Dans sa vie d'avant, Vladimir Klitschko se battait avec ses poings pour la gloire, l'honneur et son pays natal. Aujourd'hui, il lutte pour la survie de ce dernier.
Sa carrière de champion du monde de boxe semble désormais appartenir à une autre vie, nous dit l'homme de 48 ans. Il est venu en Suisse pour parler de la guerre brutale de la Russie contre l'Ukraine.
Par le passé, Klitschko se montrait toujours décontracté. Depuis que les troupes de Vladimir Poutine ont envahi son pays natal le 24 février 2022, les choses ont changé. Klitschko a l'air sérieux, pensif.
Nous le rencontrons dans une salle de réunion vitrée. Ce géant d'1,98 mètre tend gentiment son poing droit, avec lequel il envoyait autrefois des adversaires par dizaines sur le sol, pour nous saluer.
Sur le front, les troupes de Poutine semblent actuellement prendre le dessus. De quoi l'Ukraine a-t-elle maintenant le plus besoin pour faire reculer la Russie?
Vladimir Klitschko: Nous avons toujours de nouveaux besoins. D'abord les chars, maintenant les missiles Taurus et toujours les munitions. En fin de compte, ce n'est pas le plus malin ou le plus fort qui survit, mais celui qui sait le mieux s'adapter. Des villes comme Soledar, Bakhmout ou Marioupol ont été rasées. Odessa et Kharkiv sont bombardées quotidiennement. Les premières cibles sont les centrales électriques.
Les Etats-Unis ont débloqué plus de 60 milliards de dollars d'aide pour l'Ukraine. Est-ce un tournant?
Cela nous aidera certainement. Mais ce n'est jamais assez tant que la guerre est en cours. Les chiffres sont grands, mais les chiffres de la destruction sont encore plus grands, sachant que nous ne sommes pas seuls en Ukraine. Nous sommes dans le même bateau que d'autres pays européens - y compris la Suisse. Si l'Ukraine tombe, les pays baltes seront les prochains - puis la Suède et la Norvège, tous membres de l'Otan.
Est-ce que vous pensez que la Suisse est dans le même bateau que vous?
Je vais le dire ainsi:
La stratégie de Poutine est de faire croire que nous, les Ukrainiens, sommes une nation fabriquée, une erreur de l'histoire. Ces ambitions malsaines qui ont allumé la guerre continuent tout simplement.
Outre les munitions et les armes, la mobilisation devient un problème de plus en plus important. Récemment, le gouvernement a abaissé l'âge de la conscription à 25 ans. L'Ukraine manque-t-elle de soldats?
Bien sûr, lorsque nous demandons de l'aide à nos partenaires, nous leur répondons toujours que ce n'est pas assez et que c'est trop lent. Le monde libre dort et ne comprend pas le danger, nous dit-on. Mais nous devons aussi nous prendre en main.
Depuis plus de deux ans, les personnes qui se sont portées volontaires pour la défense territoriale et l'armée sont sur le front. Les Russes ont subi de nombreuses pertes jusqu'à présent - mais nous aussi. Nous ne devons pas l'oublier. Mais pour nous, contrairement à la Russie, chaque vie est précieuse. La modification de la loi, qui a récemment abaissé entre autres l'ancienneté, n'est pas arrivée à temps. A cela s'ajoute le fait que de nombreuses personnes ont pris la fuite.
C'est Volodymyr Zelensky qui aurait été responsable en dernier recours de la mobilisation.
Oui, bien sûr, le président du pays et son gouvernement sont responsables. Celui-ci est composé d'anciens membres du parti de Zelensky, Sluha narodu (en français: serviteurs du peuple). Mais pendant la guerre, nous n'avons pas de partis.
Votre frère Vitali, le maire de Kiev, a critiqué il y a quelques jours le fait que Zelensky ne lui ait pas encore parlé personnellement. Quel est le climat entre les Klitschko et Zelensky?
Pendant la guerre, il ne devrait pas y avoir de combats politiques. Ils peuvent venir plus tard, s'il le faut. Pour l'instant, nous devrions nous tenir épaule contre épaule face à l'ennemi. Nous, les Klitschko, n'avons rien contre Zelensky. C'est probablement plutôt l'inverse. La guerre dure maintenant depuis plus de deux ans. Je pense que le président devrait rencontrer le maire de la capitale. Mais je n'explique pas au président ce qu'il doit faire.
Alors que l'Ukraine a besoin de soldats, de nombreux hommes plus jeunes ont fui vers l'Ouest, y compris vers la Suisse. Que leur dites-vous?
Les hommes qui ont fui doivent revenir. Je comprends que tous ne le feront pas. Mais il est important de prendre activement parti pour un camp. S'enfuir, c'est être du mauvais côté. Mais j'ai cessé de juger les gens. Car il y a aussi des gens qui soutiennent l'Ukraine depuis un autre pays. Mais détourner le regard et se distancer du pays, je ne trouve pas cela moralement correct.
Vous attendez-vous à être appelé un jour au front?
