C'est toute de blanc vêtue que Miss Angela Kelly, 65 ans, a fait ses cartons la semaine dernière. Des fringues discrètes, sobres et pratiques, pour filer un coup de main aux déménageurs et fourrer matelas et souvenirs dans la camionnette. Direction le nord du Royaume-Uni, où l'attend une autre maison et une nouvelle vie, à 180 miles des paillettes et des courtisans.
Ce n'est pas faute à Elizabeth II d'avoir accordé à sa fidèle employée la faveur de rester dans son cottage de Windsor à sa mort. Licenciée de ses fonctions en septembre dernier, Angela Kelly a finalement été informée qu'elle devait quitter les lieux.
Réduction des coûts oblige, «le roi a clairement indiqué que sous le nouveau règne, les gens devront couper leur tissu. Le roi n'a manifestement pas l'habitude de fournir des logements à ceux qui ne travaillent plus pour la monarchie», glisse une source au Daily Mail.
On fantasmait sur l'idée que l'ancienne styliste de la reine profiterait de ce retrait de la vie royale pour publier de nouvelles mémoires croustillantes. C'est foutu. Selon des initiés, l'accord de «bâillon» qu'elle vient de conclure avec Charles III l'empêche purement et simplement d'utiliser les mots «King» et «Palace» à des fins commerciales.
Un accord de non-divulgation habilement orchestré par le Palais et le nouveau souverain, afin de s'épargner tout nouveau scandale: le silence de l'ancienne dame de confiance d'Elizabeth II en échange de la nouvelle demeure de son choix, pour couler une retraite paisible et silencieuse. Jusqu'à la fin de ses jours.
Comme le veut la formule consacrée, rien ou presque ne prédestinait cette femme de modeste extraction à poser ses mains sur la taille et le cœur de la reine d'Angleterre. Fille d'un docker et d'une infirmière de Liverpool, Angela Kelly est femme de ménage chez l'ambassadeur britannique d'Allemagne lorsqu'elle croise pour la première fois le chemin de la reine, en 1992, à l'occasion d'une visite officielle à Berlin.
Au moment des traditionnels remerciements au personnel, l'employée de maison s'illustre lorsqu'elle refuse d'indiquer à la reine l'identité du prochain invité de marque de l'ambassade. Malgré l'insistance du prince Philip, Angela choisit de garder le silence, arguant que l'information est strictement confidentielle. Un flegme qui n'a pas déplu à la monarque la plus discrète de tous les temps.
Quelques mois plus tard, la gouvernante reçoit un appel et une offre d'emploi: devenir habilleuse de Sa Majesté.
Pas facile pour cette divorcée à l'accent rugueux de Liverpool, qui n'a jamais suivi de formation formelle et n'est guère accoutumée aux prises de tête protocolaires, de faire sa place au sein de la snobinarde noblesse anglaise. Mais Miss Kelly en veut. «Ce qui lui manque dans l'éducation, elle le compense dans son ambition, indique son ex-époux au Daily Mail. Elle s'est hissée au sommet de sa profession. Elle a toujours voulu travailler pour la reine et a beaucoup sacrifié pour le faire».
De fil en aiguille, l'habilleuse (qui n'a jamais perdu son accent), se retrouve à la tête du département responsable de la confection des robes, chapeaux, chaussures, sacs et bijoux de la reine. Là voici devenue Madame Image - et Dieu sait combien les apparences comptent, pour la femme d'Etat la plus photographiée de tous les temps.
Derrière son titre à rallonge («Assistante personnelle, conseillère et conservatrice de Sa Majesté la Reine pour les bijoux, insignes et garde-robe»), qu'elle assume dès 2001, Angela Kelly s'attèle à bâtir le mythe et l'image d'Elizabeth II.
Plus plus que simple «habilleuse» (en fait, «la reine s'habille toute seule»), Angela Kelly conçoit, organise et répare des milliers de looks emblématiques. Au fil des robes, tailleurs et chapeaux multicolores, la styliste aide à façonner cette silhouette inoubliable qui nous a tant marqués.
Menue, Elizabeth II privilégie les couleurs vives pour être rapidement repérée dans la foule. Exit le noir, réservé au deuil, et le gris, trop discret. Dans sa garde-robe, contrairement à une Kate Middleton ou une Meghan Markle, pas de place pour les tendances ou l'expérimentation. Son dressing doit être intemporel, cohérent, approprié, accessible, relativement pratique, et surtout, pas trop déconnecté. Un équilibre délicat.
Tissus, couleurs, accessoires: la monarque et sa styliste décident de tout, ensemble. «Je pense qu'elle apprécie mon opinion, mais c'est elle qui contrôle. Elle prend toujours la décision finale», tient à préciser en 2007 la fidèle conseillère, qui doit veiller à ce que la Reine ne commette aucun fashion faux pas. Du moins… lorsqu'il s'agit des chaussures de Son Altesse royale. «Comme cela a été souvent rapporté dans la presse, un laquais enfile les chaussures de Sa Majesté pour s'assurer qu'elles sont confortables et qu'elle est toujours prête à partir. Et oui, je suis ce laquais».
C'est peu dire qu'Angela Kelly, qui voit la souveraine plusieurs fois par jour, jouit d'une position ultra-privilégiée. Non seulement elle est l'un des rares collaborateurs admis dans les appartements privés pour les essayages (imaginez l'honneur de voir Elizabeth en petite culotte!), mais elle est également l'un des rares êtres humains à pouvoir poser sa main sur la monarque.
