Lorsqu'elle se précipite chez elle, mardi 7 janvier, vers 19h30, Shari Shaw, vient de recevoir l'appel des autorités. Il faut évacuer, et vite. Sur la route qui la mène à la modeste maison familiale au toit de tuiles, située dans un cul-de-sac près de la lisière de la forêt sur Monterosa Drive, la graphiste n'a qu'un objectif en tête. Mettre son frère Victor, 66 ans, en sécurité. Emballer quelques affaires personnelles. Et déguerpir au plus vite.
Dans sa rue, un voisin, Willie Jackson, 81 ans, est déjà en train de fourrer ses bagages dans le coffre de sa voiture. Prêt à décamper.
Lorsque la maison de leur enfance, un lotissement que les parents de Shari et Victor ont acquis dans les années 1960, se dresse au bout de l'allée, une épaisse fumée noire s'élève déjà dans sa direction. Le temps presse. Shari trouve son frère au fond de son fauteuil. Immobile, mais manifestement remué face aux aux chaînes de télé locales qui tournent en boucle les images des incendies en train de se propager à Los Angeles.
Victor Shaw, 66 ans, est un ancien chauffeur. Il souffre de diabète et d'une maladie rénale chronique, ainsi que de problèmes d'équilibre et de vision. Sa sœur le secoue avec désespoir. Sans succès. Même ses petits coups de pied n'y font rien. Il faut dire qu'il vient tout juste de prendre son médicament contre les crises d'épilepsie, celui qui l'aide à se calmer. En fait, Victor commence à se sentir de plus en plus groggy. «Ok, mais laisse-moi juste assis ici pendant quelques minutes», marmonne-t-il.
Pendant que Victor sombre dans un demi-sommeil, Shari s'active. Sur fond des nouvelles à la télévision, elle emballe les photos de mariage de leurs parents, les documents importants, les médicaments de son frère et son kit de nuit. Vers 2h du matin, alors que la sexagénaire ressort de la maison pour charger son SUV, la vision qui l'attend à l'extérieur est apocalyptique. Des flammes lèchent le flanc de la colline toute proche. Une propriété à environ un pâté de maisons a déjà commencé à prendre feu. Cette fois, ça y'est. «Il faut qu'on sorte d'ici!» hurle-t-elle à son frère.
Mais à l'intérieur de la maison, rien ne bouge. Des braises atteignent son SUV. Si elle ne sort pas de là immédiatement, ils finiront par y passer tous les deux. Il lui faut de l'aide. Shari se précipite en bas de Monterosa Drive, où elle a repéré un policier. A l'aide de grands signes, elle le supplie de l'aider. L'officier ignore ses supplications. Il l'invite seulement à prendre ses jambes à son cou.
Son espoir disparut, Shari fait demi-tour pour tenter de déplacer son frère toute seule. La fumée est si épaisse, désormais, qu'elle n'arrive pas à atteindre la moitié de la rue. Il faut se raisonner. Elle ne pourra pas le faire. Les braises, de plus en plus grosses, tourbillonnent «comme une tempête de feu», racontera-t-elle par la suite à la chaîne californienne KTLA-TV. Il ne reste plus qu'une chose à faire. Fuir. Et prier pour que Victor s'en sorte.
Toute la nuit, les appels désespérés de Shari sur son téléphone portable atterrissent sur sa boîte vocale.
Le lendemain matin, il est environ 11 heures lorsque Shari revient sur place. De la modeste maison de Monterosa Drive, qui appartenait à la famille Shaw depuis plus d’un demi-siècle, il ne reste rien.
C'est le fils des voisins, William Jackson, qui fera la macabre découverte sur un trottoir, près de la porte d'entrée. Le corps de Victor, pantalon de survêtement vert reconnaissable. Un tuyau d’arrosage encore à la main.
Selon le médecin légiste du comté de Los Angeles, Victor Shaw est décédé des suites des inhalations de fumée et des blessures thermiques. En faisant ce que son père avait toujours fait avant lui: entretenir la maison familiale.
Victor Shaw fait partie des 24 personnes déclarées mortes dans les feux qui ravagent le comté de Los Angeles. Parmi elles, cinq vivaient à quelques pâtés de maisons les unes des autres, dans un quartier très uni d'Altadena. Une zone située près de la forêt nationale d'Angeles, où de nombreux habitants sont établis depuis des générations. Des maisons méticuleusement entretenues pour être transmises à la génération suivante.
Ce qui explique, en partie, pourquoi certains ont refusé d'évacuer, préférant risquer la mort pour repousser les flammes. C'est le cas de Rodney Nickerson, 82 ans, qui vivait dans une rue située à quelques pas de la maison de Victor Shaw, à Altadena. L'histoire ne dit pas si les deux hommes se connaissaient.
