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Les nouvelles armes du Kremlin se nomment Redut et Dobrokor

Poutine met en place une armée fantôme.
Les experts mettent en garde contre l'armée fantôme de Poutine.Image: Imago

Les nouvelles armes du Kremlin en Ukraine se nomment Redut et Dobrokor

La Russie a besoin d'un flux constant de nouvelles recrues pour poursuivre sa guerre contre l'Ukraine. Une tâche loin d'être aisée. Aujourd'hui, trois voies s'offrent aux Russes pour s'engager sur le front.
14.09.2025, 07:0214.09.2025, 07:02
Simon Cleven / t-online
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Depuis l'automne 2022, Vladimir Poutine fait face à un problème. Le 21 septembre de cette année-là, le maître du Kremlin a décrété une mobilisation partielle en Russie. Quelque 300 000 réservistes devaient alors être envoyés pour soutenir l'offensive contre l'Ukraine.

Mais Poutine semble avoir sous-estimé la réaction de ses concitoyens: des centaines de milliers d'hommes ont quitté le pays, des manifestations ont éclaté dans les grandes villes et plusieurs bureaux de recrutement ont été la cible d'attaques. Un peu plus d'un mois plus tard, le président russe mettait fin à la mobilisation partielle.

Des voies de recrutement pour différents profils

Le recrutement de nouveaux soldats ne s'est pourtant pas arrêté. Au contraire, le Kremlin et l'Etat-major russe ont dû faire preuve de créativité pour maintenir l'effort de guerre contre l'Ukraine. Le ministère de la Défense mise ainsi sur de généreuses primes uniques pour attirer de nouvelles recrues. Mais à une condition: celles-ci s'engagent pour une durée indéterminée. Or, tous ceux qui seraient tentés de partir au front ne sont pas prêts à accepter une telle contrainte.

Pour exploiter au maximum le vivier potentiel de volontaires prêts à combattre en Ukraine, l'armée russe a une nouvelle fois fait preuve d'inventivité. Il existe désormais au moins trois voies pour s'engager: la filière classique des bureaux de recrutement, mais aussi deux systèmes parallèles destinés à lever des troupes irrégulières, appelées «formations de volontaires».

Chaque option présente ses avantages et ses inconvénients, et cible des profils différents. Parallèlement, des réseaux d'unités irrégulières se constituent en Russie pour aller se battre en Ukraine: l'«armée de l'ombre» de Poutine.

Le recrutement de Poutine atteint ses limites

En règle générale, les Russes s'engagent pour la guerre en s'inscrivant auprès d'un bureau de recrutement du ministère de la Défense. Les conditions ont été nettement améliorées ces dernières années. Selon les régions, une prime unique pouvant atteindre environ 42 600 euros est proposée, à laquelle s'ajoute un solde mensuel supérieur à 2000 euros, soit une somme considérable pour la Russie.

En cas de décès, 50 000 euros sont reversés et 30 000 pour l'invalidité d'un soldat. La famille reçoit en outre une indemnité de l'Etat.

Depuis que Poutine a signé le décret de mobilisation partielle, les soldats s'engagent officiellement pour une durée déterminée. En réalité, leurs contrats sont automatiquement prolongés, encore et encore, jusqu'à ce que le maître du Kremlin déclare la fin de «l'opération militaire spéciale», l'euphémisme employé par Moscou pour désigner son offensive contre l'Ukraine.

Les mercenaires de Wagner ont donné le ton

Parallèlement à ces efforts, l'Etat-major russe a ouvert la voie aux «formations de volontaires». Il s'agissait au départ surtout d'armées privées, comme les tristement célèbres mercenaires de Wagner. Un avantage pour le Kremlin: leur financement ne reposait que partiellement sur le budget de l'Etat, et les autorités pouvaient plus facilement se dédouaner des exactions commises par ces forces. Mais très vite, le pouvoir a cherché à reprendre la main sur ces groupes armés.

Le chef de Wagner, Evgueni Prigojine, s'y est opposé. En juin 2023, il a lancé une rébellion avec ses mercenaires, qui s'est soldée par un échec. Quelques mois plus tard, il trouvait la mort dans un crash aérien. Jusqu'alors, les combattants de Wagner constituaient un pilier central de la stratégie militaire russe en Ukraine. Mais le vide laissé par Prigojine et son armée privée n'a pas tardé à être comblé.

