Après l'été, place à la boue. Dans l'est de l'Ukraine, les pluies se font de plus en plus fréquentes depuis plusieurs jours. Les météorologues prévoient pour les semaines à venir le début de la fameuse «saison des boues», souvent considérée comme la cinquième saison en Ukraine.
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Les défenseurs ukrainiens, qui résistent depuis plus de deux ans et demi face à la Russie, doivent se préparer à une adaptation dans leur façon de mener les combats. En effet, pendant la saison des boues, qui s'étend généralement d'octobre jusqu'à début ou mi-décembre, puis revient au printemps, entre février et avril, les véhicules lourds à roues deviennent presque inutilisables sur le front, s'enfonçant dans la boue.
Les Ukrainiens appellent cette période «besdorishchia», ce qui veut littéralement dire «saison des mauvaises routes». En russe, on la nomme «raspoutitsa». Que signifie-t-elle pour le conflit en Ukraine? La besdorishchia favorise-t-elle l'un des deux camps? Comment la guerre évolue-t-elle pendant cette période?
La conséquence la plus évidente de la saison des boues est le ralentissement des mouvements motorisés sur le front. Depuis le début du conflit, de nombreuses vidéos ont circulé sur Telegram et les réseaux sociaux, montrant des véhicules et des soldats tentant de se frayer un chemin dans une boue parfois si profonde qu'elle atteint les genoux.
Le colonel Markus Reisner, de l'armée autrichienne, mentionne également ce problème. «Cet hiver, nous verrons à quel point les combats seront ralentis par les conditions météorologiques», explique-t-il. Il prédit que les soldats pourraient souffrir d'un manque d'infrastructures adaptées pour l'hiver.
Cependant, la saison des boues pourrait aussi poser des difficultés à l'Ukraine, notamment dans sa progression dans la région russe de Koursk. Le blogueur militaire russe Boris Roschin a récemment affirmé que la saison des boues y avait déjà commencé, et pour les troupes ukrainiennes qui y sont présentes depuis août, il pourrait devenir difficile de maintenir leurs positions. En effet, ces troupes se déplacent principalement en véhicules à roues, qui sont adaptés tant que les routes restent praticables.
Avec l'arrivée de la boue, la situation change radicalement. Les forces russes, équipées de véhicules lourds à chenilles, pourraient alors reprendre l'avantage et tenter de repousser les Ukrainiens de la région.
La chute des feuilles des arbres est un problème supplémentaire pour les deux camps. Le feuillage dense qui offrait une couverture aux véhicules blindés et aux positions d'artillerie disparaît, laissant ces dernières plus exposées aux drones ennemis. Combiné à la boue, cela transforme rapidement les positions non fortifiées en pièges mortels.
Les vidéos circulant sur X (anciennement Twitter) montrent de plus en plus l'utilisation de «drones dragons», des appareils équipés de charges de thermite qui peuvent atteindre 2100 degrés Celsius et causer d’importants dégâts, que ce soit pour éliminer la végétation autour des positions ennemies, détruire des véhicules ou neutraliser des soldats. L'absence de feuillage facilite encore leur usage, tant pour les Ukrainiens que pour les Russes.
Cet hiver, les conditions météorologiques risquent surtout de jouer en faveur de l'armée russe. L'Ukraine compte beaucoup sur ses drones dans ce conflit, mais les drones suicides légers, essentiels à ses stratégies d'attaque, sont limités par les vents violents, la pluie ou une mauvaise visibilité. Le brouillard pourrait même permettre aux Russes de lancer des attaques sans être repérés, mettant ainsi les Ukrainiens dans une position défensive difficile.
Le blogueur de guerre russe Iouri Podoliaka s'en est réjoui lundi sur son canal Telegram:
Mais les drones d'attaque ne sont pas les seuls à ne pouvoir voler que de manière limitée en cas de mauvais temps. Les drones de reconnaissance sont également affectés par le vent et le brouillard, explique Markus Reisner.
Un autre problème pour l'Ukraine résulte d'une stratégie de combat des troupes russes, comme l’explique Markus Reisner.
Dès qu'ils ont identifié une faille, ils se déplacent avec des armes lourdes et infligent ainsi des pertes importantes aux Ukrainiens. «Je m'attends donc à ce que les Russes continuent d'avancer en hiver et qu'ils parviennent à gagner du terrain, du moins localement», souligne l'expert. Il pense que l'armée russe se prépare dès maintenant pour la période où le sol sera gelé.
Pour l'Ukraine, le mauvais temps et l'inefficacité de ses drones qui en découle pourraient devenir un problème majeur. En effet, les défenseurs ukrainiens manquent toujours de munitions d'artillerie qui pourraient remplacer au moins partiellement les drones incapables de voler.
Pour Volodymyr Zelensky, ces conditions météorologiques compliquent sérieusement la stratégie de négociation avec la Russie. «L'Ukraine doit négocier en position de force», affirme Markus Reisner.
C'est pour cette raison que Zelensky réclame des systèmes d'armes supplémentaires, surtout après l'échec de la réunion de Ramstein. Sans ces renforts, il sera difficile pour l'Ukraine de rester sur la voie d'une victoire militaire. Les Russes, moins dépendants des drones et profitant de conditions hivernales favorables, pourraient en tirer parti pour continuer à gagner du terrain, et compliquer ainsi la perspective d'une paix négociée en faveur de Kiev.
L'absence de «succès mesurables», tels que la destruction de dépôts de munitions russes, nuit également aux efforts de guerre ukrainiens. Selon Markus Reisner, il est crucial que l'Ukraine multiplie les attaques et parvienne à des victoires tangibles pour renverser la situation.
Traduit et adapté de l'allemand par Anne Castella et sia