A cinq mois des urnes, Joe Biden et Donald Trump ne se sont jamais autant détestés. Les deux candidats qui se disputent (encore) la Maison-Blanche ont donc la même rage au bout des lèvres à l'idée de s'esquinter mutuellement le 27 juin prochain. Un premier débat présidentiel qui sonne comme un match retour que personne n'attend, mais que tout le monde redoute. Alors que les plus sceptiques digèrent encore la débâcle du premier face-face de 2020, devant 73 millions de téléspectateurs, les autres prédisent une bagarre stérile entre deux big daddies qui s'accrochent.
Et ils ont tous un peu raison.
Une semaine avant ce premier octogone en cravates, arbitré et diffusé par CNN, les potentiels cerbères du pouvoir américain affûtent leurs lames à leur façon. Deux adversaires, deux entraînements, deux stratégies. Comme en période d'examens, il y a ceux qui bûchent depuis des semaines et d'autres qui envisagent une grosse nuit blanche avant la feuille blanche. Vous l'aurez compris, le bon élève s'appelle Joe Biden. Après avoir gambadé en Europe (boudant la Suisse au passage) et récolté des sous à Los Angeles avec Julia Roberts, le président des Etats-Unis a remisé son agenda dans le congélateur.
Stay focused, dit-on. Entouré de ses caporaux de campagne, le candidat de 81 ans anticipe, en premier lieu, les coups qu'il va devoir esquiver, de la part d'un républicain plus bourrin que jamais, qui tapera «forcément sous la ceinture», préviennent les huiles démocrates. Il se chuchote d'ailleurs que Joe Biden se réjouit de laisser Donald Trump «faire son Donald Trump». Et que l'inverse est aussi vrai. Autrement dit, la victoire reviendrait à celui qui se vautre le moins franchement. Ça promet.
Si Biden a une confiance aveugle en Ron Klain, son stratège et ancien chef de cabinet, Donald Trump n'a pas la patience et l'intérêt nécessaires pour potasser ses dossiers: «Il considère ses rassemblements comme une préparation au débat», confesse Marc Lotter, assistant de la campagne de Trump en 2020. Une chose est sûre, on aura affaire à des dinosaures qui n'ont pas débattu depuis quatre ans. Et avec qui que ce soit.
Pour rappel, ce débat va durer nonante minutes, sans public, mais avec deux coupures pubs, avec des pupitres tirés au sort à la dernière minute et enrichis d'un bloc-notes vierge, d'un stylo et d'une bouteille d'eau. Face aux candidats, les très respectés Jake Tapper et Dana Bash, «qui utiliseront tous les outils à leur disposition pour faire respecter le timing et garantir une discussion civilisée», annonce la chaîne CNN, comme une menace. Et Donald Trump a reçu l'information cinq sur cinq, puisqu'il ventile déjà à l'idée d'être volontairement défavorisé.
Parmi d'autres théories, typiquement trumpistes.
Car Donald Trump, son équipe et ses partisans en sont persuadés: la chaîne américaine roule pour Joe Biden et fera tout pour glisser des bâtons dans les rouages verbaux du républicain. Invité récemment à tout balancer dans le podcast de Logan Paul, le candidat-condamné n'y est pas allé de main morte pour hisser la chaîne sur l'échafaud de la paranoïa: «CNN, c'est l'ennemi».
The Donald Trump Interview 🇺🇸
— IMPAULSIVE (@impaulsive) June 13, 2024
Our first full-length podcast on X… pic.twitter.com/aRiforlhca
CNN jouera gros le 27 juin prochain. Peut-être même davantage que les deux prétendants à la fonction suprême. Dans un paysage médiatique qui n'a jamais été aussi clivé, l'attitude des deux journalistes pourtant chevronnés sera scrutée à la loupe, en premier lieu par une armée MAGA qui ne voit en eux que des gauchistes à la botte de l'Etat profond.
Bien que les deux clans aient accepté toutes les règles du jeu, l'une d'elles fait débat. Dégoupillée pour éviter le capharnaüm d'il y a quatre ans, elle terrifie l'équipe de campagne de Donald Trump. Souvenez-vous en 2020, lorsque le républicain n'arrêtait pas d'interrompre le démocrate, poussant ce dernier à lâcher une réplique désormais culte:
Cette nouvelle règle? Le micro de celui qui n'a pas la parole sera automatiquement coupé. Une technique drastique qui pourrait non seulement aseptiser les causeries, mais accoucher de plaintes contre l'arbitre, si le jus est coupé au mauvais moment. Le Daily Beast souhaite déjà bonne chance à CNN, car Donald Trump envisagerait déjà de foncer dans le tas, que son micro soit ouvert ou fermé. Pour rappel, Trump et Biden «disposeront chacun de deux minutes pour les réponses, d’une minute pour les réfutations et d’une minute pour les réponses aux réfutations».
Celui qui gère parfaitement son temps de parole pourrait en ressortir grandi. Il n'y a rien de pire que d'être stoppé sèchement dans son élan, en direct.
Les trumpistes partent du principe que le président de 81 ans est incapable de tenir nonante minutes sans un petit coup de main chimique. Une théorie déroulée, à l'annonce du débat le mois dernier, par Fox News. Et forcément amplifiée par Donald Trump lui-même. Cette semaine, en meeting dans le Wisconsin, le candidat républicain a carrément accusé son ennemi de carburer à la cocaïne. Le 27 juin prochain, Joe Biden «sera très excité, tellement excité».
Des preuves? Non. Mais un «indice»: «Quelqu'un n'a pas récupéré des centaines de milliers de dollars de cocaïne. Je me demande qui ça peut être. Je ne sais pas. En fait, je pense que c'était Joe».
Trump is pre-spinning a bad debate performance by preemptively accusing Biden of being on drugs pic.twitter.com/5MbFmsO4Pv
— Aaron Rupar (@atrupar) June 18, 2024
Si Trump faisait sans doute référence à la cocaïne découverte dans une salle de la Maison-Blanche, en 2023, ce n'est pas la première fois qu'il évoque un Biden «chargé à bloc».
En Suisse, le débat entre Donald Trump et Joe Biden va démarrer à trois heures tapantes, dans la nuit du 27 au 28 juin. Pour les insomniaques, sachez déjà que des chaînes françaises le diffuseront en direct et en traduction simultanée. Si ces 90 minutes ne risquent pas de bouleverser les sondages en profondeur, elles vont servir de munitions pendant des semaines, des deux côtés et sur les réseaux sociaux.