Le front était à Kiev, l'avez-vous oublié? A l'époque, nous nous préparions aux combats de rue - j'y étais. Maintenant, je suis toujours avec les troupes. Je sers le pays comme je peux. Je me demande chaque matin en me regardant dans le miroir: Que puis-je faire de plus pour arrêter cette guerre? Je n'ai pas de poste politique, je ne suis même pas né en Ukraine. J'ai passé la majorité de ma vie à l'étranger. Mais avant le début de la guerre, j'ai décidé de m'impliquer dans la défense territoriale.
Votre attitude est-elle quelque chose que vous avez retenu de votre carrière de boxeur?
Ma carrière sportive me semble appartenir à une autre vie, qui n'est d'ailleurs plus aussi importante aujourd'hui. En ce moment, j'ai de toutes autres priorités. Vous savez, lorsque la ligne de front était à Kiev, j'ai eu l'occasion de réfléchir à ce qui était important dans la vie. Les titres, le travail, l'argent et le statut n'ont aucune importance. A la fin de la journée, seule notre morale détermine où l'on se situe dans la vie.
Y a-t-il une compétence particulière de la boxe que vous pouvez utiliser aujourd'hui?
Nous sommes à Saint-Gall, sur le campus universitaire. Ici, je partage mes connaissances sous la forme d'un programme d'études. Celui-ci contient une méthode que j'ai créée, «FACE the Challenge». Elle contient quatre principes qui s'appliquent au sport, à la vie privée, à la vie professionnelle et à la guerre: Focalisation, Agilité, Coordination et Endurance. Fais face au défi, ne lui tourne pas le dos. Bien sûr, j'utilise ce que j'ai appris dans le sport, en partie aussi pendant la guerre.
Ces jours-ci, les informations selon lesquelles l'Ukraine subit des revers dans la guerre et que la Russie prend peu à peu le dessus se multiplient. Quelle est la gravité de la situation?
La situation est grave depuis plus de deux ans. La guerre est compliquée, la guerre est terrible. Avant le début de la guerre, on nous disait que nous allions tomber en deux ou trois jours. Aujourd'hui, nous en sommes à la troisième année de guerre. Les gens en Ukraine sont touchés. Surtout les enfants.
Vous vous occupez tout particulièrement des enfants. Comment les enfants ukrainiens sont-ils affectés par la guerre?
Des centaines de milliers d'enfants ont été déportés, violés, soumis à un lavage de cerveau. Les chiffres varient, le nombre de cas non déclarés est élevé. De nombreux enfants ont perdu leur identité, ont été donnés en adoption en Russie. Nous savons qu'environ 20 000 enfants ont été enlevés parce qu'ils ont été portés disparus.
Je suis moi-même très impliquée dans ce processus par le biais de l'organisation humanitaire «#We Are All Ukrainians», qui travaille en étroite collaboration avec la «Klitschko Foundation» et «Save Ukraine». Nous identifions et ramenons les enfants des camps de filtration en Russie vers l'Ukraine avec l'aide de leurs mères, tantes et grands-parents.
Une conférence sur la paix aura lieu en Suisse le mois prochain. Que faudrait-il faire pour que cette conférence soit un succès?
J'ai assisté à deux conférences sur la sécurité à Munich. Celle d'avant la guerre et celle pendant la guerre. Lors de ces conférences, tout le monde comprenait qu'il fallait y mettre un terme. Seulement, il y a un très long chemin à parcourir pour passer des discussions aux actes. Pour moi, à la fin de la journée, les actes parlent plus que les mots.
Quelles sont vos attentes vis-à-vis de la conférence de paix?
Il est important d'avoir de bonnes perspectives, de bonnes discussions. Les discours sont certes faciles, mais ils font aussi partie de l'action. A la fin de la journée, ce sont les politiques qui décident de la suite des événements. S'ils gelaient les biens russes qui se trouvent en Suisse, en conséquence de leurs crimes, ce serait bien.
Quand on ne passe pas par la Russie, les marchandises sont transportées via la Géorgie ou l'Arménie. La Russie a également trouvé une échappatoire lors des Jeux olympiques. Il s'agissait de savoir si la Russie pouvait concourir. Les Russes peuvent désormais le faire, sous un drapeau neutre. Les Russes vont utiliser cela comme propagande, ils l'ont toujours fait. Un drapeau neutre n'existe pas. Il ne devrait pas être possible d'autoriser les athlètes russes à participer.
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Vous verra-t-on un jour occuper un poste officiel dans la politique ukrainienne?
Un politicien dans la famille, ça suffit. Je n'ai pas d'ambition en politique. Je veux la paix et je veux la justice. Ce que j'ai vu doit être puni. Des jeunes gens morts, des civils aux mains bandées, exécutés. Cela ne doit pas arriver en Europe.
Comment gardez-vous l'espoir dans cette situation difficile?
On apprend à penser positivement. Il n'y a pas d'autre solution. Allez donc faire un tour à Kiev. Vous sentirez cette énergie, cette communauté, cette volonté, cette attitude positive.
Traduit et adapté par Chiara Lecca