L'ancien chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine. Sa mutinerie lui aura coûté la vie.
L'ancien chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine. Sa mutinerie lui aura coûté la vie.Image: Imago

Depuis l'automne 2023, une armée privée baptisée Redut a pris le relais. Son nom fait référence à d'anciennes fortifications, connues en allemand sous le terme de «redoute» ou de «Schanze». En réalité, cette formation n'a de privé que le nom: selon une enquête de Radio Free Europe/Radio Liberty et de journalistes d'investigation russes publiée en décembre 2023, elle est formellement placée sous l'autorité du renseignement militaire russe (GRU).

Recrutement de bénévoles dans le système Redut

Depuis sa création, Redut est devenu un mécanisme permettant à des Russes, et même à des étrangers, de s'engager volontairement sur le front. Cette structure accueille notamment des personnes qui ne peuvent pas s'enrôler dans l'armée régulière. Les contrôles médicaux y sont moins stricts, ce qui a récemment contribué à une nette augmentation des cas de VIH au sein des forces russes. Même les détenus peuvent rejoindre Redut sans difficulté.

Les mercenaires signent un contrat d'une durée minimale de six mois. A son terme, ils ne sont pas obligés de le renouveler. Sur le papier, les combattants de Redut ne risquent aucune sanction s'ils souhaitent rompre leur engagement de manière anticipée.

En revanche, contrairement aux soldats réguliers, ils n'ont aucun droit aux aides sociales. Les volontaires de Redut doivent également financer eux-mêmes leur uniforme. Ce n'est qu'à partir du troisième mois de solde qu'ils perçoivent une indemnité compensatoire, à condition d'avoir survécu jusque-là sur le front.

Des personnes devant un bureau de recrutement à Moscou: la Russie aurait recruté environ 200 000 soldats au cours du premier semestre 2025.
Des personnes devant un bureau de recrutement à Moscou: la Russie aurait recruté environ 200 000 soldats au cours du premier semestre 2025.Image: Imago

Cette solde peut toutefois être versée en espèces à la demande, permettant ainsi d'éviter impôts et autres obligations financières, comme les pensions alimentaires.

Recrutement de bénévoles dans le système Dobrokor

Apparemment, le système Redut n'était pas suffisamment attractif pour le recrutement de volontaires. Depuis le début de l'année, selon les journalistes d'investigation russes des collectifs Sistema et Schemes, un nouveau mécanisme a été mis en place: Dobrokor. Son nom est dérivé du russe «Dobrovolcheskii Korpus», que l'on peut traduire par «Corps de volontaires».

Dobrokor offre également des incitations aux volontaires: selon les régions, une prime unique pouvant atteindre 20 000 euros est versée lors de l'inscription. Les volontaires de Dobrokor bénéficient en outre d'un statut légal de militaire, contrairement à leurs camarades de Redut. Ils s'inscrivent auprès des bureaux de recrutement de l'Etat pour rejoindre cette formation.

Ainsi, ils ne disposent pas des mêmes droits que les soldats sous contrat classiques, mais bénéficient de meilleures protections sociales que les volontaires de Redut. Par exemple, la prise en charge médicale des blessures graves est améliorée. De plus, uniformes et équipements leur sont fournis.

En contrepartie, les examens médicaux y sont plus stricts. Sistema et Schemes rapportent également, d'après les témoignages de mercenaires, que la prime n'était versée qu'aux volontaires s'engageant pour au moins un an. C'est une différence majeure avec Redut: toute résiliation anticipée du contrat est interdite et la désertion est sanctionnée. Selon le portail russe Mediazona, plus de 20 000 affaires de désertion ont été portées devant les tribunaux depuis février 2022.

Deux systèmes, mêmes unités

Les journalistes d'investigation russes ont interrogé des responsables de bureaux de recrutement pour comprendre qui choisit quel mécanisme. Une employée a expliqué que de nombreuses personnes optent pour le système Redut afin de tester dans un premier temps leur aptitude à un engagement au front. La possibilité de résilier son contrat anticipativement apparaît donc particulièrement attractive. Avec Dobrokor, une telle démarche entraînerait au minimum un dépôt de plainte.

Les recrues russes prêtent serment dans la salle d'honneur du Musée de la Victoire à Moscou: les soldats contractuels s'engagent pour une durée indéterminée jusqu'à la fin de la guerre  ...
Les recrues russes prêtent serment dans la salle d'honneur du Musée de la Victoire à Moscou: les soldats contractuels s'engagent pour une durée indéterminée jusqu'à la fin de la guerre en Ukraine.Image: Imago

Dobrokor semble en revanche plus attractif pour les personnes modestes, grâce au statut légal de militaire et à l'accès aux systèmes sociaux. Ces avantages découlent du rattachement plus étroit de Dobrokor au ministère de la Défense. Certains mercenaires préfèrent toutefois éviter cette dépendance et choisissent donc plutôt Redut.