Outre la dimension physique, qui implique moult épingles et ajustements, il y a l'aspect mental: «Accorder sa confiance à quelqu'un qui comprend vos goûts et les exigences de chaque situation, presque mieux que vous», note la rédactrice de Vogue UK, Elise Taylor, en 2018.
Pendant le confinement, Angela Kelly est même admise dans la «bulle HMS», ce noyau restreint mis en place autour de la Reine, au plus fort de la pandémie. Si bien qu'en mars 2020, l'habilleuse doit se découvrir des talents... de coiffeuse. «J'ai lavé les cheveux de la reine chaque semaine, je les ai coiffés et coiffés, et même coupés si nécessaire. Les deux premières semaines, je tremblais», témoigne l'assistante.
Leur relation n'est pas seulement liée à des conditions de style vestimentaire. Au fil des années, «Votre Majesté» et «Angela», comme elles s'appellent mutuellement, nouent des liens personnels. Lorsque la reine indique qu'elle «sort un peu», tout le monde sait qu'il s'agit du nom de code pour: «Je vais voir Angela».
Dans l'intimité, les deux femmes discutent de «tout et de n'importe quoi», des robes de bal à leurs petits-enfants, et vont jusqu'à se faire des blagues. Il n'est pas rare, rapportent des employés de Buckingham, que leurs éclats de rire résonnent dans les couloirs feutrés du palais, derrière la porte close.
D'aucuns disent que la reine a trouvé une bouffée d'air frais dans la nature pragmatique de sa styliste. «Angela ne souffre pas des imbéciles, et, pour la reine, une partie de son attrait réside dans le fait qu'Angela n'a pas peur d'elle», souligne l'auteur royal Bethan Holt au Standard Evening.
Certains initiés de Buckingham Palace pensent qu'Elizabeth et Angela ont noué une relation plus étroite à partir de 2002, lorsque la reine a perdu coup-sur-coup sa mère et sa sœur, la princesse Margaret, en pleine année de jubilé d'or. Une théorie rejetée par la principale intéressée.
Ce qui n'a pas empêché la monarque de lui affirmer un jour, selon le Daily Mail: «Nous pourrions être sœurs».
Leurs liens se seraient encore resserrés après le décès du prince Philip, dont Angela Kelly a été l'une des premières informées. En 2020, elle a révélé quelques détails poignants sur une scène intime, survenue juste après les funérailles. «Je l'ai aidée avec son manteau et son chapeau, et aucun mot n'a été prononcé», a-t-elle écrit. «La reine s'est ensuite dirigée vers son salon, a fermé la porte derrière elle et elle s'est retrouvée seule avec ses propres pensées.»
Depuis lors, Angela est devenue la «véritable femme de prédilection» de la reine.
Trois mois avant sa mort, la monarque a d'ailleurs convié Angela Kelly à prendre ses quartiers dans le château de Windsor. Non loin des appartements privés de sa patronne, la dame de compagnie s'est installée dans une suite avec télévision de 42 pouces - indispensable pour continuer à regarder Coronation Street, soap britannique que les deux amies auraient dévoré ensemble, et dont Angela Kelly est si fan que la reine l'a emmenée visiter le plateau.
Cette promiscuité a naturellement suscité quelques commentaires courroucés au sein des cercles de courtisans du Palais, lieu de tous les commérages et médisances. «Avoir l'oreille de la reine est très recherché, et sans aucun doute Angela Kelly a l'oreille de la reine», note l'expert royal Andrew Morton au Evening Standard.
Toute dévouée qu'elle ait été, le style d'Angela Kelly a pu agacer. Son tempérament et son éthique de travail implacable lui ont d'ailleurs valu le surnom de «AK-47», d'après ses initiales et le célèbre fusil d'assaut d'origine russe. Loin de l'avoir vexée, cette réputation l'aurait fait beaucoup rire, dit-on.
Parmi ses plus célèbres détracteurs, citons le prince Harry et Meghan Markle. Au moment des noces des tourtereaux, Angela Kelly s'est rendue célèbre en refusant à la duchesse l'accès au diadème de la Couronne, qu'elle convoitait.
Miss Kelly aurait-elle risqué d'agacer la très scrupuleuse hiérarchie du Palais? «Non!», s'écrit-elle, en 2007, au Telegraph. «Je connais ma place. Je ne discuterais jamais des affaires d'Etat avec la reine. C'est pour le prince Philip, son secrétaire privé et ses conseillers principaux. Je viens d'un milieu modeste et j'aime penser que je suis restée humble».
Outre de nombreuses décorations et titres honorifiques, ses bons et loyaux services ont valu à la «personne la plus importante de la vie d'Elizabeth un insigne honneur: l'autorisation de publier deux livres sur les coulisses de son métier, en 2012 et 2019. Bien que dépourvues de véritable scoop politique ou personnel sur Elizabeth, selon le correspondant royal du journal Le Point, ces mémoires sont une première pour un membre de la maison royale.
Si elles frisent la «complaisance», elles offrent aussi un rare aperçu de l'intérieur du palais et de nombreuses anecdotes charmantes sur le train-train royal - comme, par exemple, le fait que les diamants de Sa Majesté sont polis avec du gin et de l'eau.
Selon le Daily Mail, un troisième ouvrage aurait été mis sur les rails, avec la permission expresse de la reine, en guise de remerciement et d'assurance financière pour l’avenir de son amie. Avec le nouvel accord de confidentialité dévoilé cette semaine, la publication de l'ouvrage s'avère en péril. C'est toutefois bien mal connaître la trépidante AK-47, qui a certainement glissé quelques cartouches dans la poche de son tailleur.