Son accession au trône aurait pu être un jour sombre. Synonyme de deuil national, de pleurs, de solennité, de fleurs jetées, de cris lancés, bref de tout un tralala protocolaire aussi lourd qu’un manteau d’hermine. C'était sans compter sur le choix de sa chère maman, la reine Margrethe II, de céder les rênes et la couronne avec dignité. Au moment opportun. Plutôt que de céder aux sirènes de la tradition, qui exige qu'on ne lâche pas la couronne avant de crever la bouche ouverte, la très populaire reine du Danemark de 83 ans a choisi de profiter d'une retraite bien méritée, 50 ans après son entrée en fonction.
Ce dimanche, c'est donc dans la liesse et l'euphorie générale que s'est tenue l'intronisation de son fils, le nouveau roi Frederik X du Danemark, 55 ans. Autant vous dire tout de suite que ce n'était pas gagné d'avance.
Lorsqu'il naît en 1968, au beau milieu de la nuit et d'une pièce de théâtre à laquelle assiste son papa, un respectable diplomate français répondant au nom charmant de Henri de Monpezat, la voie de l'héritier du trône est toute tracée. A commencer par le choix de son prénom. Ce sera Frederik ou Christian. Pas d'autres alternative possible pour le futur porteur de la couronne danoise. C'est la coutume. Bon, alors va pour Frederik.
A l'exception du choix de son nom et de son futur métier, rien n'est simple dans l'enfance du petit Frederik. Difficile pour ce garçon timide et rêveur, qui s'imagine astronaute, aventurier, marin ou sauveteur, d'évoluer librement sous le poids de l'étiquette, des obligations et des médias. Encore moins tailler sa place dans l'ombre de sa très populaire maman. N'en déplaise à papa, qui ne lésine pas sur les gifles (en français), Frederik reproche à ses parents de le négliger au profit de leurs fonctions publiques.
Pour compenser, cette graine de rebelle va chercher réconfort et attention dans les voitures de sport, les conquêtes féminines et la «fastlife». Quitte à renvoyer aux yeux de ses sujets l'image d'un prince pourri gâté. En 1988, par exemple, flanqué de son frère cadet, Frederik fait une sortie de route après avoir roulé à contresens dans le sud de la France. Ejecté de la voiture, il se casse une clavicule et écope de quelques points de suture au front. Scandale. Les deux frangins devront formuler leur mea culpa public face à un parterre de presse mécontent.
Quatre ans plus tard, à défaut d'avoir retenu la leçon, le prince turbulent réitère son exploit peu glorieux lors d'une soirée très arrosée de Nouvel An. Certes, cette fois, c'est sa petite amie qui tient le volant. Sauf que mademoiselle n'a pas le permis.
Heureusement, tout n'est pas complètement perdu pour la réputation du prince fougueux. Son diplôme en sciences politiques de l'université d'Aarhus, en 1995, fait de lui le premier membre de la famille royale danoise à terminer une formation universitaire. Ajoutez-y un passage à la prestigieuse université américaine d'Harvard, où il est inscrit sous le pseudonyme de «Frederik Henriksen» (un clin d'œil à son père devenu prince consort Henrik), et le tour est joué.
Sans oublier une formation militaire d'élite. «Pingo» («Pingouin») de son surnom, en référence à la combinaison des hommes-grenouilles de la marine, est l'un des quatre élus sur quelque 300 recrues à réussir tous les tests de cet entraînement militaire ultra exigeant. Et pour confirmer sa réputation de viking, le prince du Danemark compte deux tatouages: un requin sur le mollet et un motif nordique sur l'épaule droite. Bah! Pour l'excuser, même son grand-père, Frederik IX, en comptait tout un tas.
Après les fêtes, les petites amies et les titres militaires, ce sportif invétéré aligne les performances sportives. Il compte à son palmarès pas moins de six marathons, un Ironman (3,8 kilomètres de nage en pleine mer, 180km de vélo et 42,195km de course à pied), une expédition de quatre mois de 3500km au Groenland, une poignée de records en ski de fond, une participation aux Jeux olympiques d'hiver et une autre aux championnats du Monde de voile. Qui dit mieux? Ah oui, il sait jouer de l'harmonica - instrument qu'il a joué sur scène lors d'un concert avec le groupe Led Zeppelin Jam, en 2007.
A l'instar d'un autre prince européen, un certain Charles d'Angleterre (cousin dont il est très proche), le Danois est un passionné d'écologie, très investi dans des institutions liées à la recherche scientifique, à l'environnement, à la politique étrangère, à la santé et au sport. Tout ça, tout ça.
Coup de bol, les accidents de luge et de scooter de cet hyperactif, eux, n'ont pas empêché sa popularité de grimper en flèche, stimulée par la création de la «Royal Run», une course annuelle à travers le Danemark qu'il a lancée en 2018.
Cela dit, c'est un autre élément, beaucoup plus inattendu, tout droit débarqué d'Australie, qui a définitivement dopé la ferveur populaire pour l'ex-prince héritier du Danemark: Mary, jeune publicitaire rencontrée dans un pub bruyant de Sydney, en 2000. Et bientôt, en moins de temps qu'il n'en faut pour apprendre à prononcer «hej med dig», la voilà devenue la princesse de coeur des Danois (d'ailleurs, elle a maîtrisé la langue en temps record).
Il faudra attendre près de vingt ans de mariage pour que le couple princier connaisse les premiers remous et rumeurs d'infidélité, en novembre dernier. Rien toutefois qui ne puisse entamer la popularité écrasante de la famille royale danoise. Malgré l'abdication de leur reine bien-aimée Margrethe, de récents sondages avancent un taux d'approbation de plus 80% en faveur de leur monarchie. Un repère dans un monde qui change et plein d’incertitudes. Une manière, pour ce petit pays, de rayonner à l'étranger.
A moins que Frederik X et la reine Mary ne commettent un impair flagrant, leur popularité n'est pas près de s'essouffler. Le nouveau roi ne devra toutefois pas se reposer sur ses lauriers. Lui qui parle couramment six langues, on lui reproche fréquemment d'être un piètre orateur, facilement perdu en discours alambiqués, voire incompréhensibles. Heureusement, si le nouveau roi du Danemark a prouvé quelque chose, c'est qu'il ne manque pas d'endurance.