. Elle est sans doute plus connue à l'international qu'en Suisse.
En tant qu'artiste de street art, elle s'est fait un nom non seulement aux États-Unis, mais aussi au Brésil, à Taiwan, au Mexique, en Équateur et en Inde. On trouve ses œuvres à New York, à São Paulo et à Mumbai. Sur des façades gigantesques, les plantes lumineuses de Caron prennent racine au milieu d'une mer d'immeubles et apportent de la couleur à une réalité souvent grise.
Il s'agit d'œuvres de sa série «Weeds», littéralement «mauvaises herbes». Des petites plantes qui poussent à travers le béton sans qu'on les remarque sont ici propulsées dans une dimension plus vraie que nature. Les peintures murales n'ont pas seulement un intérêt esthétique pour embellir les murs en béton, mais aussi une fonction symbolique:
Ces dernières semaines, l'artiste a séjourné au Tessin et a travaillé sur un projet de commande à Gravesano, près de Lugano - un projet de moindre envergure en comparaison des gratte-ciel des grandes villes auxquels elle a l’habitude. Alors que pour les grands projets, elle doit travailler avec des grues et en baudrier à une hauteur vertigineuse, pour les petits projets, un échafaudage suffit.
Il y a différents types de projets: dans les grandes villes, Caron veut créer un contraste entre l'urbanité bétonnée et les plantes peintes. Dans une ambiance plus chaleureuse, elle pense plutôt aux «herbes sauvages» qu'aux «mauvaises herbes» dans le choix des objets.
C'est que pour les grands projets, des équipes entières sont impliquées dans le travail. Elles réalisent un projet selon un schéma défini au mètre carré près.
Aujourd'hui âgée de 54 ans, l’artiste a grandi dans une famille suisse alémanique active sur le plan artistique, au Tessin. Son père Peter Bissegger était scénographe, sa mère Bethli créatrice de mode. Sa sœur Meret est connue comme cuisinière fantaisiste et auteur de livres, son frère Mario comme ébéniste et inventeur de meubles modulables. L'enfance dans la maison d'Intragna dans les Centovalli - au milieu d'une nature luxuriante - les a tous marqués.
Après le lycée de Locarno, Caron s'est rendue à Zurich pour étudier l'anglais. Mais la vie purement académique ne lui convenait pas et elle s'est inscrite à l'Academy of Art University de San Francisco. La célèbre ville californienne et sa scène multiculturelle effervescente allaient devenir sa nouvelle patrie.
Manon a d'abord développé son talent en tant qu'illustratrice de livres, et c'est un peu par hasard qu'elle a reçu sa première commande pour une peinture murale à San Francisco. Il s'agissait d'une grande fresque vue d’avion de la Market Street.
Sur l'image, on peut voir comment l'espace public se transforme. Caron a parlé avec les habitants du quartier, qu’elle a ensuite représentés sur la peinture murale. Ce style caractérise la première phase de l'œuvre de Caron. Le «Market Street Railway Mural» a été réalisé en 2004. «Entre-temps, il a même été restauré», dit-elle en souriant.
S'en est suivi son intérêt pour les «mauvaises herbes»:
Mona Caron a commencé ces peintures murales de mauvaises herbes sur les toits de San Francisco.
Un de ses court-métrages publié sur Youtube a été visionné dans le monde entier. Et de manière générale, les réseaux sociaux ont largement contribué à sa notoriété. Aujourd'hui, elle compte plus de 100 000 abonnés sur Facebook et près de 68 000 sur Instagram. Sa devise: «Rewilding urbanity with botanical metaphors» (redonner vie à l'urbanité avec des métaphores botaniques).
Mais des mouvements sociaux ou des associations l'ont également invitée à soutenir leurs actions. Le vernissage des œuvres s'est parfois transformé en un grand happening. On lui a collé l'étiquette d'«artiviste», contraction d'«artiste » et d'«activiste». Mais entre-temps, elle estime que ce terme a un peu perdu de son sens.
Les Centovalli sont pour Caron une sorte de parenthèse face à la vie qu'elle mène dans les grandes villes du monde où elle travaille souvent, perchée quelque part entre la pollution et le bruit ambiant. A Intragna, elle a ses propres racines, qu'elle ressent encore plus depuis la mort de ses parents. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles on la voit désormais plus souvent dans son canton d'origine.
Elle a également pu réaliser quelques œuvres au Tessin - à Chiasso, Mendrisio ou Bellinzone. En Suisse romande, c'est au Locle qu'elle a décoré en 2021 un immeuble de 30 mètres de haut avec une gigantesque gentiane jaune.
Traduit de l'allemand par Anne Castella