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Irina Scherbakova: «La Suisse soutient des proches de Poutine»

Irina Scherbakova, prix Nobel de la Paix
Irina Scherbakova est née à Moscou en 1949. Dès les années 1970, elle enregistre secrètement des entretiens avec des victimes des répressions staliniennes. Sa fondation ne cesse de dénoncer la réécriture nationaliste de l'histoire.

«La Suisse soutient des Russes proches de Poutine»

L'historienne et militante pacifiste russe Irina Scherbakova est membre fondatrice de l'organisation de défense des droits de l'homme Memorial, désormais interdite par le Kremlin. Elle est en tournée en Suisse cette semaine.
17.11.2024, 08:09
Stefan Boss / ch media
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Selon Irina Scherbakova, 75 ans, il y a encore des protestations contre la guerre en Russie: elles sont simplement moins bruyantes. Son organisation de défense des droits de l'homme Memorial, cofondée en 1989, a reçu le prix Nobel de la paix il y a deux ans. Elle donne actuellement une série de conférences en Suisse. Elle fustige le traitement de l'héritage de Staline en Russie et ne se prive pas non plus de critiquer la Suisse.

Les Etats-Unis viennent de rater l'occasion d'élire la première femme présidente de leur histoire. Qu'y aura-t-il en premier, un changement démocratique en Russie ou une femme présidente des Etats-Unis?
Irina Scherbakova: Aux Etats-Unis, il ne s'agissait pas seulement du fait que Kamala Harris soit une femme. C'est une question de populisme, et de nombreuses femmes ont également voté pour Donald Trump. Ce qui se passera en Russie n'est pas clair. Je pense aussi que le Parti démocrate, avec son orientation de gauche, n'a pas convaincu de nombreux électeurs américains. Mais je suis historienne, pas futurologue. Je ne sais qu'une chose:

«Si Poutine parvient à faire pencher la balance en sa faveur dans la guerre contre l'Ukraine avec l'accord de l'Occident, la Russie restera un danger permanent pour l'Europe»

De nombreux partis d'ultra-gauche et d'ultra-droite en Europe soutiennent en effet sa politique. C'est également un problème pour les démocraties de ces Etats.

L'élection de Trump est-elle bonne pour le président russe Vladimir Poutine, et donc mauvaise pour toutes les forces qui lui sont encore opposées en Russie?
Beaucoup de choses sont encore très floues. Mais je pense que Trump poursuivra une politique de «business as usual», qui n'apportera ni justice ni punition à l'agresseur. Et il est d'ailleurs soutenu en cela par certains politiciens européens. C'est très dangereux à mes yeux.

Supposons que vous soyez élue présidente de la Russie du jour au lendemain, que feriez-vous en premier?
Je retirerais immédiatement toutes les troupes et ferais la paix avec l'Ukraine.

Est-ce cette guerre qui pèse le plus sur la société russe?
En effet. Mais en Russie, nombreux sont ceux qui soutiennent la guerre. Et nombreux sont ceux qui pensent que personne d'autre que Poutine ne peut mettre fin à la guerre.

Quel est le degré de désespoir de la population russe - bientôt trois ans après l'invasion russe de l'Ukraine?
La majorité s'adapte malheureusement. Elle est peut-être mécontente de la guerre, de l'inflation. Mais le régime a encore assez d'argent, il paie plutôt bien les soldats qui signent volontairement un contrat avec l'armée. Je pense que la majorité veut mener une vie normale et passer le plus possible inaperçue. Et de nombreuses personnes critiques ont quitté la Russie.

Vous et votre mari avez également dû quitter la Russie peu après l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022. Comment cela s'est-il passé?
Quelques milliers de personnes qui protestaient contre la guerre ces jours-là ont été arrêtées.

«Les manifestations de masse n'étaient plus possibles»

J'ai quitté la Russie parce que l'organisation de défense des droits de l'homme que j'avais cofondée, Memorial, a été dissoute. La poursuite de mon travail - j'étais responsable de l'éducation et de la sensibilisation au sein de l'organisation - n'aurait pas été possible sous la nouvelle censure. Notre groupement s'est entre-temps reconstitué, avec un réseau de 17 organisations en Europe. Je suis la présidente de Memorial à Berlin.

Avez-vous encore un passeport russe?
Oui, ce n'est pas si facile de renoncer à sa citoyenneté. Mais tant que Poutine sera au pouvoir, je ne retournerai pas en Russie.

Comment gardez-vous le contact avec les gens en Russie?
Via les réseaux sociaux, cela fonctionne encore, Dieu merci: WhatsApp, Signal et Telegram. En matière de communication, il n'y a heureusement pas de rideau de fer.

Depuis Berlin, pouvez-vous faire quelque chose de concret pour améliorer les droits de l'homme en Russie?
J'essaie de poursuivre mon travail d'information en Allemagne. Dans ce pays en particulier, on avait une idée très erronée de Poutine et de son régime.

«Moi-même et beaucoup de mes collègues avions mis en garde contre lui, il y a 20 ans déjà, mais nous n'avons pas vraiment été entendus»

Et en Occident, on n'était pas préparés à cette guerre contre l'Ukraine. Depuis, la Russie n'est plus seulement un régime autoritaire, mais une dictature.

Avec votre organisation, essayez-vous de documenter les crimes de guerre que la Russie commet en Ukraine?
Il existe plusieurs structures impliquées dans la documentation. Memorial a également une organisation en Ukraine. Celle-ci a déjà enregistré des milliers d'entretiens avec des témoins. De plus, nous documentons les manifestations en Russie contre la guerre. Même s'il n'y a pas de grandes manifestations, elles existent. La société russe n'est pas aussi uniforme que le veut Poutine.

