Pourquoi la Confédération engage toujours plus de fonctionnaires
Tout le monde parle d'économies, mais pour l'instant, on continue d'étoffer les effectifs. L'an prochain, le personnel de l'administration fédérale doit encore augmenter de 378 postes pour atteindre près de 39 500 emplois à plein temps.
C'est du moins ce que prévoit le projet de budget du Conseil fédéral. Le principal bénéficiaire de cette opération est le Département de la défense de Martin Pfister, qui recevra près des deux tiers des nouveaux postes dans la défense aérienne, la cybersécurité, l'acquisition d'armement et les services administratifs.
Une volonté intacte de faire des économies
Pourtant, la Confédération voulait en principe se serrer la ceinture, y compris en matière de personnel, qui représente près de 8% du budget. Environ 180 millions de francs doivent être économisés d'ici 2028.
D'une part grâce à des «adaptations de la rémunération et des conditions d'engagement», c'est-à-dire par des réductions telles que la suppression de primes de fidélité ou de jours de congé supplémentaires; d'autre part, grâce à des «abandons de tâches et des gains d'efficacité», ce qui implique finalement aussi des suppressions de postes. C'est ce que prévoit le paquet d'assainissement 2027.
Combats autour de la question des effectifs
Les premiers signaux en provenance du Parlement laissent entendre que les coupes pourraient être encore plus profondes. Parallèlement, Economiesuisse et d'autres organisations économiques renforcent leur campagne anti-bureaucratie, intensifiant leur combat contre l'expansion de l'administration.
La résistance s'organise. Sous le slogan «Basta! Ça suffit», les associations du personnel fédéral ont lancé un appel demandant notamment au Conseil fédéral de «renoncer à toute nouvelle attaque contre les conditions d'emploi du personnel».
Certaines unités de l'administration se mobilisent également contre les plans de réduction. Ainsi, l'Office fédéral de la santé publique avait déjà annoncé en février qu'il ne supprimerait pas seulement 19,5 postes, mais qu'en raison des programmes d'économies, il ne pourrait plus assurer certaines tâches qu'à un niveau réduit, voire qu'il devrait y renoncer entièrement.
Cet été, ce fut au tour de l'Office fédéral de la statistique: outre la suppression de 40 postes, il a annoncé une «réduction de ses activités».
Les critiques provenant d'autres administrations
L'offensive de communication lancée par le Département de l'intérieur d'Elisabeth Baume-Schneider a été mal accueillie dans d'autres offices et départements. D'une part, eux aussi sont touchés par les mesures d'économies. Et d'autre part, comme on le glisse non sans une pointe d'envie dans certains bureaux, tous n'ont pas pu augmenter leur effectif au cours des dix dernières années aussi fortement que les deux offices concernés.
En effet, entre 2015 et 2024, le nombre d'employés à plein temps a augmenté fortement tant à l'Office fédéral de la santé publique (près de 40%) qu'à l'Office fédéral de la statistique (environ 30%). Sur la même période, l'effectif moyen de l'administration fédérale n'a crû «que» de 11%, pour atteindre aujourd'hui près de 39 000 postes à plein temps. D'ici 2026, cette hausse devrait atteindre 13%.
D'impressionnantes augmentations
D'ailleurs, et comme le montrent également les chiffres fournis par l'Administration fédérale des finances, dans d'autres offices, la croissance a été encore plus marquée. Proportionnellement, c'est l'Office fédéral de la culture qui a connu la plus forte hausse sur la période considérée, son personnel ayant été multiplié par trois. Cette augmentation brutale en 2016 s'explique cependant en grande partie par l'intégration de la Bibliothèque nationale et de ses employés.
Ces ajustements méthodologiques expliquent également une partie de la hausse constatée à l'Office fédéral de la statistique.
La deuxième place revient au Bureau fédéral – relativement modeste – pour l'égalité entre hommes et femmes, dont les effectifs ont été augmentés de 70% pour atteindre 24 postes. L'Institut de virologie et d'immunologie a, quant à lui, été renforcé de près de 60%, dépassant 100 postes. Il est chargé par la Confédération du diagnostic et de la recherche sur les maladies virales animales hautement contagieuses et autres maladies importantes.
En chiffres absolus, les principaux moteurs de la croissance des effectifs sous le dôme fédéral sont toutefois d'autres offices: le Secrétariat d'Etat aux migrations et l'Office fédéral de l'informatique ont chacun pu augmenter leurs effectifs d'environ 500 postes, soit une hausse de 50% et 44% respectivement.
Des hausses qui suivent les décisions politiques
Le Département des affaires étrangères a enregistré un bond de plus de 1200 postes, qui s'explique, à l'instar des Offices fédéraux de la culture et de la statistique, par un changement dans la comptabilité. A partir de 2016, de nouvelles catégories de personnel, comme les employés de la Direction du développement et de la coopération à l'étranger, ont été intégrées dans l'effectif officiel, leurs coûts étant auparavant imputés à un autre poste budgétaire.
Les offices interrogés avancent toujours de bonnes raisons pour l'expansion des dernières années. L'Office fédéral de la santé publique, par exemple, a dû «assumer ces dernières années de nombreuses nouvelles tâches, projets de loi et travaux de mise en œuvre d’initiatives populaires», indique-t-il en réponse à une demande.
