Un épais brouillard de guerre plane depuis des mois sur la région russe de Koursk et ne se dissipe que rarement. L'offensive de l'armée ukrainienne dans la région, lancée début août, a fait bouger les choses pour les troupes de Kiev, qui étaient auparavant exclusivement sur la défensive le long du front. Mais les informations fiables en provenance de la région ne parviennent que rarement au public.
L'offensive de Koursk a toutefois provoqué des remous dans la diplomatie internationale. En effet, un acteur en particulier se montre désormais encore plus actif qu'auparavant dans la guerre en Ukraine: la Corée du Nord. En Occident et en Ukraine, l'envoi de troupes nord-coréennes en Russie est considéré comme une nouvelle escalade. Le secrétaire général de l'Otan Mark Rutte a déclaré la semaine dernière que la coopération entre la Chine, la Corée du Nord, la Russie et l'Iran «devient de plus en plus une menace».
L'armée nord-coréenne est considérée comme l'une des plus importantes au monde, avec environ 1,3 million de soldats actifs et un peu plus de 7,6 millions de réservistes. L'armée représente ainsi près d'un tiers de la population totale du pays. Les troupes de Kim Jong Un n'ont toutefois guère d'expérience du combat. Depuis la guerre de Corée de 1950 à 1953, l'armée nord-coréenne n'a jamais été impliquée dans une guerre avec des soldats au sol. Comment les troupes inexpérimentées du régime peuvent-elles donc soutenir la Russie? Ou bien deviendront-elles un boulet pour les troupes de Poutine?
Depuis octobre, on sait que le dictateur Kim Jong Un a envoyé au moins 10 000 soldats en Russie. Ceux-ci ont d'abord été entraînés pendant quelques semaines dans l'est de la Russie sur des terrains d'entraînement militaire avant d'être envoyés à Koursk. Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, il y aurait même déjà 11 000 soldats nord-coréens à Koursk:
L'expert militaire Gustav Gressel explique que l'engagement des Nord-Coréens ne peut guère être évalué jusqu'à présent. Le nombre de soldats engagés est encore trop faible – et de surcroît à Koursk, selon lui. L'Ukraine n'autorise que peu de journalistes et d'observateurs internationaux à se rendre à Koursk, de nombreuses informations ne peuvent donc être vérifiées.
Gressel reconnaît également dans l'inexpérience des Nord-Coréens un problème. Mais les troupes de Moscou aussi ont peu d'expérience:
La différence entre les Nord-Coréens et les recrues russes ne devrait donc pas être grande: «Je m'attendrais même à ce que les soldats nord-coréens commencent à un niveau plus élevé qu'un bleu russe».
George Barros, du think tank américain Institute for the Study of War (ISW), va dans le même sens. L'analyste militaire a reconnu au New York Times que les soldats nord-coréens étaient bien organisés:
Le fait que la Corée du Nord ait probablement envoyé certaines de ses meilleures unités en Russie plaide en faveur d'un niveau plus élevé. Selon les informations des services secrets sud-coréens, il s'agit notamment de soldats du 11e corps, une unité spéciale de l'armée nord-coréenne. Ces soldats sont entraînés pour des missions derrière la ligne de front. Leurs tâches consistent notamment à infiltrer les unités ennemies, à saboter les infrastructures et à procéder à des assassinats ciblés. Mais aujourd'hui, ils pourraient devenir de la chair à canon.
La semaine dernière, le commandant en chef ukrainien Oleksandre Syrsky a affirmé que la Russie avait déjà perdu près de 8000 soldats à Koursk depuis le début de l'offensive. En outre, plus de 12 000 soldats ont été blessés et 717 autres ont été faits prisonniers par l'Ukraine. Compte tenu de la contre-offensive russe qui vient d'être lancée pour reconquérir la région, les pertes parmi les troupes de Moscou - et désormais aussi parmi les soldats nord-coréens - vont probablement continuer à augmenter.
Mais le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, semble avoir intérêt à ce que les Nord-Coréens ne soient pas tout simplement brûlés dans sa guerre. Selon des informations ukrainiennes, les soldats de Kim auraient reçu en Russie, outre des uniformes, des mitrailleuses, des fusils de sniper, des missiles antichars et des grenades. Les Etats-Unis ont en outre déclaré, en octobre, que les Nord-Coréens avaient été formés à l'artillerie, aux tactiques de base de l'infanterie ainsi qu'au déblaiement des tranchées. Peu de soldats russes reçoivent un équipement et une formation d'une telle ampleur.
Selon le New York Times, les soldats devraient être répartis en deux groupes lors de la contre-offensive russe sur le Koursk. Le premier groupe serait prévu comme troupes d'assaut pour les attaques contre l'Ukraine, l'autre groupe serait chargé de sécuriser les territoires reconquis.
Un autre aspect important de l'engagement nord-coréen sera la coordination des missions. Selon Gustav Gressel, ce sont les officiers russes qui exercent le commandement.
Mais on sait aussi que le dictateur Kim a envoyé des officiers en Russie:
Il n'est pas encore possible de déterminer à quel niveau le passage du commandement nord-coréen à celui de la Russie s'effectue.
Gressel fait remarquer que la barrière linguistique entre les Nord-Coréens et les Russes peut entraîner des problèmes, notamment au niveau des simples soldats. Un tel cas pourrait déjà s'être produit. Selon les déclarations d'un soldat russe capturé par des Ukrainiens, des Nord-Coréens auraient déjà tiré par erreur sur des Russes.
Pour les officiers, c'est plus difficile à évaluer:
Les contacts devraient être restés étroits, du moins entre les services de renseignement, même dans les années 1990. C'est pourquoi il y a certainement «un certain stock d'officiers bilingues».
Enfin et surtout, le déploiement nord-coréen doit être évalué à l'aune de son ampleur. L'envoi de plusieurs milliers de soldats est d'ores et déjà historique pour la dictature. Certes, la Corée du Nord avait déjà soutenu le Nord-Vietnam pendant la guerre du Vietnam, l'armée égyptienne pendant la guerre du Kippour et le régime Assad pendant la guerre civile syrienne. Il ne s'agissait toutefois que de spécialistes isolés. En 1973, environ 1500 pilotes, conseillers militaires et unités spéciales ont été envoyés en Egypte.
L'intervention en Russie est donc d'ores et déjà sans précédent - et son ampleur pourrait encore augmenter. En effet, la Russie a actuellement du mal à mobiliser suffisamment de soldats frais. Moscou hésite encore à lancer une nouvelle vague de mobilisation et mise avant tout sur des incitations financières pour recruter de nouveaux volontaires. La Corée du Nord pourrait combler cette lacune.
Dans un entretien avec le New York Times, l'expert de l'ISW George Barros a qualifié cela de «pipeline alternatif» pour la Russie:
Les services secrets ukrainiens estiment également que jusqu'à 100 000 soldats au total pourraient être envoyés en Russie.
Si le dictateur Kim décidait effectivement d'envoyer une telle quantité de soldats en Russie, cela pourrait à son tour faire réagir son voisin sud-coréen. Jusqu'à présent, Séoul s'est abstenu de livrer des armes à l'Ukraine, mais cela pourrait changer. Le président Yoon Suk Yeol n'exclut plus de livrer des armes directement à Kiev:
Traduit et adapté par Chiara Lecca