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Guerre contre l'Ukraine

«Les Russes se battront jusqu'au bout? C'est une connerie»

Poutine et en fond, le bombardement d'un immeuble à Zaporijia, en septembre 2024.
Poutine et en fond, le bombardement d'un immeuble à Zaporijia, en septembre 2024.Image: keystone / montage watson

«Les Russes disent qu'ils se battront jusqu'au bout: c'est une connerie»

Expert de la guerre en Ukraine, l'allemand Nico Lange suit de près l'évolution de la situation sur le terrain. Pour lui, la peur d'une escalade avec Poutine est infondée. Il nous livre sa vision de l'après-conflit et analyse la politique d'Olaf Scholz. Interview.
07.10.2024, 06:00
Remo Hess, bruxelles / ch media
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Nico Lange, 49 ans, est l'un des experts les plus renommés en matière militaire, notamment sur le front en Ukraine. Nous avons rencontré ce spécialiste du forum de la Conférence de Munich sur la sécurité et du think tank Centre for european policy studies (Centre pour l'étude des politiques européennes), basé à Bruxelles.

Nico Lange, de la Conférence de Munich sur la sécurité et le think tank CEPA.
Nico Lange.Image: dr

Vous vous êtes récemment rendu en Ukraine et avez rencontré le président Zelensky. Qu'en retirez-vous?Nico Lange: Premièrement, que malgré la situation difficile, les Ukrainiens sont fermement décidés à défendre leur patrie. Deuxièmement, qu'il ne serait pas si difficile de parvenir à faire asseoir la Russie à la table des négociations. Pour cela, Kiev a besoin de force militaire. Mais malheureusement, en Occident, nos hésitations laissent une trop grande marge de manœuvre aux Russes. La stratégie actuelle consistant à «aider l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire» ne suffit pas.

«Nous devons aller plus loin, à commencer par autoriser les Ukrainiens à utiliser les armes occidentales à longue portée»

Il y a deux semaines, le premier ministre britannique l'a justement demandé à Washington. Mais Vladimir Poutine a menacé de représailles. Apparemment, il y a des raisons de prendre ces menaces au sérieux.
Poutine a réussi à pénétrer profondément dans l'esprit des décideurs grâce à sa guerre psychologique.

«La réalité montre toutefois que ses menaces sont vides de sens»

Les Ukrainiens ont attaqué la Crimée, coulé une grande partie de la flotte de la mer Noire et envahi des territoires en Russie.

«Et quelles ont été les conséquences? Rien du tout»

L'armée ukrainienne a récemment détruit d'importants dépôts de munitions à 1000 kilomètres de la frontière, grâce à ses drones de fabrication artisanale. La seule réaction du Kremlin a été de passer ces opérations sous silence. Je comprends la prudence qu'on observait il y a deux ans. Mais il est temps de reconnaître la réalité. Et si nous avons vraiment peur des missiles de Poutine, alors autant nous soumettre tout de suite.

En Allemagne, Olaf Scholz se refuse à livrer des missiles de croisière Taurus parce qu'il ne veut pas provoquer d'escalade avec Moscou. Comment voyez-vous sa position?
Il est difficile de savoir ce que pense réellement le chancelier allemand. Son problème est politique: il n'a pas de consensus sur la question au sein même de son propre groupe parlementaire du parti social-démocrate (SPD). Il y a des tensions. On l'a vu l'année dernière, lorsque des membres de son parti craignaient que la livraison d'un véhicule de combat d'infanterie allemand, le Marder, ne mène à la Troisième guerre mondiale.

Comment expliquer ces hésitations?
Il faut savoir qu'en Allemagne, plusieurs membres historiques du SPD ont des liens avec Moscou. Au sein du groupe parlementaire, certains rêvent encore de faire la paix avec Poutine, indépendamment de ce qu'il en est pour d'autres Etats. Pour eux, la Russie passera toujours avant l'Ukraine.

«D'autres sont restés bloqués dans l'idéologie et persistent dans un genre de pacifisme bien-pensant»

Les sociaux-démocrates subissent par ailleurs la pression à droite de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), favorable à la Russie, de la fraction dissidente de la gauche radicale Alliance Sara Wagenknecht (BSW). Au final, c'est une histoire de pouvoir. En tant que chancelier, il ne peut rien faire sans majorité au sein de mon propre camp.