En fin de compte, les deux systèmes recrutent pour les mêmes unités. Le site de Dobrokor recense au total 27 formations dans lesquelles les volontaires sont envoyés. Parmi elles figurent les unités «Loups», «Tigres» et «Lynx» de la 16e brigade du GRU, ainsi que l'unité orthodoxo-patriotique «Nevski», la brigade d'assaut «Veterans» et l'unité «Espanola», composée d'ultras de football d'extrême droite. Toutes faisaient auparavant partie de l'armée privée Redut.

Combien de soldats la Russie recrute-t-elle?

Selon certains experts, le recours accru de la Russie à des voies alternatives pour recruter des soldats pourrait indiquer que les primes versées aux contractuels ne sont plus soutenables à long terme pour le régime.

Le vice-président du Conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev, a affirmé en juillet que 210 000 nouveaux soldats avaient été recrutés depuis le début de l'année. A cela s'ajouteraient environ 18 000 recrues dans les formations de volontaires. Selon les autorités ukrainiennes, la Russie aurait perdu ces derniers mois près de 30 000 soldats par mois, tués, blessés ou portés disparus.

La Russie dans une impasse financière?

L'économiste et spécialiste de la Russie Janis Kluge estime toutefois, sur la base de l'analyse des budgets régionaux, que seules 191 000 nouvelles recrues ont été engagées. Ce sont en effet les régions qui financent la majeure partie des primes, et non le gouvernement central, ce qui permet d'estimer le nombre de recrutements à partir de leurs données.

Face à cela, le think tank américain Institute for the Study of War (ISW) estime que le transfert de la charge des primes vers les régions n'est qu'une manœuvre cosmétique du budget de l'Etat. L'objectif serait de masquer l'incapacité à long terme de la Russie à financer indéfiniment ses efforts de recrutement.

Le danger de l'armée fantôme de Poutine

Mariya Omelicheva, professeure au National War College de Washington, souligne que les formations de volontaires offrent au Kremlin, au-delà des aspects financiers, des avantages stratégiques. Dans un article publié en août sur la plateforme spécialisée War on the Rocks, elle écrit qu'elles constituent «un pilier central de la machine de guerre moscovite». Elle ajoute:

«En externalisant la conduite des opérations à des formations irrégulières, Moscou peut mener une guerre d'usure prolongée tout en se protégeant des réactions politiques internes.»

Selon l'experte, ces unités sont déployées de manière disproportionnée dans des secteurs du front à fortes pertes et avec peu de soutien.

«Les volontaires servent d'infanterie de remplacement, absorbant les pertes avant les opérations des troupes régulières ou des forces d'élite russes»

Le public est rarement informé de leurs pertes réelles, le ministère de la Défense les mentionnant à peine.

Une recrue russe participe à un entraînement en Ukraine: selon une experte, les unités irrégulières représentent également un risque pour le Kremlin.
Une recrue russe participe à un entraînement en Ukraine: selon une experte, les unités irrégulières représentent également un risque pour le Kremlin.Image: Imago

De sombres perspectives pour les régions occupées

De plus, ces unités irrégulières pourraient semer le trouble dans la région au-delà du conflit en Ukraine. Omelicheva prévient:

«Même si la guerre en Ukraine se terminait demain, ces structures continueraient probablement d'exister»

Elles pourraient ainsi agir dans les territoires occupés comme unités de sécurité informelles ou gouvernements de l'ombre, réprimer les dissidents, intimider les civils et exercer un contrôle, sans pour autant violer ouvertement d'éventuels accords de paix.

Parallèlement, comme l'a montré la rébellion de Wagner en 2023, ces unités irrégulières pourraient représenter un danger pour le régime du Kremlin, souligne Omelicheva. Les volontaires agissent en effet sous des loyautés diverses: certains sont placés sous l'autorité d'officiers du renseignement, d'autres dépendent de responsables régionaux ou de sponsors privés.

«Comme l'a révélé la mutinerie de Wagner, des unités irrégulières aux loyautés floues peuvent rapidement passer d'un atout à une menace»
Mariya Omelicheva

Traduit et adapté par Noëline Flippe

Vladimir Poutine dans tous ses états
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Vladimir Poutine dans tous ses états
Poutine en mode chasseur, 2010.
source: ap ria novosti russian governmen / dmitry astakhov
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