Reste que, à 19 heures, mardi soir, Rodney est fermement décidé à ne pas quitter sa propriété, résistant aux appels de sa famille et ses voisins d'évacuer. «Il a dit qu'il s'en sortirait bien. Et que la maison serait toujours là à notre retour», a déclaré sa fille, Kimiko Nickerson, à KCAL-TV.
Père et fille prennent contact une dernière fois sur FaceTime vers 21h30. Puis, plus de nouvelles. Le lendemain, c'est dans son lit que Kimiko retrouve son père. «Son corps entier était là. Intact.»
Quant à Randall Miod, «Craw Daddy» de son surnom, une figure bien connue à Malibu, il n'a pas voulu fuir non plus. Ce surfeur aguerri de 55 ans, qui vivait depuis 1993 dans une modeste maison rouge «un peu délabrée» sur la Pacific Coast Highway, baptisée le «Crab Shack». Une maison qu'il adorait et partageait avec un chat noir et blanc - The Bu, pour Malibu.
Lorsque les incendies éclatent, mardi, il passe un coup de fil «au bord des larmes» à sa mère. Elle a beau le supplier de prendre son chat sous le bras et de se diriger vers un refuge, cet amoureux de Malibu refuse avec obstination. Il a connu «tellement d’incendies» au cours des trente dernières années, ici, qu'il est persuadé que celui-ci ne sera pas différent.
«Prie pour les Palisades et pour Malibu. Je t'aime», conclut-il. Ce sont les derniers mots qu'elle entendra dans la bouche de son fils.
Lorsque des photos du Crab Shack, incendié jusqu'aux fondations, finissent publiées sur les réseaux sociaux mercredi, les craintes pour la sécurité de Randy s'intensifient.
C'est un cousin qui finira par confirmer la terrible nouvelle. Les autorités ont découvert des restes humains dans la maison, «l'endroit qu'il aimait le plus». Selon les enquêteurs, il essayait probablement de sauver sa maison lorsqu'il a succombé à la fumée et à la chaleur.
D'autres personnes en effet, âgées ou handicapées, ont été incapables d'échapper aux flammes. Anthony Mitchell est de ceux-là. Après avoir été amputé d'une jambe l'année dernière, le sexagénaire, vivait avec ses fils d'une trentaine d'années dans la maison familiale d'Altadena, utilisait un fauteuil roulant pour se déplacer.
Ce qui ne l'empêchait pas de prendre soin de son fils Justin, atteint de paralysie cérébrale. Vers 5h du matin, mercredi, l'un des fils d'Anthony reçoit un coup de fil pour prévenir qu'ils attendent encore d'être évacués.
Tous deux ont été retrouvés morts. Le corps d'Anthony à côté du lit de son fils. La famille pense qu'il essayait de le sauver. «Il aurait probablement pu s'en sortir tout seul, mais il n'allait pas abandonner mon frère», a Anthony Junior à NBC News vendredi. «Il aimait vraiment ses enfants.»
Rory Sykes, ancienne star australienne de 32 ans de la série télévisée britannique des années 1990 Kiddy Kapers, né aveugle et également atteint de paralysie cérébrale, n'a pas pu s'échapper non plus. Mercredi, le jeune homme se trouve pris au piège dans son cottage, situé sur le domaine familial de six hectares à Malibu.
Sa mère, Shelley, tente vainement de lui venir en aide. Mais son bras cassé l'empêche de soulever son fils adulte ni même de le déplacer. Après qu'elle ait échoué à éteindre le toit avec un tuyau d'arrosage, Rory la supplie de le laisser et de prendre la fuite.
Lorsque les pompiers débarquent pour venir en aide Shelley Sykes, la maisonnette de Rory a déjà été réduite en cendres.
Alors que trois incendies sont toujours en cours et que les secouristes ont à peine entamé le processus de fouilles dans les cendres et les décombres de plus de 12 000 structures, le bilan des morts menace de s'alourdir dans les jours à venir. Pour les «équipes de détection de restes humains», il s'agit désormais de passer de maison en maison, à la recherche d'autres corps potentiels.
L'identification des cadavres, quant à elle, pourrait prendre encore des semaines, faute des moyens d'identification traditionnels, comme les empreintes digitales et l'identification visuelle. La plupart des victimes des incendies sont, «faute d'un meilleur mot, carbonisées», a souligné le Dr Odey Ukpo, médecin légiste en chef du comté de Los Angeles.
A défaut, les dossiers dentaires ou l'ADN devraient permettre d'identifier les individus disparus dans les incendies. Et permettre à leurs proches d'entamer le processus de deuil.