Depuis le 5 novembre, le monde politique tout entier semble n'avoir plus qu'une seule et même activité: attendre Donald Trump. Le dénouement des guerres en Ukraine et au Proche-Orient, mais aussi l'avenir de l'économie et de l'ordre mondial. Tous semblent dépendre des caprices imprévisibles de celui qui réintégrera la MaisonBlanche le 20 janvier.
Les petites manœuvres de perturbation, comme la publication du rapport du procureur spécial Jack Smith ou l'annonce d'une sentence judiciaire vidée de son contenu n'y changeront rien. Le républicain les balaie d'un simple revers de la main, car presque tout semble actuellement tourner à son avantage.
Tout, ou presque. Seule la nomination de Matt Gaetz au poste de ministre de la Justice a fait un flop. Mais elle restera vraisemblablement l'exception qui confirme la règle. Les autres membres du «cirque des clowns» - Peter Hegseth à la Défense, Tulsi Gabbard aux services de renseignement, Kash Patel à la tête du FBI et RFK Jr à la Santé - ont de bonnes chances d'être adoubés par le Sénat.
En face, les démocrates peinent à former une opposition efficace. Le choc de la défaite lors des dernières élections reste violent.
A cela s'ajoute le fait que les oligarques de la technologie (Elon Musk, mais pas que) mangent désormais dans la main de Trump. Qu'il s'agisse de Jeff Bezos, Mark Zuckerberg ou Tim Cook, chacun a non seulement fait don d'un million de dollars pour la cérémonie d'investiture, mais tous ont également embrassé la bague du président à Mar-a-Lago. «TOUT LE MONDE VEUT ÊTRE MON AMI», se réjouissait le milliardaire sur sa plateforme Truth Social.
Du côté des éventuelles voix critiques, les médias contiennent les leurs à l'égard du prochain chef d'Etat. La chaîne de télévision ABC, qui appartient au groupe Disney, a dépensé 15 millions de dollars pour se défendre contre une plainte en diffamation de Trump - une plainte qui reposait sur des bases juridiques plus que fragiles. Pendant ce temps, Twitter, pardon, X, devient, avec Fox News, le principal organe de propagande de la meute MAGA. Et sur Facebook, Mark Zuckerberg vient de rappeler à l'ordre les responsables de la vérification des informations.
Sur la scène internationale, de plus en plus de sympathisants de Donald Trump prennent les commandes du pouvoir. La percée d'Herbert Kickl en Autriche, désigné futur chancelier n'est que le dernier exemple parmi tant d'autres.
Si rien ne semble pouvoir arrêter le convoi Trump, une poignée d'accidents de parcours se profilent cependant à l'horizon. Le dirigeant est déjà revenu sur certaines de ses promesses électorales. Ainsi, il se donne désormais six mois pour mettre fin à la guerre en Ukraine, alors qu'il s'était autrefois vanté d'atteindre cet objectif dès son premier jour de mandat, en «24 heures». Idem en ce qui concerne la lutte contre l'inflation, un dossier sur lequel il veut apparemment se laisser davantage de temps.
Les membres du Grand Old Party suivent certes leur leader comme des toutous bien élevés.
Malgré tout, il y a parfois des couacs. Le milliardaire réélu n'a ainsi pas réussi à convaincre la Chambre des représentants de supprimer le plafond de la dette. Il n'a pas non plus remporté les élections haut la main, la majorité au Congrès reste extrêmement courte.
Le conflit entre Elon Musk et Steve Bannon pourrait également faire office de bombe à retardement. Et pour cause: le patron de Tesla veut embaucher en masse des ingénieurs informatiques qui arriveraient d'Asie grâce à un visa spécial.
Steve Bannon, lui, s'y oppose fermement. Le conflit entre les deux hommes s'est intensifié récemment. Dans une interview accordée au Corriere della Sera, l'ancien conseiller de Donald Trump a sommé le milliardaire de retourner dans son pays natal, l'Afrique du Sud, le traitant de «type vraiment malfaisant». Elon Musk a répondu sur X avec des tweets fleuris tels que:
Donald Trump a fait figure d'opposition durant quatre ans. Comme l'avait vulgairement formulé le président Lyndon Johnson, il pouvait «pisser de l'extérieur dans la tente du gouvernement». Dans une semaine, les rôles s'inverseront. Il lui faudra assumer ses responsabilités et on le jugera à l'aune de ses promesses mirobolantes.
Joe Biden lègue certes à son prédécesseur une économie intacte. Mais certains signes indiquent que cela pourrait changer. Les marchés financiers américains sont en surchauffe, et donc sujets à des crashs. Exemple flagrant: Tesla et le constructeur chinois de voitures électriques BYD réalisent à peu près le même chiffre d'affaires. Le rapport cours/bénéfice de l'action BYD est de 15, celui de Tesla de 120.
Alors que les actions du domaine de la tech atteignent un niveau dangereusement élevé, des produits dérivés douteux se répandent à nouveau comme avant la crise financière de 2008. Le boom de la cryptomonnaie pourrait lui aussi provoquer la création d'une nouvelle bulle.
La hausse des rendements et la baisse des prix sur le marché des obligations d'Etat indiquent par ailleurs que l'importance d'un budget national sain est reléguée au second plan. Le ratio de la dette publique américaine a déjà franchi la barre des 100% et Trump n'est pas connu pour son austérité.
Au niveau international, plusieurs Etats commencent à se concerter pour contourner d'éventuels droits de douane punitifs et d'autres tracasseries imposées par les Etats-Unis.
En politique étrangère aussi, Trump devra affronter des vents contraires. Sa remarque visant à mettre à genoux le Groenland, le Panama et le Canada - si nécessaire en recourant à l'armée - n'a pas du tout été bien accueillie à l'étranger. «Même s'il ne met pas ces menaces à exécution, il a déjà fait beaucoup de mal à la réputation américaine dans le monde et auprès de ses alliés», constate Gideon Rachman dans le Financial Times. «Et ce, alors qu'il n'a même pas encore pris ses fonctions».
(Adaptation française: Valentine Zenker)