Mardi dernier, alors que les collines environnantes se couvrent de guirlandes de feu, Francis Bischetti, un assistant personnel de 55 ans, observe ses voisins du sud de Sunset Boulevard charger leurs voitures. Il ne peut pas les imiter. Pas encore. Sa mission, pour le moment, est de rester sur place. En se persuadant que «tout ira bien», Francis continue d'arroser sa propriété avec obstination. Voilà plus d'un an qu'il s'est préparé à cette éventualité. Pelouse. Toit. Chevrons. Murs. Recommencer.
A 17 heures, alors que toute sa rue a été désertée, Francis a déjà déjà renouvelé l'opération plusieurs fois.
Puis une petite voix dans sa tête lui glisse qu'il est temps de filer. Alors, Francis remplit sa voiture. Vêtements de rechange, une guitare, papiers importants, actes de propriété, disques durs de son ordinateur; son véhicule se remplit vite. Trop vite. Il faut quand même éviter de trop charger. Quitte à laisser derrière lui son ordinateur à la maison, ainsi que ses amplis et son matériel de musique. Il repassera chercher tout ça le lendemain.
Au coin de la rue, Francis Bischetti passe devant une première maison en pleine combustion. Plus loin, sur l'avenue El Medio, l'épaisse fumée noire et la poussière achèvent de le faire paniquer. Ce sont désormais des flammes qui lèchent les flancs de sa voiture.
Lorsqu'il parvient finalement sain et sauf au domicile de sa sœur, à Mar Vista, c'est d'un voisin que Francis apprend la nouvelle. Toutes les maisons du quartier où il a grandi et vécu pendant près de cinquante ans ont été rasées. Un «sentiment surréaliste», décrit-il, sous le choc, au Los Angeles Times. Il ne reste rien des photos de famille, des souvenirs ou encore de ses instruments de musique, d'une valeur estimée à plusieurs milliers de dollars.
Le problème n'est pas seulement la destruction et le deuil de son foyer. Le problème, le vrai, c'est que Francis avait décidé l'année précédente d'«aller à nu». C'est-à-dire de se passer d'une assurance habitation, faute de pouvoir se l'offrir.
Quelques mois plus tôt, en effet, il apprend que le coût annuel de sa police d'assurance est sur le point de passer de 4500 dollars à 18 000 dollars. Il sait alors qu'il va devoir s'en passer. Un pari risqué. Mais Francis n'a pas vraiment le choix. Ne lui reste qu'à arroser sa propriété toute l'année - et prier.
Francis Bischetti n'est de loin pas le seul propriétaire de Pacific Palisades, d'Altadena ou des zones à flanc de colline de Los Angeles, des quartiers exposés aux incendies, à avoir fait ce pari perdant. D'autres s'y sont résolus lorsque de nombreux assureurs privés ont décidé d'abandonner la Californie ou de suspendre la souscription de leurs clients, même de longue date. Laissant les propriétaires avec un choix draconien: renoncer complètement à leur assurance ou souscrire une couverture moins avantageuse du California FAIR Plan, un programme de derniers recours soutenu par l'Etat de Californie.
C'était le choix de Gabby Reyes, dont la maison à Altadena a été détruite mercredi matin. L'incendie n'a laissé que les fondations. Désormais, bien qu'assurée, cette mère de famille craint que sa police ne soit pas suffisante pour couvrir la reconstruction de la propriété qu'elle partageait avec sa mère et sa fille.
Si Gabby a déjà été en contact avec le personnel du FAIR Plan, elle n'a aucune certitude. «Ils nous ont parlé et ils ont été très gentils», affirme-t-elle à Reuters. Pendant ce temps, tels des vautours, des spéculateurs immobiliers l'ont déjà appelée à froid pour lui demander d'acheter son terrain, flairant la bonne affaire qui se profile.
Matt Knight, de son côté, a eu un peu plus de chance. Ce père de famille aurait eu gros à perdre dans l'incendie de Palisades. L'été dernier, à la veille de l'expiration de sa police d'assurance pour la maison familiale dans laquelle il vit depuis 16 ans, située sur Sonoma Drive, il parvient in extremis à obtenir une couverture similaire auprès d'un nouvel assureur. Sauf que, dans la hâte de protéger sa propriété, celle-ci se retrouve largement sous-assurée: moins de 300 000 dollars. Bien loin des quelque 1,13 million de dollars que vaudrait le bâtiment, selon le site immobilier de référence, Zillow.
Mardi soir, alors que des vents violents provoquent une panne de courant, Matt décide de conduire ses enfants jusqu'à la maison de ses parents, de l'autre côté d'Altadena, où ils pourront faire leurs devoirs. C'est de là qu'il distingue l'incendie se déclarer dans une rue en abord des montagnes, près d'une ligne électrique. En quelque minute, tout s'embrase.
Quelques heures plus tard, Matt est de retour près de sa maison, luttant contre les flammes qui menacent d'envahir sa rue, aux côtés d'autres voisins désespérés de sauver leurs biens. En fin d'après-midi, mercredi, pompiers et volontaires n'ont plus d'eau. Il ne reste plus qu'à plier bagage et décamper. Matt rejoint sa famille avec la quasi-certitude de perdre sa maison.
Ce ne sera pas le cas. Par miracle, le vent se calme. «Une chance ultime», souffle-t-il au LA Times.
Beaucoup de Californiens, en particulier les résidents plus âgés, partagent le problème de Matt: une maison acquise à une époque où enseignants, plombiers ou infirmières pouvaient encore s'offrir une maison dans ce secteur très prisé, à force d'économies, pour 50 000 à 75 000 dollars. Après des décennies de hausse des biens immobiliers, des maisons qui vaudraient aujourd'hui des millions ont été réduites en cendres. Laissant leurs propriétaires, même assurés, sans moyens suffisants pour espérer reconstruire.
Mike Geller, 48 ans, un autre habitant de Pacific Palisades dont la maison a disparu en même temps que la bijouterie familiale de près de trois générations, a confié à ABC News qu'il n'était pas sûr d'avoir les moyens de reconstruire. «Des gens ne pourront pas revenir.»
S'il a déposé une demande d'indemnisation personnelle auprès de son assurance, il ignore totalement quand elle sera traitée. Ni si ce sera le cas. Sa femme et lui envisagent déjà de laisser tomber et de prendre «un nouveau départ». Ailleurs.
Pour ceux qui ont tout perdu, un nouveau combat démarre désormais: lutter avec leur compagnie d’assurance pour tenter de reconstruire. Pour les autres, comme Francis Bischetti, il ne reste plus qu'à s'inscrire aux fonds de secours en cas de catastrophe, auprès de l'Agence fédérale de gestion des urgences. Et tenter d'obtenir un peu d'aide pour nettoyer les maigres restes d'une propriété. Un service, selon le Los Angeles Times, qui pourrait lui coûter au moins 10 000 dollars.