C'est dans un bureau marron éclairé aux néons et à la moquette miteuse, perdu dans un bâtiment où se côtoient un bureau d'avocat, un registre foncier et une agence immobilière, que Theresa Thibodeau nous a donné rendez-vous.
Une tornade en trench beige et cheveux blonds surgit bientôt au bout du couloir. Démarche rapide et énergique, café à la main. Comme pour rattraper le temps qui file, à quelques heures de la fin de la campagne électorale. La présidente de «Red State Nebraska» arrive pile à l'heure. Ce qui ne l'empêche pas de s'excuser pour son retard.
Preuve que le temps presse, Theresa Thibodeau ne nous propose pas de prendre place, quelque part à la table, entre les cartons de dépliants et les alignées de panneaux électoraux.
Ce bureau, situé dans une zone industrielle de la ville d'Omaha, dans le Nebraska, Theresa Thibodeau l'occupe depuis le mois de juillet. Plus précisément, depuis la création de «Red State Nebraska», un comité fondé avec deux autres collègues républicains. Leur objectif? Mobiliser les électeurs et veiller à ce que leur Etat conserve la teinte rouge vive qui le caractérise. «Ce comité arrivait au bon moment, puisqu’il est plus ou moins né quand nous avons vu apparaître les premiers points bleus à Omaha», débute Theresa Thibodeau.
Les points bleus. Un signe de ralliement pour les démocrates de ce district et une marque de soutien à Kamala Harris. Des milliers de pancartes affichant le «blue dot», un rond bleu sur fond blanc, sont désormais plantées sur les pelouses de la ville.
Pour leur donner la réplique et leur signifier qu'ils ne lui font pas peur, Theresa Thibodeau a imaginé une réponse tout aussi graphique: le Nebraska rouge, sur fond blanc. «Un motif simple, un message simple, résume-t-elle. Pour signifier que le Nebraska est, et continuera d’être, un Etat républicain».
Une création personnelle, dont cette mère de famille de 49 ans n'est pas peu fière, même si elle a dû retirer son propre panneau de son jardin. La faute au règlement de voisinage très scrupuleux de son quartier, une zone résidentielle proprette où les maisons avoisinent le million de dollars et où la pelouse ne doit pas dépasser d'un millimètre.
Ainsi, cet été, son comité a commandé 500 exemplaires du «Red State Nebraska». Puis 500 autres. Et encore 500. Près de 3000 ont été distribués en tout. «Et puis, finalement, nous avons abandonné l'idée des panneaux, précise la présidente du comité. Nous avons préféré utiliser ces fonds dans d'autres stratégies plus concrètes pour toucher les électeurs, comme l'envoi de SMS et le porte-à-porte.»
Ce qui explique pourquoi les points bleus donnent l'impression de dominer de manière écrasante les jardins d'Omaha, à quelques heures du scrutin. Theresa Thibodeau assure qu'elle ne les voit même plus. «Ça ne m'énerve pas vraiment, jure-t-elle. Ça me fait plutôt lever les yeux au ciel. Mais c'est une excellente chose que les gens se mobilisent et aient envie de faire entendre leur voix».
En 2020, Joe Biden avait remporté ce district avec une courte majorité de moins de 23 000 voix. L'objectif de Theresa Thibodeau et de ses camarades est d'empêcher la candidate Kamala Harris de réitérer cet exploit cette année. «Le rouge reviendra», jure l'ancienne sénatrice d'Etat d'Omaha. Si elle prononce à peine le nom de Donald Trump durant notre rencontre, cette républicaine de toujours se dit convaincue que l'ancien président «s'en sortira mieux qu'en 2020» et remportera à nouveau le 2e district de la région d'Omaha.
La course à la Maison-Blanche n'est d'ailleurs pas la seule à être disputée dans la région. L'élection se joue également au niveau de la Chambre des représentants, où le candidat républicain Don Bacon mène une course serrée contre son adversaire démocrate, Tony Vargas. Ainsi qu'au Sénat, où le siège se joue entre Dan Osborn, un dirigeant syndical et candidat indépendant, et la sénatrice républicaine Deb Fischer.
Sur ces paroles, Theresa Thibodeau est interrompue par la sonnerie de son téléphone. «Désolée, je dois prendre ce coup de fil... Hi dad!».
Chez les Sanderson - son nom de jeune fille - la politique est une histoire de famille. Son père est également très impliqué dans cette campagne. «J'ai commencé à m'investir il y a une trentaine d'années, quand ma sœur s'est présentée au Conseil de la ville d'Omaha. Depuis, ça ne m'a jamais quittée», explique celle qui a échoué aux primaires, en 2022, pour le poste de gouverneur du Nebraska.
Une passion que partagent ses trois enfants? «En effet, nous parlons beaucoup de politique à la maison. Ma fille aînée est la plus intéressée, manifestement, puisqu'elle suit des études pour devenir diplomate, sourit Theresa Thibodeau avec un élan de fierté. Ma plus jeune fille de 16 ans pose aussi beaucoup de questions. Quant à mon fils cadet, qui a 19 ans, il m'a aidé à distribuer des tracts et à sonner aux portes».
Après des semaines passées à bombarder les électeurs potentiels de textos et d'emails, à accrocher de petits sacs en plastique rouges devant des milliers de portes et à distribuer des brochures de campagne républicaines, l'ancienne championne de cross-country s'apprête à entamer le sprint final. «Il y a encore beaucoup de boulot à accomplir pour s'assurer que les électeurs, avec une faible propension à voter, iront aux urnes», assène-t-elle.
Que Theresa Thibodeau ne s'inquiète pas. Si les pancartes dans les jardins sont un indicateur, la participation à Omaha s'annonce tout simplement énorme. Ne reste plus qu'à savoir de quelle couleur sera le raz de marée.