Un exemple?
Il y a des graffitis anti-guerre qui apparaissent d'un seul coup, des tracts et autres. Ou encore, le 29 octobre, à l'occasion de la Journée du prisonnier politique, on a cette année encore lu en public des noms de prisonniers politiques. Cela remonte à une tradition qui consiste à rendre hommage ce jour-là aux victimes de la terreur sous Staline et à citer publiquement leurs noms.

«Pour toute forme de protestation, il faut toutefois un certain courage en Russie»

Aujourd'hui, il existe à nouveau des musées Staline en Russie, le dictateur soviétique est considéré par de nombreuses personnes comme une figure positive. Le passé n'a-t-il tout simplement jamais été traité correctement en Russie?
Les historiens russes ont déjà travaillé sur le passé. Des milliers de publications et des millions de documents ont été publiés. Ceux qui veulent s'informer peuvent le faire sur Internet. Le problème, c'est que l'information à grande échelle n'a pas fonctionné et que les gens ne l'ont pas vraiment reçue. Beaucoup n'ont pas vu à quel point cet héritage historique était dangereux. Et aujourd'hui, dans les cours d'histoire en Russie, Staline est à nouveau présenté comme extrêmement positif, les jeunes n'apprennent presque rien sur ses crimes.

Depuis le début de la guerre en 2022, la Russie n'est plus membre du Conseil de l'Europe. Les citoyens russes ne peuvent donc plus porter les affaires judiciaires devant la Cour européenne de Strasbourg. Quelle est l'ampleur de cette perte?
C'est déjà très douloureux, car de nombreuses personnes se sont tournées vers la Cour de Strasbourg comme dernier espoir. Mais avec le début de la guerre, l'adhésion de la Russie à cet organe, qui doit veiller au respect des droits de l'homme, n'était vraiment plus tenable et l'expulsion de la Russie était absolument justifiée.

«Pour être honnête, la Hongrie de Viktor Orbán ne devrait plus en faire partie non plus»

Mais une fois qu'un Etat est membre, il est difficile de s'en débarrasser.

Comment jugez-vous le rôle de la Suisse dans la guerre en Ukraine? Elle a certes repris les sanctions de l'UE contre la Russie, mais elle a jusqu'à présent refusé de livrer des armes à l'Ukraine - directement ou même indirectement via un pays tiers.
C'est malheureusement une position dépassée. La Suisse veut rester à l'écart. Et il ne s'agit pas seulement du fait que la Suisse n'aide pas l'Ukraine sur le plan militaire. Elle soutient aussi de nombreux Russes mégariches qui ont participé au régime de Poutine. C'est un opportunisme qui n'honore pas le pays.

«La Suisse devrait regarder de plus près quels biens immobiliers se trouvent entre les mains des Russes»

La Suisse devrait-elle prendre des mesures plus strictes contre l'argent des oligarques? Elle a jusqu'à présent refusé de participer à une task force internationale sur cette question.
Oui, je pense que oui. Même si ce ne sont plus des oligarques depuis longtemps, car ils n'ont plus rien à dire sur le plan politique. Mais il s'agit de l'argent et des biens immobiliers de personnes qui sont ou ont été très proches du régime.

L'Occident devrait-il, d'une manière générale, renforcer les sanctions contre la Russie?
Les sanctions devraient être revues et conçues de manière plus intelligente. En outre, le contournement devrait être empêché de manière conséquente.

La Géorgie connaît actuellement de violentes protestations suite à la falsification des élections législatives. La Géorgie faisait autrefois partie de l'Union soviétique, tout comme la Russie. Dans quelle mesure la Russie donne-t-elle un mauvais exemple. Ou est-elle même impliquée?
Le parti au pouvoir à Tbilissi, le Rêve géorgien, est lié à Poutine et à son régime, c'est bien connu. De plus, à Moscou, le Kremlin joue délibérément sur l'intimidation et la peur.

«En 2008, la Russie avait envahi la Géorgie avec ses chars lors d'une brève guerre»

Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui craignent que cela ne se reproduise, voire qu'une longue guerre comme celle contre l'Ukraine ne menace. La Russie a malheureusement une influence négative dans pratiquement tous les Etats post-soviétiques. Cela a également été le cas récemment en Moldavie lors d'élections et d'un référendum visant à ancrer le cours pro-UE dans la constitution.

Des archives du KGB au prix Nobel de la paix
Irina Scherbakova, 75 ans, est une historienne russe de premier plan. En 1989, elle a cofondé l'organisation de défense des droits de l'homme Memorial, dont le siège est à Moscou. L'ONG a reçu le prix Nobel de la paix en 2022, avec une organisation en Ukraine et le militant des droits civils Ales Bialiatski en Biélorussie. Depuis 2016, Memorial était considéré comme un «agent étranger» en Russie, et début 2022, un tribunal a ordonné sa dissolution. Scherbakowa a mené des recherches sur le stalinisme et le totalitarisme et a commencé dès la fin des années 1970 à collecter des entretiens enregistrés avec des victimes du stalinisme. Depuis l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, elle a eu accès aux archives du KGB. Elle vit aujourd'hui en exil à Berlin. (sb)

Traduit et adapté par Chiara Lecca

Vladimir Poutine dans tous ses états
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Vladimir Poutine dans tous ses états
Poutine en mode chasseur, 2010.
source: ap ria novosti russian governmen / dmitry astakhov
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Des drones russes traquent des civils en Ukraine
Video: watson
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