Alors qu'en 2016, l'office était responsable de 16 lois fédérales, ce chiffre est désormais passé à 24. Trois nouvelles lois viendront «bientôt» s'ajouter. Toutefois, «l'augmentation des ressources» n'a pas «pu suivre le rythme de l'accroissement des nouvelles tâches et missions». Autrement dit, la charge de travail a augmenté. Le constat est similaire à l'Office fédéral de la statistique.
L'administration n'est pas intrinsèquement «mauvaise» ou «gaspilleuse», explique le professeur en sciences économiques Kuno Schedler, qui étudie la gestion publique à l'Université de Saint-Gall (HSG) depuis plus de trente ans. Il ajoute:
Une initiative des Jeunes Libéraux-Radicaux
Les Jeunes Libéraux-Radicaux veulent stopper la croissance des effectifs au sein de la Confédération. Avec leur initiative «frein à l'administration excessive», ils demandent que les dépenses de personnel de l'administration fédérale centrale et décentralisée n'augmentent pas, en pourcentage, plus rapidement que le salaire médian en Suisse.
La votation populaire, qui prévoit des exceptions pour le domaine des Ecoles polytechniques fédérales (EPF) ainsi que pour les situations d'urgence, est actuellement en cours d'examen à la Chancellerie fédérale, comme le précise le président du parti, Jonas Lüthy. Cela ne convainc pas Schedler, qui affirme:
Il rappelle que les «gels des effectifs» précédents, au cours desquels le nombre de postes a en réalité continué d'augmenter, étaient des périodes durant lesquelles les postes avaient simplement été comptabilisés autrement. Les Jeunes Libéraux-Radicaux en sont conscients et veulent combler ces échappatoires en faisant en sorte que leur «frein à l'administration excessive» s'applique également aux dépenses pour les organisations et personnes externes chargées de missions administratives. Schedler reste sceptique:
Autrement dit: chaque nouvelle tâche entraîne l'embauche de personnel supplémentaire. Il est extrêmement rare qu'un chef de service redistribue des effectifs ou décide de renoncer à des missions devenues moins importantes. Schedler souligne:
Le mythe du fonctionnaire désœuvré
Les politiciens aiment raconter des anecdotes sur des fonctionnaires qui n'ont rien à faire. Il existe aussi des histoires de collaborateurs fédéraux ayant démissionné parce qu'ils s'ennuyaient au travail. Mais il s'agit sans doute d'exceptions. La majorité est bien occupée, et nombre d'entre eux sont stressés. C'est également un phénomène bien connu. En se référant à ses trente années de recherche, Schedler déclare:
Cela rejoint l'observation de l'historien britannique Cyril Northcote Parkinson, qui a publié au milieu des années 1950 ses célèbres «lois» sur la croissance bureaucratique. L'une d'elles stipule: «Le travail s'étend de manière à occuper tout le temps disponible.» En d'autres termes, l'ampleur du travail s'ajuste finalement aux ressources mises à disposition.
C'est le cas dans l'administration fédérale, mais aussi dans les grandes entreprises, qui présentent elles aussi des tendances à la bureaucratisation, notamment dans les services administratifs et les fonctions supports au siège.
De fortes disparités selon les départements
Un phénomène que l'on observe en partie également dans les huit «overheads» de l'administration fédérale, c'est-à-dire les sept secrétariats généraux et la Chancellerie fédérale. Cette dernière a augmenté ses effectifs de près de 100 postes à plein temps, soit environ 45%.
Elle n'est devancée que par le Secrétariat général du Département fédéral de l'intérieur (DFI) d'Elisabeth Baume-Schneider, qui affiche une hausse de 48% et a ainsi pu renforcer son personnel de 38 postes à plein temps. Avec environ 28%, l'effectif du Département de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (Detec) dirigé par Albert Rösti a également connu une croissance disproportionnée.
Le Département de la défense a enregistré une augmentation relativement faible de 6%, tandis que les secrétariats généraux des Départements des finances et de la justice affichent chacun une hausse d'environ 4%. Le Secrétariat général du Département de l'économie, qui se présente comme le fer de lance de la lutte contre la bureaucratisation, a même vu ses effectifs diminuer légèrement.
Des faits, chiffres et diminutions notables
Malgré toutes les critiques concernant la croissance des effectifs fédéraux, la Suisse se situe bien sur le plan international en matière de bureaucratie, souligne Schedler, en citant plusieurs classements, dont celui de l'école de management d'IMD à Lausanne. La Suisse y conserve depuis des années la première place en tant qu'Etat le plus efficace.
Il existe également des Offices fédéraux dont la croissance entre 2015 et 2024 a été inférieure à la moyenne, voire qui ont vu leurs effectifs diminuer. Il s'agit, par exemple, de la Commission de la concurrence (+9%), de l'Administration fédérale des finances (+2%) ou de l'Administration fiscale (+0,2%). Les véritables bons élèves en matière d'économies sont toutefois l'Office fédéral du logement, qui a réduit ses effectifs de 22%, et la Monnaie fédérale, dont le personnel a diminué de 25%.
Traduit et adapté par Noëline Flippe
