La «mauviette» de la famille royale est devenue indispensable
Sitôt venu au monde, le prince Edward prenait déjà sa famille de court. Une entrée théâtrale, le 10 mars 1964 à 20h20, une semaine avant la date prévue. Et puis, comme si surprendre Sa Majesté ne suffisait pas, le nouveau-né est un garçon. Persuadée d’attendre une fille, Elizabeth II n'avait envisagé que des prénoms féminins. Cette entrée en matière ne sera pas la seule originalité du prince Edward. Loin de là.
Malgré cette légère avance sur le timing, Edward, longtemps troisième dans la liste de succession au trône, a pointé le bout de son nez pile au bon moment: 14 ans après la naissance de son frère aîné, Charles, et 10 ans après la montée de sa mummy sur le trône. Elizabeth est désormais une reine bien établie et toute prête à accorder à ce fils «adorable» et à la «beauté délicate», toute l'attention qu'il mérite - et qu'il réclame.
C'est peu dire qu'Edward, coqueluche du personnel du palais, développe un sens du spectacle précoce. A l'âge de cinq ans déjà, les caméras de la BBC l'immortalisent en pleine escalade du toit de la Range Rover familiale ou en réclamation dramatique d'une glace. La distance confortable qui le sépare du trône d'Angleterre autorise au dernier-né une éducation beaucoup plus détendue et moins protocolaire que ses trois frères et sœurs. Ce qui ne l'empêchera pas de faire preuve toute sa jeunesse d'une «arrogance et d'une pétulance surprenantes», juge sa biographie Ingrid Seward.
La «mauviette pleureuse»
Faire son show, Edward aime ça et compte en faire son métier. Après un passage malheureux dans la marine royale après l'université, dont la démission au bout de quatre mois de service lui vaut les gros titres et le surnom peu flatteur de «mauviette pleureuse de Windsor» dans le New York Post, le prince au physique charmant et raffiné a choisi sa vocation. Il deviendra le premier membre haut placé de la famille royale à gagner convenablement sa vie en tant que producteur de théâtre.
Son Altesse ne croyait pas si bien dire. Son premier projet de mise en scène, à l'âge de 23 ans, s'apprête à laisser une tache «fracassante» sur son CV: un remake d'un jeu télévisé australien It's a Knockout, revisité à la sauce royale. On ne sait trop comment, Edward parvient à rallier plusieurs membres de sa famille - dont le prince Andrew, la princesse Anne et sa belle-soeur Sarah Ferguson - pour enfiler des costumes de Tudor multicolores et se ridiculiser lors de joutes sportives parfaitement absurdes. Un désastre absolu et une humiliation universellement reconnue, sauf par son réalisateur. Edward, très fier, affirme à un parterre de journalistes médusés qu'il s'agit du «jour le plus extraordinaire de sa vie».
Il faudrait plus qu'une mauvaise publicité mondiale pour décourager le fougueux prince de Broadway, qui persévère dans sa carrière théâtral jusqu'au début des années 90. Au terme d'une brève période de chômage, plutôt que de se lancer dans une ennuyeuse carrière de comptable sur les conseils de son père Philip, Edward préfère devenir son propre patron. Vachement plus commode, pour éviter d'être pris en étau entre un employeur et ses engagements royaux.
En novembre 1993, il lance sa boîte de production, Ardent Productions. Neuf ans et une dizaine de documentaires un brin à côté de la plaque plus tard, cette «triste blague dans l'industrie», comme la décrit le Guardian en 2002, s'achève.
Un mariage à toute épreuve
Les velléités professionnelles du prince Edward ne sont pas sa seule spécialité. Des quatre enfants de la reine, il est le seul à n’avoir jamais divorcé. En 1993, le jeune homme un brin «maniéré» balaie les rumeurs d'homosexualité (une suggestion proprement «scandaleuse», selon lui) en s'affichant au bras de Sophie Rhys-Jones, qu’il rencontre sur un tournage. Là où le fils de la reine est «calme», «sérieux» et, comme la plupart des royals, «arrogant et autoritaire», cette bourgeoise, fille d’une secrétaire et d’un fabricant de pneus, est «amusante», «drôle», «attirante».
N'en déplaise à un premier date très rangé (une partie de tennis et un dîner au palais de Buckingham), la presse décrit ce jeune et joli couple comme «étonnamment moderne»: des années avant leurs fiançailles, les tourtereaux se mettent en ménage au palais de Buckingham. Dans des chambres séparées, précisons. La légende raconte qu'une nuit, Edward, dans une tentative de rejoindre la chambre de sa belle, se serait encoublé sur l'un des corgis de sa mère - le forçant à retourner fissa dans sa chambre.
Cinq ans et un gros coup de pression médiatique plus tard, le prince finit par ployer le genou et fait sa demande lors de vacances aux Bahamas.
Le comte de Wessex, du titre reçu après ses noces, a eu raison de tergiverser. Il a parfaitement trouvé sa moitié. La comtesse est aussi douée que lui pour les gaffes et les bad buzz. Face à l'évidence, le couple finit par admettre qu’il n'est pas fait pour une vie professionnelle «normale». Edward et Sophie décident de se faire oublier du public un moment, à l'abri dans leur domaine de Bagshot Park, à seulement 16km du château de Windsor. Non loin de la reine et du prince Philip.
Avec les années, le couple devient tellement discret que la reine Elizabeth les aurait carrément intimés à se mettre davantage en avant. Un comble, pour un ancien comédien.
Autre spécificité de ce duo à toute épreuve? Leurs enfants, Louise et James, nés en 2003 et 2007, ne porteront pas de titre nobiliaire. «Nous essayons de les éduquer en sachant qu’ils seront très probablement amenés à travailler pour gagner leur vie», justifie Sophie au Times, en 2020. «C’est pourquoi nous avons pris la décision de ne pas utiliser les titres SAR. Ils les ont, et peuvent décider de les utiliser à partir de 18 ans, mais je pense que c'est très peu probable.»
La dure réhabilitation
Avant de trouver enfin un job dans lequel ils excellent, celui de membres actifs de la famille royale, le purgatoire aura été lent. Douloureux. Pour se racheter une noblesse, il aura fallu aux Wessex beaucoup de temps, discrétion, travail en coulisses et obligations familiales acceptées sans sourciller.
Le départ d'Harry et Meghan de la Firme permet à ces «nouveaux ambassadeurs» de combler la place vacante et de démontrer leur utilité. Si bien qu'en 2021, Vanity Fair écrit déjà que ces «travailleurs acharnés» sont «exactement ce dont la monarchie assiégée a besoin».
Trois ans plus tard, alors que la famille royale est confrontée à une crise sanitaire et à un manque de membres actifs sans précédent, le comte et la comtesse de Wessex se révèlent plus indispensables que jamais. Depuis que son frère aîné est hors de course, Edward, qui vient l'an dernier d'hériter du titre paternel de «duc d'Edimbourg», accumule les engagements. Selon le Telegraph, sa charge de travail n'est égalée que par celle de la princesse royale, Anne, réputée véritable bourreau de travail.
Il aura fallu attendre 60 ans pour que ce drôle de numéro trouve enfin sa voie. Derrière la façade d'acteur gâté et inconsistant, «c'est un gars vraiment dur», affirme un ancien garde-chasse de Balmoral, qui a emmené le prince traquer des cerfs dans les collines autour de la maison des Highlands. «Edward était de loin le plus dur de tous les princes. Rien n’était trop pour lui.» Ces prochains mois devraient nous en fournir la preuve.