Malgré tout, Olaf Scholz a toujours repoussé les lignes rouges. En sera-t-il de même pour les Taurus?
L'Allemagne aurait dû se mettre au pas de nos partenaires et livrer les Taurus en même temps que les missiles de croisière britanniques Storm Shadow et les français Scalp. Nous avons raté une occasion et nous tenons en retrait depuis, par rapport à nos alliés. Je ne m'attends plus à un changement de cap. Olaf Scholz s'est rangé dans un coin désormais.

On entend régulièrement dire que la Russie est invincible, à grands coups de référence à la campagne russe de Napoléon ou à la Seconde Guerre mondiale. Est-ce vraiment le cas?
Comparer le conflit actuel à la «guerre patriotique» russe de 1941 est une absurdité. Ne serait-ce que parce que des centaines de milliers d'Ukrainiens sont morts pour l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, Poutine a de gros problèmes à prendre l'avantage. Il a vidé les prisons pour amener des soldats au front, paie des sommes colossales pour pousser les citoyens ou des mercenaires à aller se battre.

«Les Russes prétendent qu'ils se battront jusqu'au bout, mais c'est une connerie»

On parle d'un régime totalitaire, où l'on emprisonne les gens qui sortent dans la rue avec une feuille blanche pour protester. Si Poutine était vraiment si fort, pourquoi n'a-t-il rien obtenu en Ukraine depuis plus de deux ans? Il fait la guerre par habitude, mais il n'est pas en mesure de la gagner.

Que se passerait-il s'il recourait à l'arme nucléaire?
La probabilité qu'il le fasse est proche de zéro. Ce serait la chute de Poutine et il le sait. Même s'il envisageait d'utiliser une arme nucléaire tactique sur le champ de bataille, de petite taille, il faudrait en assumer les conséquences.

«La Russie s'isolerait alors complètement»

Ses seuls soutiens, dont la Chine, se retireraient. Les coûts d'une telle stratégie dépasseraient ses bénéfices, d'autant plus que l'utilisation d'une arme nucléaire tactique ne se solderait pas pour autant par une victoire. Poutine utilise cet argument pour tourner les menaces à son avantage et continuer la guerre psychologique, ce qui lui réussit, il faut le reconnaître.

Supposons que l'Ukraine prenne l'avantage sur le front et force la Russie à négocier. A quoi pourrait ressembler une solution? Existe-t-il un exemple similaire dans l'histoire?

«Tirer des comparaisons historiques est un exercice délicat»

Mais il vaut peut-être la peine de se pencher sur l'histoire de l'Allemagne durant la guerre froide. En 1949, la République démocratique allemande (Est) est créée en avril, suivie par la République fédérale (Ouest) en mai, actant la séparation du pays en deux. L'Otan est fondé dans la foulée, au mois d'octobre. L'Allemagne de l'Ouest la rejoint en 1955. Cette adhésion a permis d'assurer la paix en Europe. Comme pour l'Allemagne de l'Ouest, l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan pourrait permettre d'assurer la paix en tant que garantie de sécurité crédible. Parallèlement, il faudrait développer une perspective pour les régions que Kiev ne parvient pas encore à contrôler pour l'instant. Cela implique que les personnes qui y vivent continuer à être ukrainiennes.

Lors de la réunification allemande, c'est plus l'Allemagne de l'Est qui a été «intégrée» à l'Ouest, juste?Dans le cas de la RDA, ce qui a été décisif, c'est que l'Allemagne de l'Ouest a continué pendant toute la guerre froide à considérer les citoyens de ce territoire comme des Allemands à part entière, même si c'étaient des habitants «de l'est». Lorsque les circonstances l'ont permis, la réunification a été possible, car ils ne les ont pas oubliés.

«Même si les territoires ukrainiens contrôlés par la Russie pourraient le rester longtemps, les Ukrainiens ne doivent pas oublier qu'ils restent des leurs»

Le gouvernement suisse soutient la proposition de paix proposée par la Chine et le Brésil, deux Etats dont le gouvernement est favorable à Poutine. Qu'en pensez-vous?
Je pense que le soutien de la Suisse à ce plan de paix, si on peut l'appeler ainsi, est prématuré. Le Brésil et la Chine n'ont pas impliqué l'Ukraine dans leur plan et ne respectent pas la Charte des Nations unies dans leur proposition. Ils ne sont légitimés par personne. Il serait plutôt préférable d'inclure la Russie dans le processus entamé au Bürgenstock.

(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)

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