Aux Etats-Unis, le niveau des actions technologiques a presque atteint le record de la bulle spéculative de l'an 2000. A l'époque, c'était Internet et l'arrivée du commerce en ligne qui avaient déclenché une euphorie. Aujourd'hui, c'est l'intelligence artificielle et la marque d'Elon Musk, Tesla.
A l'époque, l'enthousiasme avait été suivi d'un crash, dont les conséquences s'étaient faites sentir jusqu'en Suisse. Et aujourd'hui? Si certaines choses semblent aller mieux, mais d'autres éléments suscitent à nouveau l'inquiétude.
Signe d'excitation irrationnelle, la valeur du constructeur de voitures électriques Tesla illustre de façon spectaculaire ce phénomène. Selon un analyste de JPMorgan,
Le constructeur est ainsi, depuis longtemps, particulièrement bien valorisé par rapport à ses bénéfices effectifs. Autrefois, les résultats étaient plutôt cohérents, et Tesla montait en flèche en suivant un vent porteur. Voilà qui n'est plus le cas. Selon un analyste, les derniers chiffres du constructeur de voitures électriques étaient «terribles». Pourtant, le cours a dans un premier temps continué de grimper.
Après un pic en décembre, l'action a perdu plus d'un quart de sa valeur, et au passage environ 400 milliards de dollars de valorisation en bourse. Des spéculateurs avait pourtant parié sur le fait que l'action Tesla allait s'envoler, du fait de la proximité entre Elon Musk et Donald Trump.
Depuis, le doute l'a emporté. Quelle sera la situation de Tesla si les annonces du président américain se concrétisent, et qu'il finisse par supprimer les aides publiques pour les voitures électriques? Dans une telle situation, selon l'agence financière Bloomberg, le constructeur automobile pourrait enregistrer une baisse de ses bénéfices allant jusqu'à 40%.
Voilà qui devrait également préoccuper Elon Musk. Son statut d'homme le plus riche du monde dépend de celui de Tesla. L'action représente environ la moitié de sa fortune. L'entreprise, elle, dépend de ses voitures électriques. Musk a certes fait de grandes promesses concernant les robots, les voitures autonomes et l'intelligence artificielle, mais pour l'heure ce sont les voitures électriques qui lui rapportent de l'argent.
L'action Tesla est toujours si bien valorisée, qu'elle désespère de nombreux analystes, comme l'écrit Bloomberg. Ces derniers ne savent, en effet, plus comment évaluer la firme du propriétaire du réseau social X. L'un d'entre eux s'insurge:
Un autre expert le rejoint, expliquant que ce storytelling est bien rempli de rêves et d'espoirs, mais surtout de la vision d'Elon Musk.
Musk, sa vision, Tesla, tout cela constitue sans doute l'exemple le plus extrême de la Bourse américaine. Mais la firme est loin d'être une exception. Un analyste déclare:
Si l'on réalise un comparatif historique, les prix des actions sont globalement trop chers aux Etats-Unis. Au moment de l'explosion de la bulle Internet, un indicateur servait de signal d'avertissement.
Comme l'écrit le journal britannique The Economist, avant le krach boursier de 1929, le rapport entre le cours de l'action et les bénéfices était de 33. Lors d'un bref pic intermédiaire en 2021, il était de 39. Pendant la bulle Internet, le record de 44 avait été atteint. Actuellement, il se situe à 38.
Ce risque élevé de crash aux Etats-Unis est également une menace pour la bourse suisse. La crise financière mondiale, qui a démarré aux Etats-Unis à partir de 2007, a touché la Suisse, et avait même mis UBS en difficulté. Lorsque la bulle Internet a éclaté aux Etats-Unis, en mars 2000, la Suisse a également subi l'onde de choc, et le Swiss Market Index (SMI) s'est effondré.
Dans notre pays, ce sont surtout les entreprises du secteur de la tech qui ont souffert. C'est ce que dit l'analyste Michael Inauen, de la Banque cantonale de Zurich. Certaines ont vu le cours de leurs actions s'effondrer, d'autres ont fait faillite plus tard, alors qu'un segment boursier, le Swiss New Market, a disparu à jamais.
Mais un éventuel crash ne devrait pas se dérouler exactement de la même manière qu'au début du millénaire. A l'époque, beaucoup d'actions technologiques étaient inconnues en Suisse, comme l'explique Michael Inauen.
Ces entreprises venaient d'entrer en bourse, elles avaient des modèles commerciaux inédits, et n'avaient parfois pas encore réalisé de bénéfices. Pour Michael Inauen,
Aujourd'hui, c'est différent, poursuit Inauen. Les actions tech suisses classiques ont généralement des modèles d'affaires stables, de bons bénéfices depuis des années déjà, et un statut très bien établi auprès des investisseurs. En d'autres termes, la bourse ne doit pas tout remettre en question au premier coup de tonnerre.
Aux Etats-Unis aussi, certaines choses sont différentes, mais pas forcément meilleures. Comme l'a calculé la banque d'investissement Goldman Sachs, beaucoup de choses dépendent de très peu de groupes. On parle surtout de Meta et Google, Tesla et Apple, Nvidia, Amazon ou encore Microsoft.
Leurs actions sont très élevées par rapport à leurs bénéfices, environ une fois et demie plus chères que la moyenne de toutes les autres entreprises. Une situation qui présage de bon retours sur investissement.
L'intelligence artificielle doit justement les aider à générer des bénéfices encore plus élevés. L'engouement pour l'IA démontre avant tout un enthousiasme pour ces géants de la tech, Tesla en tête.
Chez Meta, Google, Apple, Nvidia, Amazon et Microsoft, les investisseurs paient l'équivalent de 35 fois les bénéfices. Chez Tesla, en revanche, Musk demande quatre fois plus, soit 136 fois. Musk a promis beaucoup. Et doit maintenant livrer beaucoup.
Si la bourse perd un jour la foi dans les promesses de Musk, cela pourrait ébranler d'autres porteurs d'espoir, et in fine l'ensemble de la bourse. Ce qui ne doit pas forcément se terminer par un crash comme en 2000. Des années de stagnation sont également possibles, avec une économie sans engouement, sans grandes promesses, sans records boursiers.
Traduit et adapté par Joel Espi