Août 1973. Stockholm. Une banque, six jours, et un renversement d’alliances. C’est l’histoire d’un braquage qui tourne à la séance de thérapie collective. Le 23 août 1973, un homme masqué entre dans la Sveriges Kreditbank de Stockholm. Il s’appelle Jan-Erik Olsson. Il est armé d’une mitraillette, tire sur un policier, prend quatre employés en otage et réclame qu’on lui amène… Clark Olofsson, son ancien co-détenu, alors en prison pour tentative de meurtre.
Etrangement, les autorités acceptent. Olofsson est héliporté sur les lieux. Commence alors une prise d’otages de six jours. Les ravisseurs enferment les employés dans la chambre forte. Là, il ne se passe pas ce qu’on imagine. Les otages parlent avec leurs geôliers, blaguent, partagent des cigarettes. Kristin Ehnmark, l’une des otages, téléphone même au Premier ministre et le supplie:
Quand la police donne l’assaut, otages et ravisseurs se prennent dans les bras. Plus incroyable encore, les otages refusent de témoigner contre les braqueurs. Kristin Ehnmark visitera même Olofsson en prison. Le psychiatre Nils Bejerot, mandaté pour l’analyse, forge alors un terme qui fera le tour du monde: le syndrome de Stockholm. Un mélange de survie psychologique, de transfert d’empathie et d’identification forcée à l’agresseur.
Voici cinq exemples emblématiques de ce syndrome devenu tristement célèbre:
Le 4 février 1974, la petite-fille de William Randolph Hearst, un magnat de la presse, est arrachée de son appartement de Berkeley par un groupe armé se revendiquant de l’Armée de Libération Symbionaise. Dans les jours qui suivent, ses ravisseurs réclament que sa famille distribue plusieurs millions de dollars de nourriture aux pauvres.
Mais très vite, l’affaire dérape. Deux mois après son enlèvement, Patty, âgée de 19 ans, réapparaît… armée, dans une vidéo de propagande, annonçant avoir rejoint le groupe sous le nom de «Tania». Pire: en avril, elle participe activement à un braquage de banque à San Francisco. Tout le monde pense à une radicalisation éclair. Son procès commence un an plus tard, et son avocat plaide le syndrome de Stockholm: menaces de mort, enfermement, viols, isolement…
Condamnée à 7 ans de prison, elle ne fera que 22 mois. Jimmy Carter commue sa peine, Bill Clinton la gracie définitivement en 2001. Patty, elle, dira plus tard: «Je n’ai jamais cessé d’avoir peur, même une fois relâchée.»
L’image est glaçante: une gamine de 11 ans est enlevée sur le chemin de l’école par un couple dans un van gris. C’était en 1991, à South Lake Tahoe, Californie. Pendant 18 ans, Jaycee Lee Dugard vivra recluse dans un campement de fortune derrière la maison de ses ravisseurs: Phillip Garrido, déjà condamné pour viol, et sa femme Nancy.
Dès les premières semaines, son ravisseur commence à lui parler de voix qu’il entendrait, les «anges» qui l’auraient choisi pour faire de Jaycee «sa rédemption». Il la viole, la met enceinte deux fois. Jaycee donne naissance à deux filles dans la clandestinité. Coupée du monde, elle devient «Alissa». Quand elle est finalement repérée et sauvée en 2009, Jaycee est incapable de parler de sa propre identité. Ce n’est qu’au fil des mois qu’elle admet:
Un faux quotidien pour survivre. Garrido est condamné à 431 ans de prison. Jaycee, elle, écrit un livre: A Stolen Life.
Quand Colleen Stan monte dans la voiture de Cameron Hooker en Californie, en 1977, elle est loin de se douter que sa vie vient de basculer. Le couple semble inoffensif, avec leur bébé à l’arrière. Mais très vite, Cameron l’enferme dans une boîte en bois sous son lit. Pendant 7 ans, Colleen est séquestrée, torturée, privée de lumière et de sons.
Hooker lui fait signer un faux contrat l’engageant à devenir son esclave. Il lui explique qu’un réseau nommé «The Company» l’éliminera si elle s’échappe. Il la rebaptise «K». Et Colleen y croit. En 1981, après quatre ans d’horreur, Hooker l’emmène voir ses parents. Elle ne dit rien. Elle leur écrit même plus tard, en expliquant qu’elle est heureuse dans une secte.
Ce n’est qu’en 1984 que Colleen est libérée. Cameron Hooker est condamné à 104 ans de prison. Colleen vit aujourd’hui sous une nouvelle identité.
Elle prend son bain lorsqu’on frappe à la porte. Mary McElroy, fille du maire de Kansas City, est enlevée par quatre hommes armés. On la laisse se rhabiller, puis on l’attache à un mur dans une ferme isolée. La rançon demandée est fixée à 30 000 dollars. Elle est relâchée après 29 heures.
Mais le plus étrange vient après. Mary témoigne avoir été bien traitée, nourrie, protégée. L’un des hommes lui a même offert des fleurs. Au procès, elle prend leur défense. Après leur condamnation, elle va les voir en prison. Elle écrit des lettres, plaide pour leur libération.
Après la mort de son père en 1939, Mary sombre. En 1940, elle se suicide d’une balle dans la tête. Dans sa lettre, cette phrase:
Un cas d’école bien avant que le terme de «syndrome de Stockholm» n’existe.
Le 2 mars 1998, Natascha Kampusch, 10 ans, est happée dans un van blanc alors qu’elle se rend seule à l’école. Elle est emmenée chez Wolfgang Priklopil, un technicien autrichien méticuleux, maniaque, qui lui a construit une cellule sans fenêtre dans le sous-sol de sa maison.
Au début, elle est enfermée 24h/24. Puis, peu à peu, il lui permet de monter à l’étage, de cuisiner, de lire. Un matin, ils prennent le petit-déjeuner ensemble. L’après-midi, il la frappe. Le soir, ils regardent la télé. Un mélange insoutenable de normalité toxique. Le 23 août 2006, profitant d’un appel téléphonique de Priklopil, Natascha s’enfuit.
Lorsqu’elle apprend son suicide le soir même, elle pleure. Plus tard, elle garde une photo de lui dans son portefeuille, et ce pendant plusieurs années. Des psychiatres parleront de lien traumatique. Elle, simplement d’ambivalence.