Un roi d'Angleterre est un jouet. Un produit exportable vers l'étranger, comme une tasse kitsch en porcelaine, une boîte de fudges au caramel ou un aimant pour le frigo aux couleurs de l'Union Jack. On attend de lui qu'il se taise, jette des sourires et des gestes de la main rassurants à la plèbe et, surtout, conserve cette éternelle distance, indispensable pour le maintenir au-dessus du commun des mortels et de la mêlée partisane.
Ça, l'actuel premier ministre britannique l'a bien compris. Et il compte bien exploiter au maximum le potentiel de cet outil de charme diplomatique. Justement, pour rafistoler des années de relation abîmées entre la France et le Royaume-Uni, Rishi Sunak avait bien besoin d'une mascotte efficace. Charles III était tout désigné: un «jeune» roi fraîchement assis sur le trône, aussi francophile que francophone, capable de faire les yeux doux à sa voisine.
Ce n'est de loin pas la première fois que Downing Street a recours à son joujou préféré pour nouer des liens avec une nation étrangère. Tout au long de son règne, Elizabeth II a pleinement rempli sa tâche de poupée diplomatique. Emblématique, reconnaissable, muette, bien élevée et déplaçable à l'envi et surtout en fonction des besoins de son gouvernement. Un rôle paradoxal, quand on sait que son statut, plus que n'importe quel autre sur Terre, lui impose de se tenir à l'écart de la politique.
Cette semaine, l'héritier d'Elizabeth n'a pas failli à sa mission de séduction. Poignées de mains aux badauds, discours d'usage dans les deux langues, arbre planté sans bavure et volaille de Bresse avalée aux côtés d'Emmanuel Macron sans tache sur la nappe. Un sans-faute. Si bien que ce turbulent Charles ne pouvait résister à la tentation de glisser lui-même quelques bâtons dans les roues de son carrosse.
C'est ainsi que, jeudi matin, le souverain s'est risqué à une allocution devant le Sénat. Une première historique. Sa mère, dont la neutralité frisait la maniaquerie, ne s'était jamais aventurée dans l'hémicycle, préférant se contenter d'un prudent discours en français dans la «salle des conférences», juste à côté.
Charles, lui, n'a pas eu froid aux yeux, entre traits d'humour et allusions à l'actualité brûlante. L'Ukraine, «qui triomphera» de son agresseur russe, et le défi climatique, son dada. Quant au thème sensible du Brexit, sans aller jusqu'à le mentionner directement, le roi a fait brièvement allusion aux relations entre les deux nations, qui n'ont pas «toujours été tout à fait simples». Un speech d'une quinzaine de minutes. Rien de bien méchant. Pas de quoi mettre en péril le sacro-saint devoir de neutralité du souverain britannique, recette du succès elizabéthin.
Et pourtant. Charles devrait se gaffer à ne pas s'enivrer des applaudissements nourris des sénateurs. Qu'importe qu'il puisse citer Shakespeare, expliquer comment les héritiers doivent «changer» lorsqu'ils deviennent souverains, ou opposer un sec «Je ne suis pas si stupide!» au Telegraph, en 2018, lorsque la journaliste lui demande s'il continuera de «s'immiscer» dans la politique, une fois devenu roi.
On connait trop bien la tentation du successeur d'Elizabeth de prendre part au débat public. Ainsi que son impatience à marquer rapidement un règne, qui par la force des choses, s'annonce nettement plus court. Pas plus tard que l'an dernier, le gouvernement de Liz Truss lui a interdit de s'envoler à la COP27 en Egypte, pour plaider la cause de l'environnement.
Avec ses prises de parole dans des lieux emblématiques de la politique, comme le Sénat ou le Bundestag au mois de mars, Charles joue avec le feu. Avant de se brûler les ailes, il ne doit surtout pas oublier ce qui a fait le succès de sa mère et de la Firme: jouer les mascottes, silencieuses et dociles. Pour mieux agir en coulisses.