Rosalìa signe un chef-d'œuvre
En 2022, Rosalía s'exportait aux delà des frontières latines avec Motomami, un troisième album qui propulsait la Catalane vers la célébrité grâce à un mélange audacieux de musique électronique, de reggaeton, de flamenco et de chant lyrique. Une artiste qui n'a pas peur de s'aventurer sur différents territoires pour y épouser les codes de la génération Z tout en les mêlant à des références classiques, de manière subtile et assumée.
Avec LUX, soit «lumière» en latin, Rosalía prend aujourd’hui le contre-pied total de Motomami, en embrassant pleinement son héritage classique. Car avant d’être la pop-star révélée au monde il y a trois ans, Rosalía Vila Tobella a suivi un parcours académique, porté par un amour du flamenco depuis son enfance.
Rentrer dans le moule de la pop et ne faire que ça? Très peu pour elle. À l’instar de figures légendaires comme David Bowie et son album Low (1970) , Madonna avec Like a Prayer (1989) ou Björk et son Debut (1993), Rosalía choisit désormais de briller par sa singularité.
C'est beau, non?
En véritable anti–Taylor Swift, et au lieu de servir une nouvelle soupe de saison, Rosalía a choisi de s’élever avec un album aux ambitions monumentales: un disque en quatre mouvements aux confins des genres, sublimé par un orchestre et chanté dans treize langues. Il est puissant sur la forme, mais aussi par le fond, puisque l'écriture y explore le mystique féminin et la transcendance qu’inspire la foi.
Dieu, mais pas que...
De foi, Lux en est profondément pétri. Autant par ses sonorités orchestrales, qui évoquent la grandeur du divin, que par la sobriété d’une guitare ou d’un piano plus intimistes aux allures de prières. Des écrits emprunts de spiritualité dans lesquels Rosalía fait référence à de nombreuses figures sanctifiées, telles que Jeanne d’Arc, Olga de Kiev ou Rosalie de Palerme, auxquelles elle rend hommage en chantant dans leurs langues.
L'album, sorti ce 7 novembre, est apparu quelques jours après la sortie de l'impressionnant Berghain, conçu en collaboration avec Björk et Yves Tumor. Un single aux allures de bulldozer qui laissait paraître un album aux dimensions épiques et démesurées. Pourtant, Rosalía réussit l'exploit de nous faire voyager dans diverses dimensions à la fois céleste et terrestre, avec des morceaux plus conventionnels. Lux a des allures d'opéra-rock et de comédie musicale. Un disque qui s'écoute de la première minute à la dernière et qui nous raconte avec passion le réconfort de la foi face aux brutalités des relations amoureuses et terrestres.
Car au-delà des questions existentielles sur la foi, Rosalía nous livre surtout une introspection bouleversante, à l’image de son sublime Reliquia, sans doute l’un des plus beaux morceaux du disque, composé avec Guy-Manuel de Homem-Christo, l’une des moitiés de Daft Punk. La chanteuse y évoque la perte de repères qu'implique sa vie de bohème, tout en ayant conscience de ses privilèges.
Si Rosalía possède une identité unique, reconnaissable entre mille, on sent bien que Björk, avec qui elle a déjà collaboré à plusieurs reprises, a été pour la Catalane une figure tutélaire et maternelle. L’influence de l’Islandaise a infusé en elle, nourrissant cette volonté de s’émanciper, d’expérimenter et de chercher la pureté ailleurs: dans ce quelque chose d’indicible qui fait la beauté et le génie de l’art.
Avec ses allures d'album liturgique, Lux aurait eu de quoi laisser du monde sur le carreau tant il semble bâti pour les grenouilles de bénitier. Pourtant, avec ses envolées lyriques introspectives et ses sonorités pop décuplées par la puissance opératique de l’Orchestre symphonique de Londres, on se laisse volontiers évangéliser le temps de ces quinze morceaux.
Entre pur produit pop et véritable objet artistique, l'album de Rosalìa réussit l'exploit de la communion entre les peuples, qu'importe le genre, la classe ou les croyances, par le simple pouvoir de la musique et des émotions qu'elle procure. Comme quoi les miracles existent, cet album en est la preuve.
