Depuis deux semaines, la Belgique fait face à une montée de la violence. En cause, des cours d'«éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle», appelés Evras, dispensés à raison de deux heures par année. L'Evras existe déjà depuis 2012, mais la nouveauté concerne la systématisation du programme dans la Wallonie, la partie francophone du pays.
Rembobinons. Le 7 septembre, le Parlement de Wallonie Bruxelles vote un décret rendant obligatoires ces cours pour les élèves de 11-12 ans, et pour les jeunes de 15-16 ans. Un programme qui a pour but de «rassurer les élèves sur les questions qu'ils peuvent se poser à la puberté et les protéger contre des situations potentiellement dangereuses ou problématiques». Sauf que des groupuscules partagent des fake news à ce sujet.
Selon une circulaire du ministère de l'Education envoyée aux écoles, les professionnels en charge de l’Evras «devront travailler au départ des questions des enfants, c’est-à-dire sans poser des questions à leur place et en tenant compte de leur âge et de leur développement psychoaffectif».
La mesure, accompagnée d'un guide à l'usage des professionnels (et non des élèves comme le clament certains opposants), a suscité de vives polémiques auprès de groupuscules divers. Comme le relèvent des médias belges, certains groupes affiliés aux complotistes, à l'ultradroite et à des cercles religieux intégristes ont uni leurs forces pour faire circuler de fausses informations sur les réseaux sociaux. Parmi elles, certaines affirment qu'il sera désormais obligatoire de parler de masturbation aux élèves de maternelle, d'autres avancent qu'il fera la promotion de la pornographie et «encouragera à la perversion et à la banalisation de la pédophilie».
Des fake news qui vont bon train, à coups de pétitions pour «supprimer la loi Evras», de posts viraux sur les réseaux sociaux et de distributions de tracts à la sortie des écoles. Des messages relayés notamment par le rappeur Rhoff, épinglé par des médias belges.
Les directeurs d’école, les psychologues, les pédopsychiatres, les manifestants, les associations de protection de l’enfance, la totalité des parents d’élèves de toutes origines, toutes confessions qui s’insurgent contre VOS DÉLIRES de PROGRESSISTES PERVERS…
— ROHFF (@rohff) September 15, 2023
Nous sommes tous… pic.twitter.com/Na0hSXFHtW
Des propos et de la désinformation qui trouvent un écho auprès d'un certain public, au point de convaincre les plus véhéments de recourir à la violence. Ainsi, dans la nuit du 12 au 13 septembre, cinq écoles maternelles ont été incendiées à Charleroi, tandis que des tags recouvraient quatre d'entre elles avec l'inscription «non à l'Evras». Liège aussi a vu plusieurs de ses écoles être incendiées. En tout, ce sont huit écoles de Wallonie qui ont été attaquées.
Le 17 septembre, une manifestation d'environ 1500 personnes s'est tenue à Bruxelles. L'événement était organisé sur Facebook par le président de «Bon Sens», Nicolas Lefèvre, à l'origine de campagnes de désinformation durant la pandémie. Selon le média belge Moustique, on a vu dans ce rassemblement des «complotistes purs et durs, des associations conservatrices, d’autres liées à l’ultradroite et aux cercles religieux». Aux discours et slogans anti-Evras, la RTBF a noté aussi des propos homophobes, transphobes et anti-IVG. Parmi les complotistes identifiés par les médias belges, on retrouve notamment des figures antivax, des adeptes de théories pédocriminelles ou encore des associations religieuses radicales, aussi bien catholiques que musulmanes.
Une crise qui prend de l'ampleur, au point de pousser les politiques à prendre la parole pour démonter ces campagnes de désinformation. Sur X (ex-Twitter) et dans les médias, Caroline Désir, la ministre de l'Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, s'est exprimée à plusieurs reprises sur le sujet.
La ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden a annoncé que les personnes à l'origine des incendies étaient actuellement recherchées, tandis que la police fédérale a été appelée à renforcer la sécurité des écoles dans les zones concernées par les attaques.
Le Premier ministre Alexander De Croo a quant à lui rappelé que l’éducation sexuelle existe «depuis cinquante ans» en Belgique.
Une pétition réclamant la «suppression de la loi Evras» a été lancée par une certaine «Mme Bonnin, une citoyenne qui réagit». Elle avait récolté jeudi 21 septembre plus de 18000 signatures. D'autres textes, de la même teneur, avaient, eux aussi, convaincu quelques milliers de personnes. Précisons toutefois que l'intitulé des pétitions contre Evras est faux puisqu'il ne s'agit pas d'une loi. Par ailleurs, la première pétition était initialement adressée à Gabriel Attal, ministre de l'Education... en France, avant d'être modifiée et destinée à son homologue belge, Caroline Désir.
La France a toutefois déjà eu droit à son lot de polémiques similaires. Il y a cinq ans, une fake news annonçait que Marlène Schiappa voulait qu'on enseigne la masturbation aux écoliers, dès le plus jeune âge.
En 2019, une autre fake news concernait cette fois un manuel scolaire pour les classes de primaire, dans lequel il était question de pénétrations vaginales, anales et orales, notamment avec des sextoys. Il s'agissait en fait d'une brochure émise par Santé Publique France sur la sexualité et destinée non pas à de jeunes écoliers, mais à des adolescents.
Si la pétition belge s'adressait d'abord au ministre français, l’intérêt pour le sujet fonctionne aussi dans l'autre sens. CNews, chaîne de télévision française, a voulu s'emparer de la thématique et a envoyé une équipe de journalistes interviewer le bourgmestre (le maire) de Charleroi, qui leur a opposé un refus net.
Belgique. Paul Magnette, Bourgmestre de Charleroi. Clash Cnews, je ne vous réponds pas, vous êtes une chaine d'extrema droite. La réaction du plateau pic.twitter.com/JSCOFTMHHw
— L'oeil Medias (@LoeilMedias1) September 20, 2023
Un refus qui a soulevé des réactions en plateau. «Manifestement, ce monsieur est plein d’intelligence», a réagi, plein d'ironie, Pascal Praud, l’animateur de CNews.
Pour l'heure, si aucun autre incendie contre une école n'a été signalé, la polémique ne redescend pas pour autant. Selon le Centre national de crise belge, «les services de l’antiterrorisme et du renseignement suivent de près les rassemblements anti-Evras».